L’intrusion du fantastique dans un univers plutôt calme. Une sorte de schizophrénie qui s’empare des personnages. Les rapports de couple étrillés au scalpel. Autant de thèmes qui traversent les pièces de théâtre de Sébastien Thiéry, auteur peu consensuel dont l’humour et l’impertinence d’écriture cachent une certaine vision dramatique de l’existence. « Vidéo club », la dernière en date que l’on peut voir à l’Opéra de Marseille dans une coréalisation Théâtre du Gymnase/Ville de Marseille séduira tous ceux qui apprécient son travail de scrutateur des âmes.
L’intrigue en est simple. La production la résume ainsi : « Ça sent le roussi dans la cuisine de Justine et Jean-Marc. On peut même dire que le torchon brûle entre le couple de quinquagénaires depuis qu’ils ont découvert qu’une webcam les filmait entre la poire et le fromage. Vidéo après vidéo, leurs mensonges et leur médiocrité leur éclatent à la figure. Empêtrés dans leur mauvaise foi, ils tentent de justifier des vérités qui n’étaient pas bonnes à dire » Au fil des répliques qui font feu de tout bois le mari (Yvan Attal) et son épouse (Noémie Lvovsky) rivalisent d’audace dans la lâcheté et l’hypocrisie roublarde. Avec au final cette sorte de recommandation : « La transparence et la vie de couple ne faisant pas bon ménage, méfions-nous des webcams.»
Souriez vous êtes filmés
« L’idée de cette pièce m’est venue lors d’un dîner », raconte le dramaturge Sébastien Thiéry. La maîtresse de maison avait un peu bu, elle était nerveuse et monopolisait la parole. Tout le monde était embarrassé, son mari en premier lieu. J’ai essayé d’imaginer la suite, une fois les invités partis. Le mari qui reproche à sa femme son comportement. La femme qui ne comprend pas de quoi il parle. Le couple qui se dispute car ils n’ont certainement pas ressenti les événements de la même façon. Deux points de vue qui s’opposent.. Qui a raison ? Qui a tort ? Où se situe la vérité ? Scène de dispute classique d’un couple ordinaire.. Et si le dîner avait été filmé ? Comment aurait réagi la femme devant les images ? Et si une caméra était posée chez eux depuis des années ? Et s’ils recevaient des vidéos dévoilant leurs secrets, leurs mesquineries, et leurs faux-semblants ? Et si, et si… »
On rit beaucoup à cette comédie grinçante dont la situation initiale pourrait se résumer par ce slogan : « Souriez…vous êtes filmés. » Quant à la mise en scène assez classique de Jean-Louis Benoit, celui-ci en résume ainsi les intentions : « Justine et Jean-Marc, la cinquantaine, forme un couple sans histoire. Jusqu’au jour où, abasourdis, ils découvrent dissimulée sur une étagère de leur cuisine une caméra vidéo qui les filme à leur insu. A qui est cette caméra ? Qui l’a installée ici ? Qui les surveille ? Pourquoi ? Depuis quand ? Justine et Jean-Marc s’affolent. Ils sont piégés. Par qui ? Ils n’en savent rien. » Et d’ajouter assez admiratif de la pièce et du jeu des interprètes : « Les personnages de Sébastien Thiéry sont des gens perdus. Perdus et enfermés dans une situation qui leur est toujours hostile, sans secours, sans raison. Pourtant, c’est cette situation imprévisible et affolante qui va s’avérer révélatrice… Justine et Jean-Marc vont se découvrir, se soupçonner, se déchirer… La terreur de la situation devient la terreur de l’autre. Jusqu’où iront-ils ? Tout cela joué par deux grands acteurs, Noémie Lvovsky et Yvan Attal, avec la drôlerie tragique de l’écriture de Sébastien Thiéry et son goût salutaire du paradoxe. »
Le goût salutaire du paradoxe
Ce goût salutaire du paradoxe que l’on retrouve dans chaque pièce de Sébastien Thiéry est développé par courtes scènes successives qui informent le spectateur sur le fondement des intentions des deux protagonistes. Ainsi par exemple la question de l’argent qui coule chez eux un peu à flots donnera naissance à une passe d’armes qui surprendra tous et chacun. Tout comme le choix du menu des repas voulus très bio par Justine ou ce souvenir de choses pas très ragoûtantes pour le coup concoctées par son mari. Avec toujours des dialogues percutants qui font mouche ; « Euh…Tu sais, quelquefois je suis con », lance Jean-Marc à Justine qui lui répond : « Oui, ça je sais. Je vis avec toi quand même. » Pièce délicieusement absurde pointant du doigt l’inéluctable cheminement des couples qui durent, « Vidéo Club » est une comédie résolument optimiste. La dernière scène écrite par Sébastien Thiéry qui a été retirée des représentations nous montre Justine et Jean-Marc alors âgés de 90 ans et qui continuent de s’aimer et se le dire. Un optimisme assez salutaire pour un réjouissant moment de théâtre porté par une interprétation fine et explosive d’Yvan Attal et Noémie Lvovskt tout en complicité, muscle et sensibilité.
Jean-Rémi BARLAND
« Vidéo club » par Sébastien Thiéry. Texte disponible à L’avant-scène Théâtre N° 1543- 86 pages – 14 € – A l’Opéra de Marseille, jusqu’au jeudi 10 octobre à 20h. Le mercredi 9 octobre à 19h. Réservations sur lestheatres.net