Karim Amellal, Ambassadeur et délégué interministériel à la Méditerranée sera à Marseille dans le cadre du Forum méditerranéen de l’IA qui ce tiendra ce vendredi 15 novembre. Intelligence artificielle qui est, selon les experts, rapporte-t-il: «Une troisième révolution industrielle» mais aussi, «un sujet géopolitique, d’affrontement et de coopération». Pour lui: «La Méditerranée ne peut pas rester en dehors de ces réflexions». Et malgré «des disparités très fortes dans ce domaine sur le plan régional», Karim Amellal considère qu’ «il y a des écosystèmes de recherche et de technologie qui se développent, avec des entreprises très innovantes qui se lancent». Assure que le choix de Marseille n’est pas un hasard et annonce que ce Forum qui est labellisé « Sommet pour l’Action sur l’IA »- qui se tiendra en France en 2025 – devrait répondre à «Qu’est-ce que l’intelligence artificielle peut apporter comme réponses face aux grands défis de la région ?»… Entretien.
Pourquoi la diplomatie française s’intéresse-t-elle à l’IA et pourquoi avoir choisi d’organiser un forum méditerranéen sur ce sujet ?
L’intelligence artificielle est aujourd’hui un sujet considérable qui a des enjeux et des implications majeurs dans l’ensemble des pays, développés ou en développement, avec des conséquences déjà tangibles pour les citoyens, et cela va bien entendu s’amplifier dans les années à venir. Nous parlons là de ce que les experts appellent une troisième révolution industrielle, dont plusieurs d’entre eux disent qu’elle sera la plus importante de toute notre histoire.
C’est aussi un sujet qui suscite des interrogations, notamment s’agissant de l’accès aux données, de leur propriété, de la technologie employée et des usages qui en sont fait, dans un domaine aussi essentiel que la santé par exemple. Enfin, c’est un enjeu de puissance, entre les pays qui sont dotés de la technologie, des infrastructures -les supercalculateurs notamment -, du capital humain, et ceux qui ne le sont pas encore, ou pas du tout. Il y a donc dans ce domaine de la compétition, de la concurrence, des rapports de force qui, à n’en pas douter, détermineront une partie de notre avenir. En d’autres termes, l’intelligence artificielle est aussi un sujet géopolitique, d’affrontement et de coopération, et notre diplomatie doit s’y intéresser, en particulier pour définir des voies de régulation, de gouvernance.
C’est d’ailleurs pour cette raison que le président de la République a souhaité organiser début 2025 un sommet mondial de l’intelligence artificielle. La Méditerranée ne peut pas rester en dehors de ces réflexions. C’est pourquoi nous avons tenu, avec Cédric Villani et l’école La Plateforme, qui a accepté de faire cela avec nous, à ouvrir un espace de dialogue et de réflexion à Marseille autour de ces questions.
Quels résultats attendez-vous de ce forum ?
D’abord, réunir des acteurs de l’IA autour d’une question qui nous concerne tous, où que nous vivions autour de la Méditerranée : «Qu’est-ce que l’intelligence artificielle peut apporter comme réponses face aux grands défis de la région ? » : la santé, l’urgence climatique, les transports, les problèmes d’eau, de catastrophes naturelles… Nous ne pourrons pas parler de tout mais nous tenterons avec des experts de tout le bassin méditerranéen, des chercheurs et des entrepreneurs, d’apporter quelques éléments de réponse. Et puis ce premier forum méditerranéen de l’IA est le début d’une histoire. Je souhaite que d’autres puissent suivre, au sud et au nord de la Méditerranée. L’idée est d’installer un rendez-vous méditerranéen sur l’IA, un espace de dialogue, de projets, de coopération entre les acteurs.
L’IA peut-elle être partagée en Méditerranée, et jouer un rôle de levier du développement économique, social et technologique dans la région ?
J’en ai la conviction. Mais ne nous voilons pas la face : il y a des disparités très fortes dans ce domaine sur le plan régional. Certains pays sont plus avancés que d’autres. Mais j’observe au gré de mes déplacements dans toute la région que partout il y a des écosystèmes de recherche et de technologie qui se développent, avec des entreprises très innovantes qui se lancent. Malgré des crises parfois très graves, et je pense au Liban, il y a des startups qui parviennent à ouvrir un chemin, à trouver du capital, à développer leur modèle économique grâce à l’IA. Je pense à Instadeep, une licorne africaine créée par des entrepreneurs tunisiens, à Protenia en Égypte dans le domaine de la biotech, à Forest Guard en Turquie pour détecter les feux de forêts et prévenir les incendies ou à Siren Analytics. Je pourrais multiplier les exemples ! Partout, dans tous les pays de la rive sud, malgré les difficultés, il y a des réservoirs de créativité et de compétences. Partout enfin, il y a un intérêt croissant pour l’IA en tant qu’elle est un facteur de développement technologique et économique. Nous devons, collectivement, accompagner cette dynamique, la rendre vertueuse, nous efforcer de réduire les obstacles (en matière d’accès au capital par exemple) et développer des coopérations, de la mise en réseau, et surtout contribuer au fléchage des financements et des investissements vers des start-up du sud.
Comment s’articuleront les conclusions de ce sommet avec le Sommet mondial pour l’action sur l’IA que la France accueillera en 2025 ?
Le Forum méditerranéen de l’intelligence artificielle de Marseille est labellisé « Sommet pour l’Action sur l’IA » et constitue donc un jalon, méditerranéen, sur la route du sommet. Nous organiserons par ailleurs en marge du sommet, en février, un événement pour faire le point et assurer un suivi par rapport au Forum de Marseille. Parallèlement, nous travaillons sur un projet de mise en réseau des acteurs méditerranéen de l’IA, avec un financement dédié. Notre idée est que les travaux de Marseille, durant le forum, viennent nourrir le Sommet mondial pour l’Action sur l’IA, mais aussi réciproquement. Et nous veillerons dans une deuxième édition du Forum méditerranéen, qui se déroulera sans doute au sud, à ce que tout cela fasse sens et ait une portée concrète.
Ce Forum se tient à Marseille, ce qui n’est pas un hasard. De quels atouts disposent la cité phocéenne et sa région dans le domaine de l’IA.
Je vous confirme que ce n’est pas un hasard, même si d’autres régions ou d’autres villes méditerranéennes en France sont particulièrement actives et performantes dans le domaine de l’IA. Je pense à Nice et Sophia Antipolis, par exemple. Marseille a bien sûr de nombreux atouts à faire valoir : son écosystème entrepreneurial dans le domaine de la technologie, du capital humain, une excellente université, l’AMU, de très grandes entreprises comme CMA-CGM, une position de hub numérique mondial avec 18 câbles sous-marins raccordés à la ville grâce à sa situation géostratégique. C’est pourquoi nous avons voulu que cette première édition du forum méditerranéen de l’IA ait lieu à Marseille, et que nous nous sommes associés avec La Plateforme, qui a un excellent savoir-faire dans le domaine de la formation au numérique, et grâce à qui ce forum a été organisé, ce dont je les remercie vivement, en particulier son président Cyril Zimmerman. Je crois vraiment que, dotée de toutes ces ressources, la ville de Marseille peut devenir dans les prochaines années une capitale de l’intelligence artificielle en Europe, et à nouveau un pont dans ce domaine avec l’Afrique et le monde arabe.
Propos recueillis par Bertrand VALDEPAS