Émotion et éclat. Ces mots résument l’impression que laisse le troisième concert du Festival d’orgue de Roquevaire 2024. Cette session avait invité des interprètes de tout premier plan en réunissant l’ensemble Hymnis, un des fleurons de nos groupes vocaux régionaux, dirigé par Bénédicte Pereira, cheffe de chœur authentiquement professionnelle, avec Thomas Ospital, un des deux titulaires de l’orgue de Saint-Eustache à Paris, organiste dont le rayonnement international est bien connu.
Ces musiciens ont déployé leur indéniable talent au fil d’un programme très judicieusement conçu, alternant œuvres sacrées et pièces d’orgue en solo. Du côté vocal, les découvertes, souvent axées sur des morceaux de compositrices assez injustement négligées jusqu’à présent, furent nombreuses, allant de messes de Cécile Chaminade (une merveille) à Guy Ropartz (en l’honneur de Sainte Anne) sans oublier les tragiques litanies de Poulenc ou l’élégance elliptique de Mel Bonis en conclusion de concert. Ce qui caractérise l’art de cet ensemble, composé de dix chanteuses magnifiquement solistes mais qui savent fusionner leur art pour un résultat impeccable, c’est une capacité unique à savoir arrondir des registres parfois tendus afin de dégager toute l’émotion intense de ces pages denses ou retenues. Et tout ceci dans un souci d’expressivité permanente grâce à la direction tout à la fois précise et intense de Bénédicte Pereira, qui insuffle à ses voix un phrasé où se lit le souci permanent d’un phrasé large et d’une intensité bouleversante.
Du côté orgue, c’est une leçon magistrale qui a été donnée à entendre par Thomas Ospital, leçon que le « petit monde » des organistes locaux, brillant une fois de plus par son absence, aurait été bien inspiré de recevoir. À 34 ans, voici un musicien pratiquant déjà son art dans toutes les dimensions ultimes qu’il permet d’atteindre. Il y a tout d’abord chez lui un sens aigu et bien français de la couleur. On a pu s’en rendre compte dans sa « réorchestration » à l’orgue de Ma mère l’Oye de Ravel, où en un minimum de temps il a prouvé combien il savait domestiquer les possibilités infinies de l’instrument de Roquevaire. Miroitements également présents dès le début de sa spectaculaire improvisation de fin de première partie. Celle-ci, démarrant par des chants d’oiseaux bigarrés sur des nappes d’accords profonds et soutenus, s’est progressivement mise à traverser des moments plus angoissants avant d’exploser en un toccata basée sur des répétitions obsessionnelles jusqu’à une péroraison époustouflante, déclenchant logiquement les ovations du nombreux public. Mais cette plénitude organistique et cet engagement physique se sont également fait sentir dans le final de la première sonate de Guilmant et dans la fluide sicilienne de Duruflé, ainsi que dans toutes les pièces en duo avec l’ensemble vocal, grâce encore au choix extrêmement varié et judicieux des registrations, dans une texture dense qui appuyait le déroulement vocal et le dramatisait sans faille.
Ce fut ainsi une soirée admirable pour un festival qui se déroule jusqu’au 13 octobre et au sujet duquel le directeur artistique, Jean-Robert Caïn, a malheureusement dû alerter sur l’absence d’aide publique, les collectivités n’ayant pas toujours un regard juste ou même intelligent sur l’importance réelle des idées culturelles qui leur sont proposées. Il a indiqué qu’on pouvait individuellement aider cette action (lien ci-dessous) qui reste un projet majeur et particulièrement rayonnant pour notre région.
Philippe GUEIT
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