Tribune de Bernard Valero :  La France et l’Allemagne à l’étiage

La situation économique et politique actuelle dans laquelle se trouvent respectivement l’Allemagne et la France, ainsi que la qualité dégradée des relations entre ces deux partenaires constituent une source sérieuse de préoccupation pour l’Europe à l’heure où, précisément, la construction européenne n’a jamais été aussi menacée.

Bernard Valero, © Destimed/RP
Bernard Valero, © Destimed/RP

L’éclatement de la coalition tripartite au pouvoir à Berlin, la montée du parti d’extrême extrême droite AFD, une économie qui tutoie une croissance zéro, sont autant de signaux qui révèlent une Allemagne aujourd’hui à la peine pour réinventer un modèle stratégique de développement lequel reposait, depuis plus de vingt ans, sur une sécurité déléguée aux Etats-Unis, une énergie à bas coût fournie par la Russie, et le marché chinois pour ses exportations industrielles. L’invasion de l’Ukraine par la Russie a fait voler en éclats ce triptyque et considérablement affaibli la première économie de l’UE, l’un des moteurs de la construction européenne.

De ce côté-ci du Rhin, on ne s’étendra pas sur la situation de la France, suspendue à l’irresponsabilité et à la pusillanimité de sa classe politique depuis l’extravagante dissolution de l’Assemblée nationale en juin dernier : absence de majorité parlementaire, endettement abyssal, déficit public endémique, effacement progressif sur les scènes européenne et internationale, un tableau désormais bien connu qui révèle un pays en panne et incapable de jouer le rôle historique de moteur de la construction européenne qui était le sien depuis 70 ans.

Ces situations, pour le moins compliquées, dans lesquelles se retrouvent la France et l’Allemagne se conjuguent pour affecter dangereusement la relation franco-allemande, pilier de la paix en Europe et clé de voûte de la construction européenne. Sous le mandat du chancelier Scholz, les désaccords entre Berlin et Paris se sont en effet multipliés sur des sujets majeurs :

-Sur les enseignements à tirer de la guerre en Ukraine tout d’abord, tandis que Paris plaide ardemment pour un renforcement de la défense européenne, Berlin s’accroche à la protection américaine et privilégie le renforcement de l’Otan.

-Sur la coopération militaire franco-allemande, la liste des projets abandonnés ou suspendus s’allonge (modernisation des hélicoptères de combat Tigre, programme commun sur les avions de patrouille maritime ) tandis que les deux projets emblématiques du futur char de combat franco-allemand (MGCS) et du système de combat aérien du futur (SCAF) tournent au ralenti sur fond d’intérêts industriels divergents.

-Sur l’approvisionnement énergétique de l’Europe, qui conjugue trois crises climatique, géopolitique et industrielle, et se cristallise autour des débats sur le nucléaire et le fonctionnement du marché européen de l’électricité.

-Sur le Mercosur, auquel l’Allemagne est très favorable au nom du libre-échange et à l’encontre duquel la France a manifesté sa forte opposition, notamment sur les volets agricole, environnemental et sanitaire.

L’enjeu de l’instabilité et des difficultés de tous ordres auxquels sont confrontés aujourd’hui Allemands et Français et la distanciation significative que subit la relation entre Paris et Berlin prend tout son relief dans un contexte crucial pour l’Union européenne, elle-même confrontée à des incertitudes stratégiques sur sa capacité à fabriquer des souverainetés militaire, économique et politique.

Souveraineté militaire face à une Russie despotique et impérialiste alors que le risque d’un désengagement américain est de moins en moins hypothétique avec l’arrivée d’un nouveau Président à la Maison Blanche.

Souveraineté politique face à un monde où la rivalité sino-américaine grandissante s’impose de plus en plus, où les conflits se multiplient aux quatre coins de la planète et où les Nations unies et le droit international s’effacent chaque jour davantage devant le rapport de force.

Souveraineté économique (industrielle et commerciale) face à l’agressivité chinoise et aux pressions commerciales et douanières des États-Unis.

Il y a certes peu de choses à espérer au cours des prochains mois pendant lesquels il faudra, volens nolens, faire le gros dos : l’Allemagne s’est mise sur pause jusqu’aux élections fédérales du 23 février prochain et à l’aboutissement des négociations sur la formation d’un nouveau gouvernement, tandis que la France entame cette nouvelle année sans budget et en glosant quotidiennement sur la durée de vie de l’actuel gouvernement.

Pour autant, devant cette conjoncture atone la résignation ou le découragement ne sont pas de mise. Le moment est en effet venu pour que tous les acteurs, et ils sont nombreux, de la relation franco-allemande se mobilisent,  ne serait-ce que pour rappeler l’importance et les enjeux du moteur franco-allemand qui dépassent les seuls deux protagonistes.

Représentant 48% du PIB européen, 32% de la population européenne et 31%du budget de l’UE, la France et l’Allemagne partagent en effet une responsabilité qui va bien au-delà de leurs seuls intérêts nationaux. C’est la raison pour laquelle, au-delà du seul « couple » franco-allemand, un troisième partenaire pourrait y être associé,  la Pologne,  qui depuis 1991 fait partie du « triangle de Weimar », cadre de coopération qui organise et régit les relations trilatérales entre l’Allemagne, la France et la Pologne,  qui est en train de devenir la première puissance militaire conventionnelle en Europe,  qui préside depuis le 1er janvier de cette année le Conseil européen. Ce serait là une voie à emprunter pour vitaminer la relation franco-allemande et pour favoriser une nouvelle dynamique de l’Europe de la sécurité et de la défense,  deux objectifs dont l’urgence n’est plus à démontrer.

Ancien diplomate, Bernard Valero a servi 45 ans durant au Ministère des Affaires étrangères. Il a notamment été Consul général de France à Barcelone, Ambassadeur à Skopje et Bruxelles, directeur de la Communication et porte-parole du Quai d’Orsay… Bernard Valero est aujourd’hui membre du Conseil de surveillance de l’UpM.

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