Publié le 16 juin 2019 à 10h40 - Dernière mise à jour le 29 octobre 2022 à 11h58
Les Journées nationales de l’archéologie (JNA), 10e édition, ont 5 nouveaux site à Marseille et, le village de l’archéologie a quitté le Jardin des vestiges, en travaux, pour la cours de la Vieille Charité que l’association aixoise, Les Somatophylaques (gardes du corps), a transformé en camp militaire grec antique. Vincent Torres-Hugon, historien spécialiste de l’archéo-expérimentation, en est le guide en tenue d’hoplite (soldat grec) de la période classique, de moins 400 à moins 500.
Porter ce vêtement antique, explique Vincent Torres-Hugon est une démarche scientifique une «restitution». Il donne comme exemple le fait de porter un tissu de luxe, de lin, que l’on a teinté à la pourpre. «Si je le porte à la guerre, je vais le déchirer, l’abîmer donc. La plupart des combattants, et on le voit sur nombre de sources, avaient peu de tissu sur eux, voire pas de tunique, certains même combattaient nus pour ne pas l’abîmer.» En ce qui concerne la mission de ces « Somatophylaques », -du grec somato, le corps et phylaques, les gardes, gardes du corps- il indique : «A l’époque antique, c’est un nom que l’on donne aux hoplites (guerriers grecs) qui protègent la cité, les institutions. Plus tard, Alexandre va dire l’État c’est moi, donc ce sont ses gardes du corps et nous on a voulu garder ce mot, pour être garde du corps d’une forme de culture, une forme de transmission de l’Histoire». Précise la spécialisation de l’association, qui génère deux axes de travail, «l’archéo-expérimentation» et, «mettre en valeur ces recherches pour un large public, mettre en valeur des sites archéologiques ou muséaux (la Vieille Charité) et présenter nos travaux à des enfants, des adultes, à un public familial». Dans le camp, l’association propose aussi «une initiation à la Grèce antique, puisque nous présentons des ateliers, portant sur l’armement, sur la guerre, mais aussi sur le vêtement, les techniques de drapé, sur le banquet dans le monde grec, sur les épices qui existaient à l’époque, la vaisselle, la céramique qui est reproduite avec des céramologues professionnels». On peut aussi découvrir des ateliers «sur l’urbanisme, la sculpture, des ateliers d’écriture, de philosophie». Autre spécificité, l’association colle au lieu où elle intervient et en raconte l’Histoire. À Marseille, c’est «la fondation de Massalia, jusqu’à sa conquête par les Romains; à d’autres endroits, à Olbia, par exemple, non loin de Hyères, on présentera cette implantation coloniale très spécifique». L’association intervient un peu partout dans le Sud de la France et même dans le Nord, «pour cette saison, nous sommes au « Louvre Lens » pour clôturer l’exposition sur Homère». Revient sur sa spécialisation, «l’archéo-expérimentation», cite comme exemple de cette démarche: «la reproduction à l’identique d’une lance antique, l’emmancher sur du bois, tester ces bois, la résistance puis utiliser cette arme, faire des tests de tranche, de coupe, voir comment elle fonctionne, son équilibre, comment on la porte, quelle est la meilleure façon de la porter. Une seconde étape est l’étude de l’iconographie, sur les vases grecs et les frises des frontons de temple pour reproduire des combats réels au sein de l’association d’une soixantaine de membres, étudiants de l’Université Aix-Marseille et des passionnés. Des dizaines voire des centaines d’expérimentations permettent d’écarter des hypothèses et d’en privilégier d’autres et, donc de faire avancer la recherche». La même approche est à l’œuvre avec les textes classiques: «Hérodote, Thucydide ou Xénophon sont les trois grands auteurs qui nous parlent de guerre. Il nous donnent des indicateurs gestuels que nous essayons de reproduire ce qui va me donner des indices qui vont éclairer mes sources, archéologiques, iconographiques ou textuelles. Cela me donne un nouvel angle et l’occasion de recommencer un cycle d’expérimentation». Évoque l’origine de cette démarche scientifique : «Les préhistoriens qui travaillaient avec très peu de source et de vestige ont été obligés de faire très vite de la taille de silex, d’essayer de reprendre les choses qu’ils avaient trouvées en archéologie pour essayer de comprendre ces populations». Souligne l’intérêt de cette démarche expérimentale: «A partir du moment où les Grecs vont commencer à se battre en phalange, c’est à dire dans une formation compacte, resserrée où on se protège les uns les autres, ils ont commencé à développer le système de la polis, Cité-État autonome et des modèles politiques qui sont la monarchie, l’aristocratie et la démocratie»… Avant d’exposer une contre-théorie: «La phalange elle est très mal connue, on a des courants historiques qui, au regard des sources, vont arriver à des conclusions complètement différentes. Certains disent que les phalanges sont très ouvertes et que chaque hoplite se bat individuellement, comme il est écrit dans les textes homériques, d’autres historiens tendent vers une phalange beaucoup plus fermée, beaucoup plus compacte où on se protège les uns les autres. La façon de se battre change la façon de penser politique, si vous avez un aristocrate qui peut s’illustrer à la guerre, cela veut dire qu’il va avoir une place plus importante dans la société, à l’inverse, si n’importe quel citoyen a la même place dans une ligne, dans une formation où chacun se protège, le corps civique fait corps réellement à la guerre, du coup on va pouvoir penser politique différemment». S’il considère que les jeux vidéo sont loin de la complexité historique, il y voit un atout: susciter un intérêt pour une période historique. Témoigne: «Moi-même, enfant, ce qui m’a donné le goût de l’Histoire, le film Les Visiteurs. Aujourd’hui je sais qu’il n’y a pas grand chose de fiable dans cette comédie». vincent_torres_hugon_pres_asso_les_somatophylaques_gardes_du_corps_14_06_2019.mp3 Propos recueillis par Mireille BIANCIOTTO