Jean-Luc Chauvin, le président de la CCI Aix-Marseille-Provence évoque, à quelques jours de l’ouverture des JOP de Paris, les enjeux que représentent pour ce territoire les matchs de football accueillis au Vélodrome et, surtout, les épreuves de voile. Il revient sur le succès de l’arrivée de la flamme olympique à Marseille, se réjouit de voir la région accueillir les JOP d’hiver en 2030 en partenariat avec Auvergne-Rhône-Alpes. Puis il met en exergue le bref laps de temps disponible pour réussir le développement d’une industrie décarbonée sur le territoire ou la régression de ce dernier. Il signale enfin l’installation prochaine sur le territoire de « deux très grands fonds d’incubateurs mondiaux ». Entretien.
Destimed: Marseille va accueillir des matchs de football et surtout les épreuves de voile dans le cadre des JOP de Paris. Alors que la compétition va s’ouvrir, pensez-vous toujours que cela peut avoir un impact fort pour le devenir de ce territoire ?
Jean-Luc Chauvin : Comment répondre autre chose que oui, lorsqu’on a vu ce qui s’est produit avec l’arrivée de la flamme olympique à Marseille. Une flamme arrivant par la Méditerranée d’Athènes pour rejoindre l’antique Phocée, fondée par des Grecs, et riche de ses 2600 ans d’histoire. Et cela avec les images exceptionnelles du Belém entrant dans le Vieux-Port, survolé par la patrouille de France, accueilli par un feu d’artifice. Quel spectacle a été offert au monde qui a pu découvrir notre ville-monde. Plus de 200 000 personnes étaient réunies, avec bien sûr un dispositif de sécurité très important, mais il n’y a eu aucun problème. L’ambiance était chaleureuse, ce qui mérite d’être noté dans la société fragmentée qui est la nôtre. Et je tiens à dire que le succès, unanimement reconnu, de cette arrivée de la flamme est tout sauf une surprise pour moi car Marseille a toujours été au rendez-vous des grands événements et cela dans des domaines très différents : que ce soit la capitale européenne de la culture, la coupe du monde de football, celle de rugby ou la venue du Pape François.
Maintenant place aux Jeux, les compétitions devraient être suivies par 4 milliards de téléspectateurs et je suis persuadé que le public sera présent en très grand nombre avec des images de notre rade qui vont faire le tour du monde. Ces jeux sont donc un vrai momentum, une vraie accélération dont doivent profiter les 146 000 entreprises du territoire. Pour cela, nous devons mettre en valeur nos savoir-faire, notre savoir-vivre, nos industries qui se transforment, se décarbonent, notre position de 2ème hub numérique français après Paris… Et je n’oublie pas la santé avec la labellisation de Marseille Immunology Biocluster « MIB » dans le cadre de l’appel à manifestation d’intérêt national « Bioclusters » lancé dans le cadre de France 2030. Nous sommes sur une terre d’excellence, d’innovation qu’il faut mettre en lumière. Et comment ignorer que nous sommes le territoire d’Iter, le monde s’est réuni ici pour créer une énergie du futur.
Comment tout cela s’organise-t-il au niveau du monde économique, et que peut-on attendre comme retombées ?
Nous avons lancé en 2022 le club AMP24 pour initier une dynamique collective et rassembler le monde économique autour des Jeux. Nous avons ainsi fédéré plus de 400 entreprises auxquelles il a été proposé des rencontres d’affaires et un accompagnement pour répondre aux différents marchés, et des événements autour des valeurs du sport et de la jeunesse afin de permettre au plus grand nombre de s’approprier ces Jeux. Et, en matière de retombées, les études montrent que pour 80 millions d’euros de dépenses on aura entre 150 et 200 millions d’euros de retombées, avec des visiteurs qui devraient dépenser 200 euros par jour et par personne. Des visiteurs qui profiteront de leur venue pour les JO pour visiter la Provence, les Alpilles.
Et puis sans l’échéance des JO, je ne suis pas sûr que nous aurions pu inaugurer le nouveau cœur de l’aéroport Marseille-Provence – 210 millions d’euros d’investissement – comme nous venons de le faire. Un dossier que j’avais évoqué avec Emmanuel Macron en 2020 et dont la réalisation nous permet de passer d’un aéroport de province à un aéroport international en avance sur les normes sanitaires, environnementales, sécuritaires. Et le résultat se fait sentir. La perception des grandes compagnies internationales change comme le montre les trois liaisons hebdomadaires dont nous disposons maintenant avec Shanghai, 1er port mondial. Tous ces éléments font que nous comptons maintenant parmi les grandes métropoles internationales, une des deux métropoles de la rive Nord de la Méditerranée avec Barcelone.
Il faut aller plus loin et pour cela se nourrir de notre histoire. Pendant longtemps on a parlé de Marseille comme étant la porte de l’Orient. Notre ambition doit être là, nous devons redevenir cette porte. Comme nous sommes le hub entre l’Europe et la Méditerranée, l’Afrique. Il importe donc de développer les lignes vers le Proche et le Moyen-Orient, mais aussi vers les États-Unis, vers Miami.
Si on vous écoute les jeux sont faits, tout est gagné d’avance…
C’est loin d’être le cas. Encore une fois nous avons des atouts incroyables, des sites extraordinaires, un art du vivre ensemble, la plus grande université francophone au monde, une ville où on peut travailler et, dans la même journée, se baigner, avoir des activités de pleine nature. Nous devons maintenir une mobilisation sans faille pour la réussite des JO. Les restaurateurs, les serveurs, le ramassage des déchets, les taxis… tout doit s’inscrire dans un effort collectif dont nous serons tous bénéficiaires. Et nous devons mesurer la chance qui est la nôtre puisque nous sommes la seule région qui va accueillir les Jeux d’été puis les Jeux d’hiver en 2030, en partenariat avec la Région Auvergne-Rhône-Alpes.
Marseille ne connaît-elle pas aussi un vrai retard notamment sur la question des transports en commun, tant intra-muros qu’au sein de la métropole ?
C’est vrai que nous avons des retards, que des choses avancent mais il faut que le monde économique et le monde politique acceptent d’aller plus vite. Nous sommes une ville-monde sans en avoir conscience, développons une ville-monde en conscience, devenons la deuxième capitale de la France comme nous y a invités le président Macron. Lors des grands événements nous sommes toujours au-delà de ce que l’on attend de nous : soyons-le tout au long de l’année !
Ces Jeux, je ne cesserai de le dire, doivent nous permettre de franchir un cap. Mais ces retards sont loin d’être insurmontables. Vous savez que les plus grandes critiques sur Marseille, je les entends ici et à Paris. Mais, en tant que membre de CCI France et de CCI France international -qui regroupe 118 CCI françaises à l’étranger- là, les échos sont très positifs. Marseille, c’est plus qu’une ville, c’est une marque, une histoire, une image, un mode de vie. Et certaines entreprises mettent à nouveau en avant le fait d’être né à Marseille. Marseille qui accueille le siège de l’armateur CMA-CGM, troisième mondial dans son secteur. Et une dynamique d’attractivité est à l’œuvre comme on peut le voir avec Provence Promotion.
L’année 2023 était source d’inquiétude et, finalement 71 entreprises se sont installées sur le territoire, soit 1 924 emplois créés et pérennisés sur une période de trois ans. Et, pour la première fois, Provence Promotion enregistre une proportion record de 55% de projets d’origine étrangère, soit une hausse de 11% par rapport à 2022. Résultat d’autant plus notable que la moyenne, au niveau national, est négative (-5%). La France reste toutefois pour la cinquième année consécutive sur le podium européen. Je signale enfin que lorsque j’ai proposé la tenue à Marseille d’un séminaire de CCI France International la réponse a immédiatement été positive car tous les membres de cette structure connaissent les potentialités que ce territoire offre pour le business et l’accueil d’entreprises.
Au-delà des Jeux, vous avez évoqué une industrie en mutation qui s’inscrit dans la décarbonation, qu’en-est-il ?
Nous vivons là un autre momentum de 12 à 18 mois qui va impacter les 30 à 40 prochaines années. Notre industrie s’est construite pour partie sur la pétrochimie. Il faut passer à une autre étape, il faut décarboner et nous avons de vraies opportunités pour cela. C’est le choix du mieux vivre pour nous tous. Ceux qui croient que Fos c’est loin et que ces enjeux de décarbonation ne les concernent pas se trompent lourdement. La zone industrielle de Fos, ce sont 20% des émissions de GES du pays. Alors, oui, ce dossier nous concerne tous. D’autant les investissements attendus s’élèvent à 15 milliards d’euros et nous permettraient non seulement de préserver nos emplois mais aussi d’en créer, 14 000 environ. Je n’ai de cesse d’attirer l’attention sur les projets Carbon, H2V, GravitHy. Il s’agit d’une chance pour notre territoire mais aussi pour la souveraineté de la France. Je n’ose imaginer que l’on se morde les doigts dans quelques temps pour avoir laissé passer cette chance. Pour éviter cela, il faut nous montrer unis pour faire des choix historiques, visionnaires et prendre des décisions rapides, décider du lancement de la construction de la ligne à haute tension de 400 000 volts, électricité qui, dans une région comme la nôtre -qui consomme plus que ce qu’elle produit- servira aussi au chauffage l’hiver et à la climatisation l’été.
Il faut aussi développer le ferroviaire et réaliser, enfin, les contournements de Martigues, Fos, Arles, que les populations attendent depuis 40 ans. Il faut aussi, dans un cadre harmonieux, construire des logements, des écoles, des équipements sportifs… Ou nous faisons ce choix et nous nous inscrirons dans un développement durable, ou alors nous connaîtrons la récession. Et ce choix du développement ou de la régression de notre territoire dépend de nos élus et comme le monde va vite le choix doit être fait rapidement. Puis c’est ensemble, et les chambres consulaires auront un rôle important à jouer, qu’il faudra travailler avec la population pour trouver la solution la moins impactante pour la ligne 400 000 volts, sans laquelle rien ne pourra se faire en expliquant l’intérêt que cela présente pour l’emploi, la qualité de vie, la sécurité. Personne ne peut dire quelle sera l’énergie de demain, la réponse réside peut-être dans un mix et on peut être le territoire de ce mix énergétique.
Vous abordez également Marseille-Fos, qu’elle est votre vision d’un futur souhaitable pour le Grand port ?
Le port, rappelons-le en premier lieu, c’est 43 000 emplois dont 16 000 sur Marseille. Une fois ceci posé, on comprend mieux son importance et on mesure mieux combien il faut réaliser ce grand port souhaité par le président de la République allant de Marseille à Lyon, être un des trois grands ports européens. Pour cela, il faut aller au-delà de Lyon afin de se positionner comme la porte d’entrée de l’Europe par le Sud. Il faut rejoindre les grands corridors fluviaux que sont le Rhin et le Danube. C’est à ce prix que l’on fera circuler les marchandises de façon décarbonée et que nous inscrirons le port dans les grands axes de circulation sachant que 17% des flux économiques seulement passent aujourd’hui par le fleuve. Là encore nous avons des atouts, mais on voit des ports, comme celui de Trieste, avancer, pendant que nous, nous attendons alors que nous pourrions avoir des fonds européens pour réaliser ces travaux. D’autre part, il importe de créer un écosystème numérique autour du port. Nous sommes déjà dans l’excellence avec 19 100 établissements pour 53 000 emplois, un hub mondial de la Data avec 16 câbles sous-marins ce qui fait de Marseille le 2e hub après Paris, le 7e mondial et bientôt le 5e.
Ce port, toujours plus ouvert sur le monde, doit l’être aussi sur son territoire. Il faut transformer l’essai, traduire les potentialités, ce qui impose, encore une fois, de produire de l’énergie décarbonée. Nous devons être ambitieux pour ce territoire métropolitain, nous fixer l’objectif d’avoir trois licornes dans les cinq ans à venir. Utopie ? Ce n’est pas ce que pensent deux très grands fonds d’incubateurs mondiaux qui vont venir s’installer ici. L’un d’eux n’était installé jusqu’à présent qu’à Barcelone, pour l’Europe. Notre territoire bouge, aspire à se transformer, se développer. Pour que tous puissent en bénéficier il faut développer les formations sur notre territoire, dans tous les domaines. Et il nous faut des écoles d’ingénieurs, développer l’enseignement des mathématiques qui sera la matière vedette du XXIe siècle.
Propos recueillis par Michel CAIRE