Aix-en-Provence. Théâtre du Jeu de Paume- Camille Cottin éblouissante dans « Le rendez-vous », adaptation théâtrale de « Jewish Cock » de Katharina Wolckmer

«Je sais que le moment n’est sans doute pas le mieux choisi pour évoquer ce sujet, Dr Seligman, mais je viens de me rappeler qu’une nuit j’ai rêvé que j’étais Hitler. Ça me gêne horriblement d’en parler, encore maintenant mais j’étais lui pour de vrai, surplombant une foule de partisans fanatiques, en train de prononcer un discours du haut d’un balcon. » Ainsi débute « Jewish cock » de l’écrivaine allemande Katharina Volckmer, qui née en 1987 s’est installée à l’âge de dix-neuf ans à Londres où elle travaille aujourd’hui pour une agence littéraire.

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Le Rendez-vous, Camille Cottin © Les Théâtres

Roman explosif en forme de monologue dont l’écriture comme l’a fait remarquer Jonathan Capdevielle qui a signé son adaptation pour la scène avec Camille Cottin  « navigue entre la réalité le fantasme et la fiction » ce texte fort, puissant, tragique et drôle est un choc. On y explore « la culpabilité allemande, la question du genre, l’asservissement de nos corps et le danger des tabous érigés en barrières morales.»  Un roman écrit en anglais salué en Europe comme une œuvre majeure et dont l’auteure a été saluée par Camille Cottin qui incarne la narratrice dans un moment théâtral lui aussi tellurique puissant comme étant « incisive, percutante, dérangeante et suprêmement drôle. »

 

Glissant progressivement d’une thématique à l’autre, avec une frontière trouble entre l’histoire personnelle et la fiction, quand il s’agit, comme le note encore Jonathan Capdevielle : « Du rapport que le personnage entretient avec la sphère familiale sa relation au corps, au sexe, à l’amour et à la religion ». « Jewish cock », nous plonge dans le cabinet du Dr Seligman que l’on ne verra jamais mais que l’on entendra par bribes répondre à la narratrice. Celle-ci, qui est venue lui demander de se faire greffer un pénis s’adresse au médecin allongée alors que celui-ci s’affaire entre ses cuisses. « Nous ne sommes pas le destin des autres…mais les péchés les uns des autres » lancera-t-elle au gynécologue faisant surgir dans son récit images troublantes et portraits de proches. Parmi eux on retiendra celui bouleversant de son arrière-grand-père « un catholique qui avait les armes en horreur » et qui « était simplement le chef de gare du dernier arrêt avant Auschwitz, où les trains faisaient souvent halte toute la nuit, où il s’assurait qu’il n’y ait pas d’embouteillages, que la circulation reste fluide et que les trains puissent repartir sans encombres ».

Quant à la conclusion « Soyons pareils à l’or, Dr Seligman. Changeons de forme par-delà les siècles mais sans jamais disparaître. Tenons-nous la main. Soyons des guerriers » elle montre la détermination de la narratrice à poser les bases des espaces de liberté qu’elle veut voir triompher.

Camille Cottin magique et solaire

Seule en scène enveloppée d’un grand drap bleu qui tient tout le plateau, et dont elle surgit par moments lorsque l’émotion de sa confession la submerge Camille Cottin, magique et solaire est exceptionnelle. C’est elle qui est venue proposer ce texte à Jonathan Capdevielle lorsqu’elle lui a confié son désir de retourner sur les planches. Le travail des deux artistes est tout à fait saisissant et le talent du metteur en scène vient de ce qu’il n’illustre pas le texte en faisant de la paraphrase mais en donnant à voir des éléments souvent suggérés par le rapport délirant de la narratrice avec le réel. Beau plastiquement, dérangeant à souhait, vivifiant et posant les bases d’un dialogue apaisé entre les hommes et  les femmes dans un rejet radical du machisme et du patriarcat, ce spectacle qui pourrait s’apparenter à un kaddish secoue, et interpelle. Intitulé « Le rendez-vous » , co-produit par les Théâtres, le Théâtre du Jeu de Paume notamment où il est donné actuellement, est un moment artistique d’une heure intense en forme de réflexion intime sur les fondements de l’identité, l’idée de l’exil, et de la question complexe de la construction de soi. Radical, salutaire, inoubliable !

Jean-Rémi BARLAND

Au Jeu de Paume jusqu’au 5 octobre à 20h. Sauf le mercredi 2 octobre à 19h.  Réservations sur  www.lestheatres.net

 

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