La chronique cinéma de Jean-Rémi Barland. « L’amour ouf »… on kiffe… de ouf

Au départ « Jackie Loves Johnser Ok ? » un roman de l’Irlandais Neville Thomson paru en 1997 qui, publié en France en 2000 sous le titre « L’amour ouf » nous plonge au cœur de scènes de la vie dublinoise et de la jeunesse défavorisée. A l’arrivée un film signé Gilles Lellouche qui transpose l’action dans une ville portuaire du nord de la France. Nous sommes dans les années 1980. Jackie et Clotaire grandissent entre les bancs du lycée et les docks du port. Elle étudie, il traîne. Et puis leurs destins se croisent et c’est l’amour fou.

Destimed Adele Exarchopoulos incarne Jackie Adulte Copyright Cedric Bertrand Tresor Films Chi fou Mi Productions Studiocanal
Adèle Exarchopoulos incarne Jackie Adulte Copyright Cédric Bertrand Trésor Films Chi fou Mi Productions Studiocanal

La vie s’efforcera de les séparer mais rien n’y fait, ces deux-là sont comme les deux ventricules du même cœur… Conte de fées cherchant prince charmant en version trash, contenant pas mal de scènes violentes pas du tout gratuites, ce très long métrage (plus de quatre heures à Cannes réduites à deux heures trente par son réalisateur pour sa sortie en salles) est un régal. De narration qui très éclatée semble par moments proposer aux personnages plusieurs choix de vie possible. De réalisation énergique, précise, nerveusement montée, habillée de musiques diverses en adéquation avec le sujet, où quelques chorégraphies (nous entrons par moments dans un style proche de la comédie musicale) soulignent la psychologie des uns et des autres. D’interprétation en tous points admirable, surtout, où chaque interprète dans ce qui est un thriller hallucinant de maestria  impose son personnage en très peu de temps.

Interprètes au sommet avec un Alain Chabat bouleversant

Destimed Francois Civil incarne Clotaire adulte Copyright Cedric Bertrand Tresor Films Chi Fou Mi Productions Studiocanal
François Civil incarne Clotaire adulte © Cédric Bertrand Trésor Films – Chi-Fou-Mi Productions- Studiocanal

D’emblée on est projetés entre réalisme et onirisme par le biais d’un scénario et d’une mise en scène dignes d’un grand thriller américain. Peu à peu nous voilà saisis par la force des interprètes nombreux, tous au diapason d’où émerge au-dessus du lot Alain Chabat qui en père veuf, inquiet pour sa fille Jackie traînant selon lui « avec ce voyou de Clotaire » offre des scènes à tirer les larmes. Saluons Vincent Lacoste incarnant Jeffrey qui épousera Jackie quand l’amour de sa vie se retrouvera un long temps en prison, et dont le jeu est nuancé, précis, sans esbroufes. Notons la performance de Benoît Poelvoorde qui donne à son personnage de La Brosse, gangster au final assez minable des airs de Al Pacino dans « Le parrain ». Notons dans un rôle bref mais intense le travail d’orfèvre d’Andranic Manet, comédien déjà assez bluffant dans les films de Civeyrac, Salvadore, Bruni-Tedeschi, et génialement inquiétant sur scène dans la peau de Vladimir Poutine sur la pièce « Le mage du Kremlin ». Relevons la présence assez magnétique à l’écran de François Civil, (Clotaire à 28 ans), et d’Adèle Exarchopoulos bouleversante dans le rôle de Jackie adulte. N’oublions pas de citer Élodie Bouchez  et Karim Leklou (la maman et le père de Clotaire), ou les jeunes Raphaël Quenard et Jean-Pascal Zadi dans des seconds rôles pas du tout secondaires.

L’incroyable Malik Frikah dans le rôle de Clotaire à 17 ans

Destimed Malik Frikah Mallory Wanecque Copyright Cedric Bertrand Tresor Films Chi Fou Mi Productions Studiocanal
Malik Frikah (Clotaire  à 17 ans) & Mallory Wanecque – (Jackie jeune ) © Cédric Bertrand Trésor Films – Chi-Fou-Mi

Et puis il y a sous les traits de Clotaire  à 17 ans l’incroyable Malik Frikah, bien supérieur dans son jeu à François Civil qui joue le même personnage adulte. Puissant, alternant scènes psychologiques et très physiques il est saisissant de bout en bout. Né à Alès, en 2006 se passionnant tout d’abord pour la danse hip-hop (son père est Jawad Frikah, un célèbre danseur de hip-hop), Malik s’est très tôt illustré avec brio sur des scènes de breakdance. À 10 ans, il devient champion du monde de cette discipline dans la catégorie des moins de 12 ans, au cours du Battle Pro de Toulouse, et ce après avoir gagné la totalité des phases régionales et nationales.  En 2021, Malik tourne pour la première fois devant une caméra dans un épisode de la série « Camping paradis ». Il apparaît ensuite furtivement dans « Happy Nous Year » de Frank Bellocq, « A la poursuite de Jean-Marc » du génial Pierre-François Martin Laval. Entre les deux, il joue Ficelle dans « Apaches » une sorte de « Gangs of New York » français se déroulant dans le Paris du début de 20e siècle.  Puis il est choisi par Gilles Lellouche pour camper Clotaire jeune où il est tout simplement inoubliable. Le cinéaste se souvient : «Ce choix s’est fait à travers un casting traditionnel. J’ai auditionné beaucoup d’adolescents et d’adolescentes.» Il poursuit : «Malik, sa performance lors de l’audition correspondait parfaitement à ce que je recherchais pour le personnage de Clotaire. Une instruction de mise en scène qui correspondait à une image que j’avais en tête indiquait que Clotaire attendait la sortie des élèves du bus devant le collège, fumant une cigarette assis sur le capot d’une voiture et insultait joyeusement tous les adolescents qui passaient. Lors des auditions, il a été le seul à reproduire cette scène en étant assis sur une table, tandis que tous les autres étaient debout. Sa façon de se mettre en situation a accroché mon regard et mon intérêt. Il s’est avéré que, physiquement, il avait déjà l’attitude de Clotaire. Son talent inouï a explosé d’emblée », conclut Gilles Lellouche. Au final, serti de scènes plus incroyables les unes que les autres, mêlant humour et tragédie, polar autant que fable sociale sur la lutte des classes, « L’amour ouf » ressemble à un film de Scorsese qui aurait revisité « West Side Story ». C’est dire à quel niveau se situe « L’amour ouf… », ce film qu’on kiffe de ouf !

Jean-Rémi BARLAND

Destimed Lamour Ouf affiche
« L’amour Ouf » affiche

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