Tribune de Bernard Valero. Crises climatique et environnementale en Méditerranée : sortir du labyrinthe de l’impuissance

A l’approche de l’hiver, il peut paraître singulièrement asynchrone d’évoquer le réchauffement climatique en Méditerranée. Et pourtant !

Bernard Valero ©Destimed/PM
Bernard Valero ©Destimed/PM

Au-delà des variations saisonnières des températures, la Méditerranée détient avec l’Arctique le triste privilège d’être l’un des deux pires «hotspots» du réchauffement climatique sur la planète. Au 15 août 2024 la température moyenne de la mer Méditerranée s’est approchée des 30°. Depuis des années, cette mer, qui ne représente que 0,8% de la surface des océans, se réchauffe en effet 20% plus vite que le reste de la planète.

Les Méditerranéens paient cher l’entrée de la planète dans l’ère de l’anthropocène

Que ce soit en mer ou sur terre, le sinistre cortège des destructions environnementales provoquées par le réchauffement climatique ne cesse de s’allonger et de mettre en jeu le sort de millions de Méditerranéens.  Montée des eaux, recul du trait de côte menaçant le littoral sur-urbanisé du pourtour méditerranéen, incendies et inondations ravageant à intervalles de plus en plus rapprochés des territoires de plus en plus vastes, canicules endémiques, épuisement des ressources en eau, destruction de la faune et de la flore, dépérissement des forêts, vulnérabilité croissante des zones humides, une mer transformée en poubelle… Les Méditerranéens paient cher l’entrée de la planète dans l’ère de l’anthropocène.

Une réalité mortifère

Face à ce défi global qui les menace tous, les pays riverains de la Méditerranée ne sont pas parvenus jusqu’ici à s’accorder pour mettre en œuvre des stratégies et des réponses communes.  Aucune initiative significative de diplomatie environnementale n’a réussi a ce jour à faire embrayer une véritable dynamique de mobilisation collective pour amener les pays méditerranéens à faire face à leur vulnérabilité partagée face au réchauffement climatique en Méditerranée. Les conférences internationales se suivent pour égrener des objectifs jamais atteints,  les accords internationaux ont en commun de ne jamais être respectés,  les appels se perdent dans l’éther de l’indifférence, les rapports s’entassaient hier sur les étagères et sommeillent aujourd’hui dans le cloud.

Après avoir longtemps choisi de ne pas regarder leur maison qui brûle, les Méditerranéens n’ont d’autre option aujourd’hui que de regarder en face cette réalité mortifère. Mais le problème désormais est qu’ils ne sont pas pour autant capables,  tels des lapins pris dans les phares d’une voiture, d’agir collectivement. Les fractures géopolitiques qui déchirent les rives de la Méditerranée,  l’incapacité des États à relever, seuls, les défis climatiques et environnementaux , l’absence de ligne claire entre la lutte contre le réchauffement climatique et l’adaptation aux conséquences de celui ci sont quelques uns des freins à une action collective à la hauteur des enjeux.

L’Union pour la Méditerranée serait à même de devenir un puissant levier de mobilisation

Plusieurs voies sont toutefois possibles pour sortir de l’impasse climatique et environnementale dans laquelle se retrouve prise au piège la Méditerranée.  On l’oublie trop souvent, mais aujourd’hui la seule organisation intergouvernementale méditerranéenne qui a, entre autres vertus, la capacité de rassembler sans exception tous les pays méditerranéens est l’Union pour la Méditerranée (l’UpM). Cette organisation intergouvernementale, souvent ignorée et injustement décriée, serait à même de devenir un puissant levier de mobilisation et d’action collectives, et de permettre à ses états membres de prouver qu’ils sont tous capables de faire bouger les lignes.  Une volonté politique enfin partagée, un renforcement de la structure, la substitution d’actions ponctuelles et de saupoudrage par quelques véritables priorités et politiques publiques méditerranéennes, permettraient d’agir utilement contre le dérèglement climatique et ses conséquences.

Les collectivités locales et territoriales sont les mieux placées

Si, à l’évidence, les États ne peuvent pas tout faire sur le champ de de l’international, il faut d’abord avoir la lucidité de le reconnaître et de l’admettre, et ensuite de rechercher d’autres acteurs. Parmi ceux-ci les collectivités locales et territoriales sont les mieux placées. Parce qu’en première ligne et au contact direct des conséquences du dérèglement climatique et parce que situées sur les derniers kilomètres de l’action et des politiques publiques elles sont plus à même d’agir et de mettre en œuvre les solutions.

C’est en effet depuis le palier territorial, assis sur le maillage fertile des sociétés civiles qu’il est essentiel d’agir car c’est sur cet écosystème d’acteurs que reposent la plupart des solutions. Cette approche locale, pour être efficace à l’échelle de la région méditerranéenne, doit ensuite faire tâche d’huile sur tous les rivages de la Méditerranée afin de dépasser les frontières et les disparités institutionnelles entre les États qui, au mieux, sont trop souvent des obstacles et, au pire, l’excuse pour ne rien faire ou laisser le champ libre à l’inertie face à l’urgence. Sur ce registre, le combat que mène ici la région Sud en faveur de la création d’une macro-région méditerranéenne est parfaitement vertueux et préfigure ce que pourrait être une coopération territoriale digne de ce nom en Méditerranée. Pour optimiser son impact,  cette nécessaire conjugaison d’efforts des collectivités territoriales et des sociétés civiles doit viser l’information et la médiation afin que le réchauffement climatique dont on nous rebat les oreilles depuis des années ne soit plus une formule d’experts ou de sachants mais entre bien dans la réalité des comportements quotidiens des citoyens pour féconder ensuite le débat puis l’action politiques.

Nous serons comptables vis-à-vis des prochaines générations

Il est plus que temps que les lapins méditerranéens sortent de leur sidération face aux phares de leurs contradictions, et s’extraient du labyrinthe de leur propre impuissance. Certes, les urgences économiques, sociales, géopolitiques, humanitaires s’amoncellent dangereusement sur l’espace méditerranéen mais cela ne vaut pas excuse. Si les peuples méditerranéens montrent une difficulté avérée à vivre ensemble, il est urgent qu’ils aient au moins le réflexe vital d’essayer à tout le moins de survivre ensemble. C’est de cela dont nous serons comptables vis-à-vis des prochaines générations.

Ancien diplomate, Bernard Valero à servi 45 ans durant au Ministère des Affaires étrangères. Il a notamment été Consul général de France à Barcelone, Ambassadeur à Skopje et Bruxelles, Directeur de la Communication et porte-parole du Quai d’Orsay. Bernard Valero est aujourd’hui membre du Conseil de surveillance de l’UpM.

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