Publié le 21 juin 2019 à 6h59 - Dernière mise à jour le 29 octobre 2022 à 11h59
Réalité virtuelle, réalité augmentée, art audiovisuel, génératif et interactif, Net-art, photographie numérique ou art robotique : tout cela se regroupe sous un vocable, l’art numérique. Soit une forme de création émergente que les décideurs locaux ont décidé de soutenir, via le lancement d’un club de mécènes. Le Digital Art Club, c’est son nom, s’est développé sous l’égide de la plateforme Chroniques et il ne ronge pas son frein sur ses ambitions, nationales et internationales.
Les artistes numériques auront désormais eux aussi leurs mécènes en Provence, et ces derniers seront regroupés au sein du Digital Art Club. L’initiative émane de Chroniques, une plateforme de soutien à la production et à la diffusion d’œuvres originales, non seulement régionales (on compte une trentaine d’artistes spécialisés numérique sur le territoire) mais aussi nationales et internationales, avec un budget de 100 000€ par an, auquel contribue la Région Sud-Provence-Alpes Côte d’Azur. Elle rassemble par ailleurs plusieurs lieux et structures régionales, supports d’exposition de cette création émergente. A présent c’est un pas supplémentaires que franchit Chroniques, après l’organisation de la Biennale des imaginaires numériques éponyme, dont la première édition a eu lieu en 2018 sur le territoire de Marseille-Provence en réunissant quelque 55 000 personnes. Et donc, elle fait désormais entrer dans la danse le monde de l’entreprise… La démarche n’est pas incongrue, explique Alexandre Contencin, fondateur et président de l’agence de communication Marsatwork : «En créant le Digital Art Club, nous souhaitions à la fois rassembler des professionnels soucieux de l’impact des nouvelles technologies sur les hommes et les organisations, proposer des réponses poétiques aux enjeux soulevés par le digital et organiser, avec des artistes, des expériences inoubliables pour les entreprises. Je souhaite que le Club puisse nourrir la raison d’être des entreprises participantes. Qu’elles le considèrent comme un véhicule de leurs valeurs et qu’il les aide à affirmer leur engagement face aux enjeux soulevés par le numérique, notamment dans le cadre de leur politique RSE.» Ainsi, poursuit Alexandre Contencin, à travers les synergies mises en œuvre via ce club de mécènes entrepreneurs, il sera hautement question de prospective, afin d’appréhender, ni plus ni moins, comment le numérique transforme la société, modifie la relation à l’autre. Et c’est vrai, les questions gravitant autour du numérique foisonnent: «quid de la RGPD ? De la Blockchain ? De l’IA ? De la Data ? Et puis, l’entreprise est de plus en plus productive, les tâches à faible valeur ajoutée sont prises en charge par les machines, alors, quid des salariés ?» Des échanges constructifs entre artistes et entrepreneurs pour se donner davantage de recul sur ces sujets. D’autant plus utiles que «les consultants éprouvent des difficultés à se projeter, à trouver des réponses à ces problématiques». Et c’est vrai que sur le seul chapitre de l’impact de l’automatisation sur l’emploi, on a entendu tout et son contraire… Alors oui, se saisir de l’art comme d’un observatoire de l’innovation et de ses effets sur la société, mettre sur la table un soupçon de concret à ces réflexions ne pourra pas faire de mal.
Une année de co-création
Plus précisément, ce club de mécènes, lancé le 15 mai dernier, a pour objectif de réunir entre 15 et 20 entreprises. Neuf avaient déjà répondu présent lors du lancement, émanant du monde de l’immobilier (Habside, Primosud), des assurances (Delta Assurance), de l’architecture et de la maîtrise d’ouvrage (AMO.au), des services (Argeste, Marsatwork), de l’éducation (Kedge Business School, Escaet) ou encore de la culture (Galerie David Pluskwa). « Deux entreprises supplémentaires nous ont rejoints dans les jours qui ont suivi, MCL Avocats et Totem Mobi. L’idée étant d’avoir tout d’abord un cercle rapproché, impliqué, sensible à la démarche et à la façon dont l’art numérique peut prendre sa place dans le domaine de l’entreprise», poursuit le fondateur. Mais pour connaître plus concrètement la façon de fonctionner du club, il faudra attendre un peu. Puisque critères de sélection des artistes, fonctionnement et façon de s’illustrer dans le soutien pour les entrepreneurs sont encore à l’étude. « 2019 sera une année de co-création : il s’agit de construire ensemble le programme et le modèle du club, puisque nous sommes en mode start-up». Ainsi, il y a pour l’heure une volonté, rendre l’art numérique accessible au plus grand nombre. Et une trame générale pour le business model, soutenir la création artistique digitale. Elle inclut la participation à des événements, l’organisation de conférences d’artistes et de porteurs de projets. «Cela permet déjà aux entreprises adhérentes d’avoir un prêt-à porter de ce que l’on peut faire. Mais elles pourront elles aussi s’impliquer dans des actions de mécénat. On pense notamment à la possibilité de collectionner les œuvres, d’autant que les entreprises en règle générale ne savent pas que l’art numérique, cela peut se collectionner. Par exemple en hébergeant l’œuvre au sein de l’entreprise, en la mettant à disposition des salariés. Dans le cadre d’un événement, elles peuvent également la faire voyager sur le territoire. Sachant que l’art numérique est pluri-vectoriel : kinesthésique, olfactif, visuel… » Parmi les sujets à l’étude lors de ces ateliers de co-création, la possibilité de développer par ailleurs des résidences d’artistes, de voir comme ces derniers peuvent travailler avec l’entreprise qui les accueille, et comment leurs créations peuvent servir l’activité économique de cet hébergeur.
Deux mondes qui se rapprochent
Car là où le rapprochement entre ces deux mondes, l’artistique et l’économique, est encore moins incongru, c’est lorsque l’on sait que les liens, par essence, sont déjà noués en partie entre eux. Puisque, c’est logique, l’utilisation de la technologie dans les arts numériques pousse les porteurs de projet à solliciter scientifiques et industriels afin de donner vie à leurs créations. C’est notamment ce qu’illustre l’artiste Guillaume Marmin : «Le développement de pièces spécifiques nécessite de travailler avec des structures équipées tels les fablabs ou des constructeurs spécialisés, mais aussi avec de plus en plus d’interlocuteurs du monde économique. Sur l’un de mes derniers projets, j’ai eu l’occasion de discuter avec le fabricant d’éclairage scénique Rober-Juliat pour la réalisation d’un projecteur. J’ai été particulièrement étonné de son accueil et de son intérêt. Nous restons en contact en vue de futures collaborations. La création d’œuvres in situ et pérennes est également l’occasion de travailler avec des architectes et des groupes immobiliers. J’ai eu l’occasion de le faire pour Lyon Métropole. Travailler sur des projets à cette échelle m’a poussé à élargir ma réflexion et imaginer comment ma proposition allait s’intégrer dans le paysage urbain et quelle relation pouvait se développer avec les habitants». Les entrepreneurs mécènes, de leur côté, entrevoient déjà très bien la valeur ajoutée que peuvent représenter ces synergies. «Au sein de ce club, nous souhaitons porter des innovations, donner une résonance à des artistes émergents et soutenir un laboratoire d’idées, inspirant et moteur de changement. Nous aimerions par exemple être moteur dans l’organisation de rencontres thématiques autour de l’application des arts numériques au monde de la ville et de l’habitat et ainsi développer l’échange et activer de nouveaux leviers », développe ainsi Delphine Gineste, DG de Habside.
Un maillage à l’international
L’initiative, en tout cas, est accueillie positivement par les artistes, qui sont bien au fait du contexte économique national et de la tendance à la baisse en termes de subventions publiques. « D’un point de vue économique, les partenariats avec des entreprises s’avèrent intéressants pour boucler des budgets de production de plus en plus conséquents. Nous constatons hélas un désengagement des institutions culturelles sur la production artistique et les échéances des calendriers de subvention sont bien souvent trop longues par rapport à notre réalité. Dans ce cas, le soutien d’une structure réactive capable de débloquer des fonds rapidement peut être salvateur», s’exprime encore Guillaume Marmin. Ainsi tout cela… c’est la feuille de route initiale. Mais le Digital Art Club ne ronge pas son frein en matière d’ambitions. «En 2020 nous souhaitons avoir une participation active à la future biennale de Chroniques en inscrivant le club dans l’événement et en permettant aux artistes soutenus de faire partie des sélections. Outre cela, nous avons des idées, par exemple favoriser les interactions avec des festivals étrangers, comme le C2 à Montréal, dédié à la création digitale au sens large. L’idée, c’est d’aller sur des événements pluriels ». Grâce à la biennale de 2018, des ponts ont déjà été bâtis avec le Québec, la Corée, la Chine. La naissance d’un maillage est amorcée.
Carole PAYRAU