Marseille- Théâtre des Bernardines. «C’est pas parce qu’on n’a rien à dire qu’il faut fermer sa gueule » de  Johana Giacardi : le public s’approprie aussi la scène…

On est d’abord surpris, intrigué et pour le moins décontenancé. D’emblée Johana Giacardi -dont on avait adoré sa « Saga de Molière »-  accueille le public en lui glissant dans les mains le texte de la chanson d’Alphaville «Forever young » et annonce qu’elle va demander aux spectateurs présents aux Bernardines de l’interpréter avec elle à son signal. Vaste plateau de forme ronde avec des tréteaux en bois, la scène rappelle les espaces de la Commedia dell’arte dont le spectacle « C’est pas parce qu’on a rien à dire qu’il faut fermer sa gueule » visiblement s’inspire.

Destimed Claire Gaby CPP copie
© Claire Gaby

On est étonné puis séduit par les notes d’intentions de la metteuse en scène de la Cie Les Estivants qui précise : «J’ai découvert les origines de confession nocturne et la communauté des « sans-sommeil »  d’Allo Macha ». Présentée par Macha Béranger entre les années 1970 et 2000 cette émission radiophonique était diffusée sur France Inter et reposait sur les confidences téléphoniques des auditeurs. Inspiré par ce format radiophonique? Johana Giacardi précise:  «J’ai décidé d’en tenter une adaptation pour le théâtre.» C’est ainsi qu’est né « C’est pas parce qu’on n’a rien à dire » titre d’un film célèbre où l’on cherche ici une forme d’authenticité dans la parole pour faire tomber les masques.

L’occasion idéale pour instaurer une relation basée sur la proximité qui verra bon nombre de spectateurs et spectatrices donner leur avis, témoigner se réapproprier aussi la scène. Mais ne nous y trompons-pas. Très structurée la pièce est tenue quatre comédiennes authentiques entourant Johana Giacardi. Edith Mailander en spiderman qui va faire entendre « J’oublie tout » de Jul, Anne-Sophie Derouet qui évoque un extrait de « Steppe», signé René Aubry, Anaïs Aouat déguisée en marquise puis Naïs Desliles vont investir l’espace avec disons-le des fortunes diverses, moment hilarant cependant la scène de l’empoisonnement de « Roméo et Juliette » donnée avec humour et les déplacements absolument sensationnels d’Anaïs dans la peau d’un clown. La place des hommes les relations femmes-amants sont inhérentes au spectacle avec la présentation de ses joies, de ses épines de ses larmes.

Johana Giacardi évoque son coming-out

Fille de prof dont la mère lui a tout appris sauf à exprimer les émotions, Anaïs, qui rappelle qu’enfant elle vivait dans la honte, parle de la mort de celle qui l’a mise au monde et a tenté de tout lui apporter sauf peut-être l’essentiel… à savoir l’estime de soi. Elle qui s’accomplira en tant qu’elle-même quand elle ne fut plus là elle offre un moment du spectacle bouleversant. Mais la grande sensation pour le public viendra de Johana qui en guise de conclusion racontera comment en concours d’entrée dans différentes écoles de théâtre se verra reprochée d’incarner dans des scènes présentées aux différents jurys  des rôles d’hommes. Et d’exprimer dans quelles circonstances elle fit son coming-out dans un texte magnifiquement écrit joué au public avant que celui-ci n’entonne pour ceux qui la connaissaient (c’est à dire à peu près tout le monde) « Forever Young » lancé à la régie par Lola Delelo au sommet de son art. Public différent oblige la pièce n’est jamais la même d’un soir à l’autre, et c’est tant mieux. Certes tout cela est parfois inégal, mais voilà un grand moment scénique de sincérité et de talent qui fait aimer le théâtre ses espaces de liberté et ceux qui le servent avec comme ici pour reprendre la fin de Cyrano un certain « Panache » pour ne pas dire un panache certain.

Jean-Rémi BARLAND

Au théâtre des Bernardines – 17, bd Garibaldi – 13001 Marseille. Du mardi 1er au samedi 5 octobre à 20h. Sauf le mercredi 2 octobre à 19h. Réservations sur lestheatres.net

 

 

Articles similaires

Aller au contenu principal