Ça y est la première liste des prétendants au Renaudot 2024 est tombée.
La première sélection du prix Renaudot 2024 :
- Elisabeth Barillé, Les sœurs et autres espèces du vivant (Arléa)
- Miguel Bonnefoy, Le Rêve du jaguar (Rivages)
- Grégoire Bouillier, Le Syndrome de l’Orangerie (Flammarion)
- Hemley Boum, Le Rêve du pêcheur (Gallimard)
- Antoine Choplin, La Barque de Masao (Buchet Chastel)
- Kamel Daoud, Houris (Gallimard)
- Gaël Faye, Jacaranda (Grasset)
- Hubert Haddad, La Symphonie atlantique (Zulma)
- Philippe Jaenada, La Désinvolture est une bien belle chose (Mialet/Barrault)
- Patrice Jean, La Vie des spectres (Cherche-Midi)
- Karim Kattan, L’Eden à l’aube (Elyzad)
- Etienne Kern, La Vie meilleure (Gallimard)
- Benjamin de Laforcade, Berlin pour elles (Gallimard)
- Thibault de Montaigu, Cœur (Albin Michel)
- Olivier Norek, Les Guerriers de l’hiver (Michel Lafon)
- Jean-Noël Orengo, « Vous êtes l’amour malheureux du Führer » (Grasset)
- Abel Quentin,Cabane (L’Observatoire)
- Isabelle Sorente, Medusa (JC Lattès)
Le jury a également défini une liste de 11 essais pour le prix Renaudot Essai, qui sont pour certains des récits, dont un illustré, celui de Frédéric Pajak sur Nietzsche et la musique.
La prochaine liste sera établie le jeudi 3 octobre, avant le dévoilement des finalistes le jeudi 24 octobre, puis la proclamation du prix le 4 novembre chez Drouant.
J.M.G Le Clézio président
Cette année, le jury est présidé par Jean-Marie Gustave Le Clezio, accompagné des neuf autres membres Jean-Noël Pancrazi, Georges-Olivier Châteaureynaud, secrétaire général, Dominique Bona, Franz-Olivier Giesbert, Patrick Besson, Frédéric Beigbeder, Cécile Guilbert, Stéphanie Janicot et Mohammed Aïssaoui.
L’an dernier, Ann Scott avait été couronnée pour son roman Les Insolents paru aux éditions Calmann-Lévy et écoulé depuis à près de 67 000 exemplaires en grand format, selon GFK. La version poche chez J’ai lu est sortie à la fin du mois d’août.
L’Aixois Armand Lunel, 1er Prix Renaudot de l’Histoire
« Nous n’oublierons jamais cette nuit du 9 septembre 1899. La cérémonie…. (…) lorsqu’un coup de sonnette tinta au fond du vestibule… » Ainsi débute « Nicolo-Peccavi », le roman d’Armand Lunel sous-titré « L’affaire Dreyfus à Carpentras» publié chez Gallimard en 1926. Un roman qui a pour particularité d’avoir été le premier Prix Renaudot de l’Histoire et d’avoir couronné un Aixois dont une salle de la Cité du livre d’Aix-en-Provence porte son nom. Mais une peu d’Histoire justement. Le Prix Renaudot, qui tire son nom de Théophraste Renaudot (1586-1653), médecin et journaliste français reconnu pour être le pionnier de la presse et de la publicité en France, a été décerné pour la première fois en 1926 par des journalistes-échotiers qui attendant les résultats du Goncourt trouvaient parfois le temps long. Alors ils décidèrent de créer leur propre prix qui devait au départ corriger le choix du Goncourt. Un Prix qui a vu couronner, entre autres, Marcel Aymé, Louis-Ferdinand Céline, Louis Aragon, Michel Butor, Édouard Glissant, Le Clézio, et même parfois en la personne de Irène Nemirovsky -c’était en 2004 à titre posthume pour son roman « Suite française »- une auteure décédée… en 1942 et dont on rééditait l’ouvrage.
18 romans en course dont ceux de 3 femmes seulement
Qui succédera à Ann Scott, lauréate en 2023 avec « Les insolents » ? 18 romans au lieu de 16 l’an dernier concourent pour cette édition. Seuls trois sont signés par des femmes : « Les sœurs et autres espèces du vivant » d’Elisabeth Barillé, « Medusa » d’Isabelle Sorente et « Le rêve du pêcheur » de la Camerounaise Hemley Boum, livre qui présente la particularité d’avoir paru non pas en cette période de rentrée littéraire mais en janvier.
Le plus intéressant des trois (toujours selon moi ) demeure « Medusa » où Isabelle Sorente par le biais des rapports entre Liam et une certaine Beatrix qui l’aide à faire le deuil de sa sœur Marianne morte à vingt ans questionne le mystère des origines et de la transmission. Liam découvrant que sa sœur avait une fascination pour les monstres permet aux lecteurs qui se promèneront dans la ville de la Ciotat, comme on ne l’a jamais vue, de s’interroger sur comment faire le deuil de ses anciennes douleurs, comment pardonner, comment aimer.
On retrouve dans la première sélection du prix Renaudot six auteurs en commun avec celle du Goncourt. A savoir les deux grands favoris, à mes yeux, que sont Kamel Daoud et Gaël Faye, dont le deuxième roman, « Jacaranda », s’est classé dans les meilleures ventes dès sa première semaine de parution, mais aussi Philippe Jaenada, Etienne Kern, Thibault de Montaigu, Jean-Noël Orengo et Olivier Norek, auteur connu pour ses polars qui, invité surprise de cet automne pourrait bien mettre tout le monde d’accord. Inclassable « Cabane » d’Abel Quentin nous embarque dans le Berkeley de 1973 jusqu’aux années 2020 dans ce qui est le récit d’une traque et la satire féroce d’une humanité qui danse au bord de l’abîme. Un roman jubilatoire où l’auteur « dénonce la croissance sans fin qui nous mène à notre fin. » Bien connu des lecteurs Grégoire Bouillier évoque, dans « Le syndrome de l’Orangeraie », «Les nymphéas» de Monet qui, selon le narrateur, pourraient cacher un sombre secret. Entre biographie en creux du peintre, et réflexion sur l’art, avec une plongée au Japon et même dans le camp d’Auschwitz-Birkenau voilà un roman foisonnant qui traite d’esthétique autant que hymne à la fiction et que le juré Jean-Noël Pancrazi place très haut.
Au Japon on y retourne aussi avec « La barque de Masao » roman par lequel son auteur Antoine Choplin raconte une bouleversante histoire d’amour entre Masao, gardien d’un phare qui a construit une barque de ses propres mains, et Kazue, la mère de Harumi qui est venue l’attendre sur l’île de Naoshima, plus de dix ans après leur dernière entrevue.
Texte très émouvant « Berlin pour elles » de Benjamin de Laforcade nous plonge dans une ville martyre et sur vingt ans traverse l’histoire de la RDA avec des personnages qui tenteront de s’évader du « paradis socialiste » et d’autres qui seront victimes de son implacable régime. Un roman haletant sur fond de totalitarisme où l’amitié entre Hannah et Judith tiendra lieu de nœud central du récit.
La guerre encore avec « La symphonie atlantique » où Hubert Haddad par un conte tragique, cruel et merveilleux brosse le portrait de Clemens, jeune Allemand issu de la bourgeoisie cultivée et bientôt à l’abandon, fera de son violon un rempart contre la dictature nazie, et un confident de ses espoirs et de ses peines.
Jean Dulac le héros de « La vie des autres » le roman de Patrice Jean est un journaliste dans la presse régionale qui voit un jour sa vie basculer à la suite d’un de ses articles faisant polémique. Sa femme et son fils se dressant contre lui il quitte alors le foyer familial. Direction un pavillon abandonné dans lequel il nouera un dialogue stupéfiant avec les spectres. Onirique, déroutant, audacieux.
Un écrivain palestinien
On notera dans la liste la présence de Karim Kattan, écrivain palestinien né à Jérusalem en 1989, qui ayant grandi à Bethléem est devenu docteur en littérature comparée et écrit en français et en anglais. Il est sélectionné pour son roman L’Eden à l’aube défendu avec passion par JMG Le Clézio. Alors qu’un étrange vent de sable ensevelit le pays, deux hommes se croisent chez tante Fátima. Dans Jérusalem, ville labyrinthe, on se séduit chaque nuit en imaginant des histoires de lions et de chevaliers. En cette saison démoniaque, Gabriel et Isaac s’aiment, se perdent et se retrouvent, puis décident, en dépit du sable et des checkpoints, de partir en vacances… Mais n’est-ce pas un projet fou dans un pays morcelé ? Dans ce roman déchirant, Karim Kattan raconte en fait une pure histoire d’amour entre deux jeunes hommes palestiniens, dans un pays balayé par le vent de sable, plombé par l’occupation israélienne et la soldatesque, hanté par les esprits. L’Éden à l’aube, premier grand texte homosexuel en territoire occupé, est un puissant démenti aux préjugés sur la Palestine.
« Le rêve du jaguar » de Miguel Bonnefoy : chef d’oeuvre absolu
Et puis il y a « Le rêve du jaguar » de Miguel Bonnefoy, un chef d’oeuvre absolu dont on s’étonne de ne pas le voir figurer sur la liste du Goncourt. Ralentir immense livre qui raconte l’incroyable destin d’une famille vénézuélienne. Gabriel Garcia Marquez, Jorge Amado et le Carlos Fuentes de « Terra Nostra » ont trouvé ici un successeur français. Il s’appelle Miguel Bonnefoy, il est franco-vénézuélien, il écrit dans notre langue, et vient de signer avec « Le rêve du jaguar » le roman le plus flamboyant et le plus émouvant que l’on puisse concevoir. Je mets au défi quiconque de ne pas être remué aux larmes en terminant cette saga politique et familiale inspirée de la vie des grands-parents de l’auteur. On est secoués, bouleversés par les portraits de chaque protagoniste, impressionnés par les récits successifs qui enrichissent la narration limpide et luxuriante surprenante et inventive. Au départ un nouveau-né orphelin de la rue, abandonné sur les marches d’une église dans une rue de Maracaibo qui porte aujourd’hui son nom. Recueilli par une mendiante muette, élevé dans la misère, tour à tour vendeur de cigarettes, porteur sur les quais, domestique dans une maison close, Antonio Borjas Romero, personnage inspiré par le grand-père de Miguel Bonnefoy et que l’on croirait par moments sorti d’un roman de Victor Hugo, deviendra grâce à son énergie bouillonnante un des plus illustres chirurgiens de la région. Généreux, humble, « généraliste de plage exerçant gratuitement habillé en short et espadrilles alors que du lundi au vendredi il était cardiologue dans le principal hôpital de Maracaibo » (ville évoquée par Julien Clerc dans « Et surtout ») il sera accompagné par une femme d’exception, Ana Maria Rodriguez qu’il épousera après une rencontre dépassant tout ce que vous pouvez imaginer en termes d’éloge du romanesque et de passions pour les récits d’amour.
La première femme médecin de cette région du Vénézuéla
Une femme digne et droite qui se distinguera comme étant la première femme médecin de la région, avec qui il aura une fille baptisée Venezuela, du nom de leur nation commune. Celle-ci aura à son tour un fils prénommée Cristobal, qui né à Paris se transformera par le biais d’un carnet en conteur de l’évolution de la famille qui affrontera avec héroïsme les révolutions de leur pays au cours du XXe siècle. Ils ont pour nom (entre autres) Eva Rosa, Pedro Clavel, Diana del Alba, Emilio Montero, Alejandro Crespo, Martin Gamez, Leona Coralina, Oscar, Teresa, composant les figures « accompagnatrices » du récit qui porte de nombreux marqueurs spatio-temporels à la Garcia Marquez du genre « Bien des années plus tard… » On les voit ici vivre et parfois mourir dans un souci de quitter ce monde sans bruit et avec élégance. La vieillesse d’Antonio et Ana donnant corps à des pages d’une intensité inégalable, on suit les uns et les autres allant de surprises en surprises comme par exemple la découverte d’un pingouin échoué aux Caraïbes. On retiendra aussi dans ce livre qui fait l’éloge de la parole et du silence cette phrase page 218 : « On est esclave de ce qu’on dit et maître de ce qu’on tait. » Vous avez dit chef-d’oeuvre ? Vous avez bien raison.
A vos Renaudot prêts… votez
Jean-Rémi BARLAND