Trois questions à Eric Delannoy, spécialiste du secteur bancaire : « La compétence bancaire n’était pas au rendez-vous en Slovénie »

Publié le 12 juin 2013 à  2h00 - Dernière mise à  jour le 27 octobre 2022 à  15h39

Spécialiste du secteur bancaire, Eric Delannoy, vice-président de weave, estime que
Spécialiste du secteur bancaire, Eric Delannoy, vice-président de weave, estime que

Spécialiste du secteur bancaire, Eric Delannoy, vice-président de weave, cabinet de conseil en stratégie opérationnelle, livre son analyse sur le cas de la Slovénie.

Comment expliquez-vous que la Slovénie ait pu être montrée du doigt par les marchés financiers alors qu’il s’agit d’un des pays les moins endettés d’Europe avec une balance commerciale positive ?

Je pense que les analystes financiers ont fait un amalgame, qu’il y a eu un effet d’entraînement suite au problème de confiance généralisé en Europe. La crise de confiance s’est répercutée sur des pays où les fondamentaux étaient plutôt sains. La Slovénie ne souffre pas d’un système bancaire surdimensionné mais d’un problème de transition d’une économie communiste à une économie de marché à un rythme assez soutenu. Le pays s’est appuyé sur des crédits, des emprunts mis en place sur un mode rapide et, du fait de la crise européenne, son économie, structurellement exportatrice, s’est dégradée avec une multiplication des créances douteuses, interprétée par les marchés comme une fragilité structurelle du système financier slovène et de l’économie du pays malgré une balance commerciale positive. L’un des problèmes de la Slovénie est que la compétence bancaire n’était pas au rendez-vous et la corruption très importante.

Que peut apporter la privatisation du système bancaire slovène dont le gouvernement a dévoilé le plan début mai ?

La privatisation va avoir deux apports. Elle va tout d’abord conduire à un impératif de compétences. Le métier des banques est de prendre des risques et de gérer des risques : s’il n’y a pas de compétences dans ce domaine, la faillite n’est pas loin.
La privatisation va aussi permettre de sortir du système de banque d’Etat. En Slovénie, on a conclu des affaires financières où primait l’intérêt supérieur de la Nation pour sortir du régime soviétique, ce qui a conduit à la prise en compte d’intérêts particuliers, à la corruption, notamment à des prêts pour rendre service. La confusion entre affaires financières et intérêts politiques est toujours malsaine. Cela a faussé l’efficacité économique.
L’Etat a demandé aux banques de financer les usines, comme dans le secteur automobile, mais aussi de soutenir des entreprises peu rentables au profit de hiérarques, d’où l’explosion de créances douteuses. La privatisation, associée à une plus grande vigilance de l’Union européenne, devrait contribuer à diminuer la corruption.

Le fait que la Slovénie soit un pays d’Europe du Sud, souvent montrée du doigt ces derniers temps à travers la Grèce, l’Espagne, le Portugal ou l’Italie, a-t-il contribué à nourrir les craintes des marchés financiers ?

Oui, psychologiquement cela a joué. On a même dit que la Slovénie était un paradis fiscal, ce qui est une allégation fausse. Le fait que ce soit un pays d’Europe du Sud a vraisemblablement joué. On a également affirmé que le secteur bancaire slovène était surdimensionné, alors que ce n’est pas le cas au contraire de Chypre ou Malte. Cela a eu un impact psychologique qui a obligé la nouvelle Premier ministre slovène, Alenka Bratusek, à se justifier sur la dimension du secteur bancaire : elle n’aurait peut-être pas été tenue de le faire s’il ne s’agissait pas d’un pays d’Europe du Sud. Mais je crois en même temps que c’est l’élément auquel il est le plus facile de remédier : il suffit de regarder les fondamentaux de la Slovénie pour s’apercevoir qu’il n’y a aucun amalgame possible avec Chypre ou Malte.
Si je ne crois pas qu’on puisse assimiler économiquement deux pays sous prétexte qu’ils sont géographiquement proches, je crois en revanche que la position géographique d’un pays influence son choix de développement économique. Dans le cas de Chypre et Malte, c’est la situation insulaire qui conduit à un surdimensionnement du secteur bancaire.
La Slovénie est au contraire au centre de l’Europe, au cœur de liaisons routières : c’est un pays d’infrastructures où on a pu mettre en place une industrie largement exportatrice. Il n’y a pas besoin de générer de l’économie dématérialisée comme la finance, qui peut pallier facilement l’absence de facteurs de production internes.
Il existe ainsi un lien entre la situation géographique le choix de développement du pays. De nombreux paradis fiscaux, comme Chypre, Malte, les Iles Caïman ou Hong Kong, ne le sont pas pour rien : il est plus facile d’y mettre en place une industrie dématérialisée, déconnectée des ressources « physiques » du pays.

Propos recueillis par Serge PAYRAU

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