Paris. Théâtre des Abbesses: « La vie secrète des vieux » de Mohamed El Khatib bouscule la bienséance

Le théâtre parisien des Abbesses affiche complet tous les soirs. Dans la salle, étonnamment peu de retraités venus glaner quelques conseils, plutôt un public jeune – 25-40 ans. Il retrouve sur scène sept vieux désinhibés qui ont encore le désir chevillé au corps. Saluée au festival d’Avignon, la pièce connaît le même succès dans la capitale.

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«La vie secrète des vieux» de Mohamed el Khatib_@ Yohanne Lamoulère / Tendance Floue

Un coup de jeune

Cette pièce donne un coup de jeune aux Ehpad. Sur scène, on n’y attend plus la mort en silence. On parle de sexe, de plaisir, d’amour… même si on nous avertit qu’«en fonction du grand âge des acteurs et malgré les deux défibrillateurs à disposition, certain(e)s sont susceptibles, comme Molière, de mourir sur scène ». Ce qui, avouons-le, est préférable à mourir en Ehpad !

Dans son fauteuil, la doyenne de la troupe, 91 ans, Belge et ancienne présentatrice du journal TV s’avance, poussée par un autre vieux. Elle avoue que ce qui lui manque aujourd’hui, elle qui a eu beaucoup d’hommes, « c’est d’embrasser quelqu’un sur la bouche et de manquer à quelqu’un ».

Théâtre documentaire

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«La vie secrète des vieux» de Mohamed el Khatib_@ Yohanne Lamoulère / Tendance Floue

Figure de proue du théâtre documentaire, Mohamed El Khatib tire cette pièce d’une série d’entretiens réalisés en Ehpad durant le Covid. «La vie secrète des vieux» raconte l’amour au 4e âge. Mohamed El Khatib nous offre un antidote face aux angoisses de la vieillesse. L’idée reçue selon laquelle les personnes âgées seraient privées de désir amoureux est remise en question dans cette création. Il fait émerger les confidences de nos anciens âgés de 76 à 91 ans. La parole est libre, décomplexée. C’est le privilège de l’âge. On peut tout se permettre. Il a refusé de prendre des acteurs au profit de personnes « qui vivent la vieillesse dans leur chair ».

Les vieux ne parlent plus…

« Les vieux ne parlent plus, disait Jacques Brel, ou bien alors seulement du bout des yeux ». Le mérite de Mohamed El Khatib est de ne pas passer par le medium des soignants, des enfants ou des journalistes pour parler des vieux mais de nous livrer les confidences des ancien(ne)s, brutes de décoffrage. Le corps s’use bien sûr, l’autonomie régresse, la finitude est là, au bout, mais on peut encore désirer, se faire plaisir, jouir. Réinventer une sexualité qui a son propre rythme. On parle de clitoris, d’homosexualité et bien d’autres choses sexuelles. L’amour et le désir n’ont pas de fin sauf quand les enfants s’en mêlent.

Le suicide

C’est peut-être là où Mohamed El Khatib n’est pas allé assez loin, est resté trop superficiel. Au détour d’une discussion les anciens abordent le suicide d’une amie qui vivait une grande passion avec un résident. Leurs enfants s’étaient opposés à leur histoire et les avaient séparés. La vie étant devenue insupportable sans son compagnon, la résidente s’était suicidée. Mais pas de débat, de remise en cause sur scène. Or leur tragédie aurait servi cette vie qu’on veut parfois voler, souvent par cupidité, aux parents. Au-delà de ce bémol « La Vie secrète des vieux » brise le tabou de la sexualité, sort les anciens de l’enfermement et est à conseiller dans tous les Ehpad.

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Reportage Joël BARCY

« La vie secrète des vieux »  Mohamed El Khatib jusqu’au 26 septembre au  Théâtre des Abbesses  -31, rue des Abbesses – Paris 18e. 

 

 

 

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