Publié le 6 décembre 2024 à 19h52 - Dernière mise à jour le 10 décembre 2024 à 19h18
« Quand le pape décède de façon inattendue et mystérieuse, le cardinal Lawrence se retrouve en charge d’organiser la sélection de son successeur. Alors que les machinations politiques au sein du Vatican s’intensifient, il se rend compte que le défunt leur avait caché un secret qu’il doit découvrir avant qu’un nouveau Pape ne soit choisi. Ce qui va se passer derrière ces murs changera la face du monde. » Ces quelques mots résumant le synopsis du film « Conclave » définissent parfaitement l’ambiance et la teneur romanesque de ce thriller tiré d’un roman de Robert Harris.
Signée Edward Berger et porté dans le rôle de Lawrence par un Ralph Fiennes d’une présence hallucinante, cette fresque nous fait découvrir de manière assez réaliste le déroulé d’une élection pontificale avec pas mal d’allusions aux grands sujets sociétaux modernes. Impressionnant en 1993 sous les traits de l’impitoyable officier nazi Amon Goeth dans La Liste de Schindler de Steven Spielberg, Ralph Fiennes campe ici un homme de consensus, de foi, de concorde et de bienveillance. Les autres Cardinaux prétendants à la fonction suprême ne sont pas tous de la même teneur pacifique.
Des candidats aux lourds secrets dissimulés sous les dorures du Vatican
Loin de là. Et le réalisateur de brosser une multitude de portraits saisissants d’intensité, de complexité, d’envergure théâtrale, où l’on verra combien l’habit ne fait pas le pape, et surtout que bon nombre de potentiels élus dissimulent sous leurs tenues respectables de lourds secrets inavouables liés à leurs vies passées. Nous découvrons dans une mise en scène subtile et choral plusieurs papes possibles.
Ralph Fiennes est le cardinal Thomas Lawrence. Homme de confiance du pape, le cardinal Thomas Lawrence, libéral d’origine britannique, est chargé par l’Église d’organiser l’élection du successeur de son mentor, décédé dans des circonstances mystérieuses. D’abord dévoué à sa tâche avec la plus grande objectivité et le sérieux le plus total, Lawrence va finalement voir vaciller face à la révélation de secrets insoupçonnés.
Stanley Tucci est le cardinal Aldo Bellini. Précieux allié et ami de Thomas Lawrence, le cardinal Aldo Bellini est son meilleur espoir de voir un cardinal libéral être élu. Originaire des États-Unis, Bellini incarne une Église tolérante et progressiste, dans l’ère du temps. Mais l’impopularité relative de Bellini lui permettra-t-elle d’être choisi ? John Lithgow est le très modéré cardinal Joseph Tremblay, qui, attaché aux traditions de l’Église, part favori. Mais des rumeurs se mettent à courir sur sa dernière entrevue avec le pape, l’empêcheront-elles d’être élu ? Et surtout pourrait-il être impliqué dans la mort du défunt ?
Sergio Castellitto joue à la perfection le cardinal Goffredo Tedesco. Incarnant une Église italienne traditionnelle pour ne pas dire traditionaliste, et bornée, ce cardinal semble prêt à tout pour être élu pape, quitte à écraser ses confrères. Ce personnage antipathique assez déroutant montre combien les immobilismes au sein du conclave ont encore droit de citer.
Lucian Msamati est le cardinal Joshua Adeyemi. Après être apparu dans la série « Games of thrones » le comédien prête ses traits au cardinal Adeyemi, un homme aux méthodes douteuses, particulièrement conservateur. Très apprécié par la communauté, il voit pourtant ses chances d’élection être remises en question par la révélation d’un lourd secret concernant son passé. Carlos Diehz est le cardinal Vincent Benitez. Au cours de ce conclave, il fait office d’invité surprise : nommé cardinal par le pape quelque temps avant la mort de ce dernier, cet homme humble et mesuré qui a officié dans des pays en guerre semble toucher Thomas Lawrence par son ouverture d’esprit et sa tolérance. Cet outsider serait-il finalement le meilleur candidat ? Rien n’est moins sûr. Et l’heureux élu peut très bien d’ailleurs être un autre cardinal dont on ne sait pas grand-chose.
Isabella Rossellini est la sœur Agnès
À la tête des sœurs du Vatican, chargées de servir les cardinaux présents, se trouve la méticuleuse Agnès. Forte de son expérience et de sa proximité avec le dernier pape, elle semble informée des forces et faiblesses de nombreux candidats. Bien qu’elle ne soit elle-même pas éligible, elle pourrait, sans le savoir, bouleverser le cours de l’élection. Une femme donc pouvant peser sur le vote final ? Voilà une des surprises du film. On est d’ailleurs assez impressionnés par la prestation aussi inattendue qu’imprévue d’Isabella Rossellini, qui dans la peau de sœur Agnès, personnage féminin décisif quant à l’issue de l’élection ouvre les portes du récit à des questions concernant la place des femmes dans le monde catholique.
Construit comme une enquête à la John Le Carré avec espionnite aiguë, coups fourrés, rebondissements, trahisons, et dénonciations, « Conclave » où tout semble vu par les yeux de Lawrence, tient en haleine, et surprend. Notamment lors d’un épilogue qu’on ne voit pas venir, et, ce, contrairement à l’élection en elle-même qu’on peut plus facilement anticiper en tant que spectateur. Épilogue en forme de coup de théâtre une fois le nouveau Pape connu… le suspense dure jusqu’à la dernière minute. On regrettera par moments la présence d’une musique par trop signifiante, mais au final « Conclave », grand favori des Oscars, (Ralph Fiennes pourrait obtenir celui du meilleur acteur) est un grand film, intelligent, virtuose, (soin évident apporté aux décors, aux habits, aux couleurs) et d’une incroyable audace.
Jean-Rémi BARLAND