Projets des collectivités locales : la diversification des financements pour faire face à « la nouvelle donne »

Publié le 12 juin 2013 à  1h00 - Dernière mise à  jour le 27 octobre 2022 à  15h39

Depuis la faillite de la banque Dexia, les collectivités locales éprouvent de plus en plus de difficultés à trouver des financements pour la réalisation de leurs projets à moyen et long terme. Face à cette raréfaction de la ressource financière, elles sont désormais amenées à diversifier leurs modes de financement et à recourir à des solutions nouvelles, comme l’a mis en lumière un colloque qui s’est tenu lundi à l’Hôtel de Région à Marseille.

Destimed 1 p6100211

Fabrice Verdier, député du Gard et président de EPL de Langiuedoc-Roussillon, pointe le danger qui guette les petites communes :
Fabrice Verdier, député du Gard et président de EPL de Langiuedoc-Roussillon, pointe le danger qui guette les petites communes :

Pour Philippe de Fonatine-Vive, vice-président de la Banque Européenne d'Investissement (BEI),
Pour Philippe de Fonatine-Vive, vice-président de la Banque Européenne d’Investissement (BEI),

« Financement des projets des collectivités locales : la nouvelle donne » : c’était le thème du colloque organisé par les Fédérations des Entreprises Publiques Locales (EPL) Provence-Alpes-Côte d’Azur et Languedoc-Roussillon ce lundi 10 juin dans l’hémicycle de l’Hôtel de Région à Marseille. Une question cruciale tant dans le contexte économique actuel les collectivités locales et le secteur public dans son ensemble éprouvent de plus en plus de difficultés à trouver des financements à moyen et long terme pour la réalisation de leurs projets. Car si la demande reste importante, les ressources financières se font en revanche de plus en plus rares : en 2013, le besoin de financement à l’échelon national est ainsi estimé à 18 Mds€, là où les banques ne peuvent fournir que 10 Mds€ de nouveaux crédits. Raréfaction de la ressource financière, normes prudentielles Bâle III et Solvency II (mesures prises pour renforcer le système financier suite à la crise de 2008), recettes fiscales en diminution ou encore participation à l’effort national de redressement des comptes publics : ce sont autant de facteurs qui obligent les collectivités locales à diversifier les modes de financement de leurs projets et à recourir à des solutions nouvelles.
Une raréfaction des financements qui n’est pas sans effet sur l’activité des EPL. Combinant la souplesse des entreprises privées et les valeurs du public, elles sont particulièrement efficaces pour conduire des projets d’envergure, de la mise en place des financements, à la réalisation et la gestion du projet. Que ce soit les sociétés d’économie mixte (SEM), les sociétés publiques locales (SPL) et les sociétés publiques locales d’aménagement (SPLA), deux statuts où les entreprises sont détenues à 100% par les collectivités locales, ou encore les filiales, la gamme des EPL offre ainsi un large panel de solutions adaptées à chaque projet et accessibles aux collectivités de toute taille.
Aux yeux de Philippe de Fontaine-Vive, vice-président de la Banque Européenne d’Investissement (BEI), c’est la faillite de la banque Dexia en 2011 (*), qui est à l’origine de cette « nouvelle donne ». « Dexia a été un véritable séisme. Il s’agissait du premier emprunteur pas seulement en France mais en Europe. La mobilisation des Etats français, belge et luxembourgeois a certes permis de gérer le passé avec peu de difficultés. Mais cela a créé un véritable trou d’air dans lequel vous avez été privés de financements », explique le banquier aux représentants des collectivités locales présents dans l’assistance. Une situation dont on n’est pas complétement sorti aujourd’hui. « On assiste au retour des acteurs spécialisés comme la Caisse des Dépôts et Consignation (CDC), La Banque Postale, le Crédit Agricole et la Caisse d’Epargne. J’espère que les banques commerciales reviendront bientôt », poursuit Philippe de Fontaine-Vive. Et de souligner que face à la raréfaction des financements, la BEI peut constituer une alternative pour les collectivités locales. « Dès la première année du Pacte de croissance, il y aura la signature pour plus de 7 Mds€ d’engagements, dont la moitié ira aux collectivités publiques », précise-t-il.

« Les collectivités locales ont de nouveau en face d’elles des investisseurs de long terme qu’elles intéressent de façon pérenne »

La CDC, dont la gouvernance spécifique est placée sous la tutelle du Parlement ce qui lui permet de mettre en œuvre des « interventions calées avec l’Etat dans le cadre d’une centralisation du livret A pour financer des projets locaux », met elle aussi en place un « dispositif antimorosité » doté de « 20 Mds€ sur 5 ans ». « Cela vous donne une visibilité pour accompagner les projets », assure Jean-Claude Guérin, directeur interrégional Méditerranée de la CDC, tout en précisant que « nous ne finançons au maximum que 50% des besoins d’emprunts ». Des crédits qui peuvent venir en complément de ceux alloués par la BEI sur des thématiques fléchées telles que les grandes infrastructures, le logement ou la transition énergétique. « Nous continuons sur des interventions qui existaient déjà sur les collectivités locales », précise le directeur interrégional Méditerranée. En région PACA, 1,3 Md€ de fonds d’épargne ont ainsi été mobilisés l’an dernier : plus de 500 M€ sur le logement et 800 M€ prêtés directement aux EPL.
De nouvelles solutions de financements offertes aux collectivités locales qui amènent Christophe Van de Walle, directeur du secteur public local de La Banque Postale, à afficher clairement son optimisme. « Début 2013, le marché s’est transformé. Les collectivités locales ont de nouveau en face d’elles des investisseurs de très long terme qu’elles intéressent de façon pérenne : les besoins d’infrastructures pérennes sont couverts », estime-t-il. Il observe également que « la trésorerie des collectivités locales avait fortement augmenté ». « Elles s’étaient constituées une épargne de précaution pour des besoins d’exploitation, donc elles peuvent voir venir. Les besoins d’équipements pour 2013, ça devrait aller », poursuit Christophe Van de Walle. Sur le plus long terme, le directeur du secteur public local de La Banque Postale juge que les collectivités locales vont bénéficier de l’effondrement, à hauteur de 25%, du marché immobilier. « Les liquidités doivent trouver un financement et se sont tournés naturellement vers les collectivités locales », avance-t-il. Et de rappeler que La Banque Postale est non seulement susceptible d’accompagner les collectivités locales, mais aussi les bailleurs sociaux et les EPL. « On peut entretenir avec les EPL une relation globale en gérant les flux, les placements et les crédits. C’est plus facile dans ce cadre d’avoir un financement global, alors que c’est plus difficile avec les collectivités locales », observe Christophe Van de Walle.
Un optimisme que partage Jean-Pierre Veran, président de l’Union régionale des maires de PACA. « Je suis de ceux qui considèrent qu’au sein des collectivités locales, il n’existe pas de problèmes trop importants pour obtenir des financements. Il faut continuer nos actions mais il ne faut pas financer n’importe quoi, n’importe comment », avance-t-il.

« Il y a simplement un an et demi, j’ai été harcelé par des maires de toutes petites communes qui ne pouvaient pas emprunter 8 à 10 000 € »

Des interventions auxquelles ne souscrivait pas Marc Daunis, sénateur-maire de Valbonne Sophia Antipolis, président de la Fédération des EPL de PACA, pour qui on est loin d’être dans « le monde des bisounours ». « En 2010, on s’est retrouvé du jour au lendemain à devoir lever X millions d’euros d’impôts et on a dû quémander. In fine, là où on devait emprunter 20 M, on s’est retrouvé avec 10 M car les conditions n’étaient plus les mêmes », rétorque-t-il. « Qu’on soit en train d’en sortir, je veux bien l’entendre. Mais pour qu’on nous prête facilement, il faut qu’on soit bien portant. Donc j’aurais aimé que les réponses soient plus nuancées car selon le type d’EPL, la composition du capital, la réponse sera différente, la négociation ne sera pas la même », poursuit-il.
Un constat que partage Philippe de Fontaine-Vive. « Je n’aurais pas une réponse pour les EPL car vous êtes une famille très diverse. Quand le bilan est solide, c’est plus facile à appréhender que les collectivités locales car les EPL ont un objet clair. Mais d’autres fois, on a demandé des garanties à des conseils généraux ou des conseils régionaux. On se doit de vérifier qu’il y a un engagement pérenne et une solvabilité dans le temps », souligne le vice-président de la BEI.
Jean-François Barnier, président de la Fédération des EPL de Rhône-Alpes, abonde dans le même sens. « Il y a simplement un an et demi, j’ai été harcelé par des maires de toutes petites communes qui ne pouvaient pas emprunter 8 à 10 000 € car à la Caisse d’Epargne ou au Crédit Agricole, on leur indiquait que ce n’était « pas le moment ». On a notamment eu des problèmes au niveau du financement des hôpitaux. En Rhône-Alpes, des chantiers ont été bloqués faute de financement. « On ne prête qu’aux riches » : il faut qu’on change cela », souligne-t-il, estimant que « la BEI est un bon outil » pour y parvenir. Jean-François Barnier observe aussi que si « les demandes sont nombreuses, l’argent public se raréfie », ce qui a conduit à « une baisse de 10% des investissements en France » au niveau des EPL. Et de tirer la sonnette d’alarme : « La meilleure force des EPL, c’est l’investissement, car derrière ce sont des entreprises locales qui travaillent. Que l’on ne baisse pas trop la voilure sinon on aura de grandes difficultés au niveau local. »
Un danger que pointe également Fabrice Verdier, député du Gard, président de Sud de France Développement et de la Fédération des EPL de Languedoc-Roussillon. « Au niveau d’un conseil régional, il y a une ingénierie financière à l’œuvre : on peut diversifier les sources de financement sans grande difficulté. Ce n’est pas le cas dans les petites communes. Et quand on a 30 projets de 150 000 € qui ne trouvent pas de financement, on tombe dans la mauvaise spirale », souligne celui qui se définit comme un élu rural. Marc Daunis confirme que ce sont les petites communes qui sont le plus en difficulté. « Les petits dossiers qui ne sortent pas, c’est un tunnel de deux ans avec les élections derrière. Si on ne se faisait pas le relais, l’avocat de certains dossiers, ils ne sortiraient pas », signale le président de la fédération des EPL de PACA.

« Je n’ai pas le sentiment d’être à l’origine de la crise : ce ne sont pas les collectivités qui ont demandé des emprunts structurés »

Jean-Pierre Veran tient là encore à faire entendre une voix discordante. « On ne parle pas des subventions de l’Etat, du Conseil régional, du Conseil général qui baissent. Dans le Var, on n’a pas eu les difficultés que vous évoquez. Je n’ai pas reçu de requêtes de maires qui se sont retrouvés en difficulté de financement », assure le maire de Cotignac dans le Haut-Var. Et le président de l’Union régionale des maires de PACA de pointer les dépenses engagées par certaines communes. « Les administrés en ont marre aussi des financements somptuaires. Nos administrés souffrent aussi. Quand on monte des dossiers cohérents, les financements, on les obtient », martèle-t-il. Un avis que ne partage pas Marc Daunis. « Les collectivités se sont retrouvées dans des difficultés, les petites communes, les intercommunalités, et je ne parlais pas de dossiers somptuaires. Quand on monte un dossier de construction d’école, il y a une nécessité de la faire. On commence et on se retrouve après avec une difficulté pour boucler le tour de table », prend en exemple le sénateur-maire de Valbonne Sophia Antipolis.
Christophe Van de Walle estime quant à lui que si à un moment les banques se sont retirées, c’est que le marché des collectivités locales « n’était pas rentable ». « La plus grande d’entre elles (Dexia) a fait faillite en cherchant le taux d’intérêt le plus bas possible. Il y a eu un perdant, la banque, et derrière les collectivités locales. Si les investissements longs ne sont pas rentables, les banques préfèrent rémunérer les particuliers, sachant que les dépôts sont rémunérés en fonction des revenus tirés des prêts. Il faut que le marché redémarre et que les banques se fassent concurrence », explique le directeur du secteur public local de La Banque Postale.
Une analyse que conteste Fabrice Verdier qui assure que pour les communes, ce n’est pas un problème de marge bancaire. « On ne discute pas les taux. Répondez et soyez réactifs car après, derrière, ce sont des entreprises qui ferment », insiste le président de la fédération des EPL de Languedoc-Roussillon. Et le député du Gard de juger que prêter aux communes est synonyme pour un banquier d’une gestion de « bon père de famille ». « Elles n’empruntent pas pour le fonctionnement comme l’Etat mais que pour l’investissement. Et dans le Gard, les banques n’ont pas laissé une plume : derrière, ce sont les contribuables qui ont payé », précise-t-il. Quant à Marc Daunis, il lance un avertissement : « Il ne faudrait pas que les collectivités locales contribuent à reconstituer les marges du secteur bancaire. Car je n’ai pas le sentiment d’être à l’origine de la crise : ce ne sont pas les collectivités qui ont demandé des emprunts structurés. »
Olivier Landel, directeur général de l’association de préfiguration de l’Agence Française de Financement des Investissements Locaux (AFFIL) et délégué général des communautés urbaines de France, confirme que « la disparition de Dexia a apporté pas mal de mouvements ». Selon lui, « on n’est pas encore sorti de l’auberge » car « la reconstruction est très fragile ». D’autant que « la Banque Publique d’Investissement (BPI) ne financera que les entreprises : elle n’est pas dans notre sphère aujourd’hui ».

L’AFFIL, « la clé de voute » pour « faire passer le message de la diversification des financements sans retomber dans les errements de 2008 »

Face à la disparition de Dexia, l’Etat a certes recréé une entité, la Société de financement local (SFIL) qui peut émettre des obligations sur les marchés fonciers afin de financer les crédits accordés aux collectivités locales. Mais l’AFFIL, qui « a fait l’objet d’un long travail pédagogique » avant que le texte actant sa création ne soit voté en mars à l’Assemblée nationale et au Sénat, ne sera pour sa part pas opérationnelle avant l’année prochaine. « C’est un processus de création d’agence. Elle sera effective au mieux en début d’année, voire à l’été 2014 », souligne Olivier Landel.
Un processus long car il s’agit de créer un « établissement prudentiel » et que « les collectivités y adhèrent ». « C’est un projet qui date d’avant la crise de 2008 pour permettre une diversification des financements, afin que les collectivités puissent avoir le choix de leurs financements. La chute de Dexia a fait la démonstration que l’agence était indispensable et en même temps, a été un frein à sa création. Car les deux priorités de Bercy ont alors été de se « dépatouiller » de l’affaire Dexia, et que les collectivités dépensent moins », rappelle le délégué général des communautés urbaines de France. Une agence d’autant plus nécessaire que si les crédits accordés aux collectivités par la CDC et la BEI sont importants, ils ne peuvent financer « que la moitié du projet ». « C’est une agence un peu particulière en France mais elle a des modèles fonctionnant depuis plusieurs décennies en Scandinavie ou aux Pays-Bas, des pays qui ont pu passer la crise de 2008 avec des financements. Cela permet de tirer le coût des financements vers le bas », précise le délégué général de l’association de préfiguration de l’AFFIL.
Et d’estimer qu’il s’agira de « la clé de voute » pour « faire passer le message de la diversification des financements sans retomber dans les errements de 2008 ». « On prête à ceux qui ont les moyens de rembourser : c’est le cas de la majorité des collectivités locales. Mais une agence détenue par les collectivités locales permettra de faire passer un message : « Nous connaissons les fonctionnements des marchés financiers, ne nous racontez pas d’histoires ! Nous savons comment ça fonctionne et nous avons besoin de vous aussi ». L’intervention de l’agence sera limitée au quart du marché », explique Olivier Landel.
Une configuration qui devrait permettre de « tirer les prix vers le bas » mais où les banquiers trouveront eux aussi leur compte. « Prêter à 44 collectivités aujourd’hui c’est 44 risques. Demain avec l’agence, c’est un seul risque », note le délégué général des communautés urbaines de France tout en observant que « le risque collectivité locale n’est pas un risque en fait ». « S’il y a des difficultés, le préfet intervient et ça va prendre 6 mois, un an de plus mais l’établissement financier sera remboursé », indique-t-il.
L’AFFIL n’exonère pas pour autant les collectivités de leurs responsabilités. « Il faut que ceux qui accéderont à l’agence soient sérieux. Ils ne devront pas avoir besoin d’intervention du préfet dans les 2, 5 ou 10 ans. Ne rentreront que ceux qui respectent les critères. Cette agence ne financera que les membres du club et ils auront tous intérêt à faire ne sorte que leurs petits camarades soient sérieux », insiste Olivier Landel.

Serge PAYRAU

(*) Une entité née de l’alliance en 1996 entre le Crédit communal de Belgique et le Crédit local de France, société anonyme à caractère commercial issue de la privatisation de la Caisse d’aide à l’équipement des collectivités locales (CAECL), un établissement public administratif dont la vocation première était de répondre aux besoins de ces dernières.

Articles similaires

Aller au contenu principal