Paris c’est Modiano. Saint-Pétersbourg c’est Nicolas Gogol. La Russie tout entière c’est Dostoïevski, Barcelone c’est Lluis Llach. Venise c’est Donna Leon.
Née dans le New Jersey cette écrivaine américaine est tombée sous le charme de la cité des doges, au point d’y avoir vécu et d’avoir fait de son détective Guido Brunetti le représentant de ses intrigues policières. Au compteur une série d’aventures mouvementées où son flair de fin limier, sa ténacité proche de celle de Maigret lui ont permis de confondre assassins en tout genre.
Pourtant tout semble calme dans son existence puisqu’au début de ce qui va le plonger dans « Le palais de l’infortune » qui donne son titre au récit, notre flic dont la prudence est devenue une seconde nature a choisi de ranger tranquillement la bibliothèque du bureau de son épouse Paola. Afin de faire de la place, de lui être agréable, à elle et à sa fille Chiara, végétarienne au caractère bien trempé ayant convaincu ses parents et un peu son frère de réduire considérablement leur consommation de viande.
Le calme, on s’en doute, ne va pas durer, puisque Brunetti est appelé en renfort pour sortir de l’embarras Dario Alvise, un de ses adjoints arrêté à Trévise, à l’occasion de la Gay Pride et ce pour refus d’obtempérer. L’occasion pour lui et pour Donna Leon de dénoncer l’homophobie dont vient d’être victime le flic récalcitrant bien malgré lui. Tout ceci va néanmoins se régler assez vite, le temps pour Brunetti de recevoir un appel d’un autre de ses collègues au sujet d’un crime perpétré sur l’un des canaux de Venise.
La victime, Inesh Kavinda, Sri Lankais de 52 ans né à Colombo a été sauvagement mutilé. Il vivait dans une sorte de maison de gardiens attenante au palazzo Zaffo deil Leoni appartenant à son patron Renato Molin, professeur d’histoire médiévale marié depuis une dizaine d’années à Gloria Forcolin. Un palais qui intéresse beaucoup intellectuellement Brunetti au point d’avoir songé à le visiter, ce qui lui a permis d’y croiser la victime.
Les chemins de traverse d’une intrigue complexe
Formidablement construit ce polar érudit, et néanmoins facile d’accès, prend son temps pour d’abord présenter tous les acteurs de l’intrigue, qui, flics mais aussi librairie, expert en ostéologie, universitaires, pilote de canots sur la lagune, et menuisier comme le compagnon d’Alvise détiennent tous sans doute, sans forcément le savoir, une pièce du puzzle. Sur fond également d’évocation des années de plomb en Italie Donna Leon dans un style aussi limpide qu’un ciel bleu à Venise tisse sa toile narrative autour de portraits bigarrés et surprenants. On s’intéresse énormément à la vie du défunt à l’aune du regard que chacun porte sur cette affaire où l’on verra que cet infortuné palais , bijou patrimonial de Venise, en quête d’une future gérance cache en ses murs de lourds secrets. Absolument captivant ce roman sombre et et lumineux à la fois, magnifiquement traduit, demeure de bout en bout un festin de mots de rebondissements et d’émotions.
Jean-Rémi BARLAND
« Le palais de l’infortune » par Donna Leon. Traduit de l’anglais (États-Unis) par Gabriella Zimmermann. Éditions Calmann-Lévy. 331 pages, 22,50 €