Dix ans que Clovis Cornillac n’était pas monté sur scène. Le retour est impressionnant. Il incarne un Monet tourmenté et endosse vaillamment le costume élimé de l’artiste et sa palette complexe de sentiments. Le comédien épouse avec une puissance de jeu remarquable les émotions qui vont traverser l’artiste durant son séjour à Rouen.
Pauvreté matérielle et morale
Nous sommes au début des années 1890, Monet, fatigué et déprimé, refuse toute visite dans l’atelier rouennais où il s’est réfugié, au-dessus d’une boutique de lingerie. Il est proche du néant, sans inspiration, sans ressources aussi, ses toiles ne se vendent pas. Clovis Cornillac offre une interprétation lumineuse, sensible du peintre impressionniste. Recroquevillé sur le lit de son atelier, incapable de recouvrir la moindre toile, il interprète avec justesse la noirceur du personnage.
Le goût de la vie
C’est ce moment de désespoir que Cyril Gely choisit de raconter via l’apparition d’une jeune modiste, prénommée Camille, venue essayer un corsage. Elle porte le même prénom que l’épouse de Monet, disparue une décennie plus tôt. Camille (Maud Baeker) est une jeune femme solaire. Elle exaspère un Monet bougon mais progressivement elle va permettre sa résurrection, lui redonner goût à la vie et à la peinture. Jusque-là incapable de créer, Monet quitte son lit, fait face à la cathédrale de Rouen et saisit ses pinceaux. De sa fenêtre il peindra à chaque heure du jour la cathédrale qui s’habille d’une livrée rose, violette, rouge ou bleue. Les touches noircissent la toile au rythme des notes de piano d’Erik Satie. A quoi sert l’art ? A voir les choses autrement.
Saisir la lumière
« Dans les yeux de Monet » nous plonge au cœur du tourment de Monet : saisir la lumière. La pièce est une ode à la beauté et à la création. Galvanisée par sa muse, Monet ne cesse de peindre la cathédrale de Rouen. Les couleurs jaillissent sur la toile mais aussi sur les murs grâce à un procédé vidéo. L’atelier sombre se mue en une scène lumineuse. Les tableaux de Monet éclaboussent les espaces avec leurs couleurs.
Eric Prat, le marchand d’art Durand-Ruel, qui harcèle le pauvre artiste depuis des semaines pour se renflouer et dans le même temps sortir Monet de la misère est ébloui. Il sait qu’il détient des œuvres d’art, que Monet a su se transcender.
Créer
La pièce enseigne sur la difficulté de créer et le triste quotidien des artistes dont les œuvres sont aujourd’hui mondialement connues et drainent des milliers de visiteurs lors des rétrospectives. La mise en scène est volontairement intimiste. Elle confronte l’artiste et sa toile, nous offre une immersion dans l’esprit du Monet et nous fait toucher du doigt son génie créateur et l’émotion qu’il suscite.
Auréolé du succès de « Un p’tit truc en plus », 10,7 millions d’entrées, Clovis Cornillac a troqué son costume de faux éducateur spécialisé pour celui du peintre compulsif avec le même bonheur.
Joël BARCY
«Dans les yeux de Monet » jusqu’au 24 novembre. Théâtre de la Madeleine – 19, rue de Surène, 75008 Paris