Cent ans, âge vénérable qui provoque, peut-être, l’affaissement des sièges de la vénérable maison qu’est l’Opéra de Marseille… Mais qu’importe l’inconfort pourvu qu’on ait l’ivresse ! Et, à défaut d’ivresse, avec «Norma» l’ouverture de la saison du centenaire nous a procuré du bonheur ; c’est l’essentiel. Et la prochaine fois, pour en profiter encore plus, nous viendrons avec notre coussin !
C’est la production toulousaine de Norma, réalisée par l’écrivaine et metteure en scène Anne Delbée, qu’a choisi Maurice Xiberras , le directeur de l’Opéra de Marseille, pour ouvrir la saison du centenaire. Et il a bien fait ! Au cœur des univers mystique et onirique des druides célébrant la nature et celui, plus prosaïque où un homme délaisse la femme à laquelle il a donné deux enfants, Anne Delbée installe le drame dans les décors d’Abel Orain et Hernan Penuela sobres et efficaces. Un écrin fantasmagorique hanté par le grand cerf blanc, dieu gaulois qui annonce leur destin aux humains qui le croisent, et où l’acier se refroidit en prenant des reflets bleutés et se réchauffe avec des tons rouges. Rouges comme la lune qui verra Norma aller au bucher en compagnie de son amant Pollione revenu en amour pour elle.
Norma, c’est Karine Deshayes qui lui donne vie avec grande classe ; dans le jeu, mais aussi vocalement. La mezzo soprano qui est à l’Opéra de Marseille comme à la maison embrasse son personnage dans toute sa dimension, tour à tour prêtresse puissante et femme fragile. Et sa voix suit son jeu, tour à tour sensible et violente avec la même aisance et la même précision. A ses côtés c’est la soprano Salomè Jicia qui campe une Adalgisa tourmentée avec un jeu aérien et une ligne vocale idéale. La qualité de ses duos avec Karine Deshayes est remarquable. Si elle ne fait que quelques passages sur scène, la Clotilda de Laurence Janot, est parfaite dans le jeu et voix chaude.
C’est Enea Scala, un autre « chouchou » maison qui incarne le proconsul romain Pollione et ce rôle de macho méditerranéen lui convient parfaitement. Le jeu est parfait et la voix également avec une ligne de chant précise et puissante. Et lorsqu’il faut entrer dans les parties plus intimes du rôle, songe funeste et repentir final, le ténor sicilien sait revenir dans des tons plus sensibles tout comme il n’hésite pas à réduire le volume à l’occasion des duos et trios avec Norma et Adalgisa. C’est Patrick Bolleire qui, avec une voix sombre et précise, campe le grand-prêtre et père de Norma avec aisance. Quant à Marc Larcher, ses trop rares apparitions sur scène sont irréprochables tant dans le jeu que vocalement.
Irréprochable, aussi, le chœur de la maison, précis et présent, idéalement préparé par Florent Mayet et Clément Lonca. Et que dire de la direction de Michele Spotti ? A la tête de cet orchestre de l’Opéra de Marseille dont il entretient désormais les qualités, le jeune maestro italien a livré une lecture somptueuse de l’ouvrage de Bellini, lui procurant toute sa dimension émotionnelle et mettant en avant le génie du compositeur. Spotti et les musiciens ont bien mérité les ovations qui leurs furent réservées à la reprise après l’entracte et, bien entendu, au final.
C’est ainsi que la saison du centième anniversaire de l’Opéra de Marseille s’est ouverte et si ce qui suit est de la même facture, il nous reste de riches heures à vivre. Et c’est tant mieux…
Michel EGEA
Norma de Vicenzo Bellini, à l’Opéra de Marseille. Prochaines représentations les 1er et 3 octobre à 20 heures