Marseille. Julien Denormandie : le jeu collectif, recette de la « réussite républicaine »

Publié le 8 octobre 2019 à  20h02 - Dernière mise à  jour le 29 octobre 2022 à  12h32

Le ministre chargé de la Ville et du Logement veut faire équipe à grande échelle. Le mouvement, lancé le 13 juin dernier à Paris, se fixe un objectif et pas des moindres : la réussite républicaine. Le 4 octobre dernier, la première édition locale de cette nouvelle dynamique a été lancée à Marseille. Au programme des échanges, les questions de l’éducation et de l’emploi.

Julien Denormandie à Marseille  la première édition locale de
Julien Denormandie à Marseille la première édition locale de
«Avoir la meilleure maîtrise de son destin, la possibilité d’atteindre les rêves qui sont les nôtres». C’est ce qu’il qualifie de «réussite républicaine» que le ministre chargé de la Ville et du Logement, Julien Denormandie, entend assurer à tout un chacun. Autant dire qu’à Marseille, au vu de la disparité Nord-Sud plus que jamais d’actualité (et les récents événements relatifs à la copropriété dégradée Maison blanche ne vont pas le démentir), de la prégnance de l’habitat indigne ou encore, pour ne nommer que cela, de la présence de quartiers parmi les plus pauvres d’Europe, la route sera longue. C’est peut-être pour cela que la première grande étape locale de cette vaste dynamique collective, réunissant acteurs économiques, institutionnels, associatifs et autres conseils citoyens, a eu lieu le 4 octobre dernier dans la cité phocéenne. Au programme, trois tables rondes, des échanges sur deux thématiques centrales et d’incontestables leviers pour le ministre : «Deux chantiers me paraissent extrêmement importants. C’est d’abord l’accès à l’éducation. Il donne lieu à de nombreuses initiatives comme le dédoublement des classes, que l’on a mis en place. Et puis c’est l’accès à la formation professionnelle pour pouvoir ensuite avoir un travail. Aujourd’hui, on a dédié cette matinée à la question de l’inclusion par le travail, de l’insertion par le travail, de la formation et je crois que c’est essentiel. Parce que cette promesse républicaine, elle est permise en particulier par ces sujets d’éducation et de formation».

«Le temps de la réussite républicaine est long»

Des échanges restitués en synthèse par Claude Emmanuel Triomphe, de la mission Engagement civique, lequel est revenu sur deux mots : «invisible», pour que tous parlent des habitants d’une manière positive et «accompagnement» pour en finir avec un rapport inégalitaire entre les professionnels et les citoyens, et «pour répondre mieux et plus à la dignité des personnes». Il est également revenu sur un constat : l’assignation à résidence, professionnelle, sociale, raciale ou territoriale qui doit cesser pour une «mobilité» réelle. La sémantique fait mouche. «Il faut briser ce cercle vicieux de l’immobilité et pas avec des résultats dans 15 ans. Car si le temps politique est court, celui de la réussite républicaine est long». Et puis, outre le temps, il faudra de l’argent, bien sûr. Ainsi que la nécessité de lier les politiques entre elles, pour plus d’efficacité. De fait, l’approche en la matière doit être globale : «Ce matin on a beaucoup parlé formation et emploi, beaucoup moins d’éducation», soulève-t-il. Enfin, elle doit aller plus loin que l’intention… et quelques rendez-vous épisodiques. « Il faut se rencontrer régulièrement, trouver des lieux de réunions pour le faire et mutualiser des ressources»… et y associer les habitants des quartiers. Parmi eux en effet, beaucoup n’ont plus de lien ou de confiance avec les institutions et les acteurs de cette politique. Il y a donc urgence à tisser ce lien, qui doit se matérialiser comme «un apprentissage entre pairs. Cette manière de travailler est rare en France, il y a beaucoup de travail à faire, au sein des entreprises, des associations et des services».

Des annonces saluées par les participants

«Jouer collectif, ne pas cloisonner, ne pas fonctionner en silos, cesser de s’opposer les uns aux autres » : c’est aussi ce qu’a préconisé Julien Denormandie lors de son discours. Et cela se fera déjà à la faveur de la création de premiers grands réseaux : les cités éducatives. L’idée : relier ensemble ceux qui participent au parcours d’éducation des enfants, non pas seulement le collège ou le lycée, mais aussi les professeurs de musique, de sport, les animateurs de centre social… Déjà mis en place à La Seyne-sur-Mer (Var), le dispositif «fonctionne bien» aux dires du ministre, il devrait en émerger près de 80 sur tout l’Hexagone. Localement, Marseille en compterait trois. Une quatrième verrait le jour, ailleurs sur le territoire de la Métropole Aix-Marseille Provence. Mais le ministre ne compte pas s’arrêter là, puisqu’il souhaiterait créer, sur le même modèle, des cités de l’emploi qui fédèreraient l’ensemble des acteurs pour concilier l’offre et la demande. Ce qui est bien ambitieux, quand on sait que tous ceux (et ils sont nombreux !) qui ont œuvré jusqu’ici à la question ont été bien en peine de résoudre cette équation pour le moins corsée. Outre la création de ces cités, il faut reconnaître ceux qui sont sur le terrain et assurent le «dernier kilomètre» socialement parlant, ceux qui opèrent le dernier lien avec ces quartiers difficiles, martèle Julien Denormandie. Ce sont les habitants, les conseils citoyens, les associations et leurs bénévoles… «Mais aussi les mamans des quartiers», souligne-t-il, se fendant d’une première annonce. «J’ai demandé au conseil national des villes, une instance sous sa responsabilité, de réfléchir aux horaires de travail. Des horaires qui vous font partir très tôt, rentrer pendant que les enfants ne sont pas là, repartir très tard… Je demande aussi aux administrations d’être exemplaires. Les invisibles sont partout, ce sont parfois aussi les mamans». Au rayon des engagements, le ministre ne s’arrêtera pas là. Il en annonce trois à destination des associations, accueillis par des applaudissements pendant son discours : «Je m’engage tout d’abord à ce que les crédits de la politique de la ville à destination des associations soient non seulement maintenus, mais augmentés. Je voudrais par ailleurs que l’on puisse permettre, au moins à 30% des dossiers des associations, de partir sur du pluriannuel et non pas sur du mono-annuel. Enfin, toujours pour alléger votre charge, nous allons revoir de manière beaucoup plus simple la gestion du reporting que l’on vous demande».

L’apprentissage, levier vers la réussite ?

Car les associations jouent un rôle majeur dans la réussite républicaine, appuie à son tour Patrick Toulmet, délégué interministériel au développement de l’apprentissage dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville. Directeur de centre social pendant de longues années, il reconnaît qu’elles sont «le meilleur relai dans les quartiers. Pôle Emploi, les Missions Locales font appel aux associations». Ce qui ne doit pas empêcher le service public de l’emploi de jouer son rôle, notamment quand il est question de promouvoir l’alternance. «Je travaille avec le grand patron de Pôle Emploi et je lui ai demandé la mise en place de référents apprentissage. Jusqu’ici, Pôle Emploi ne savait pas le vendre. Ils mettaient tous ces jeunes dans la case chômeur, c’était tout». Aujourd’hui, ces référents vont pouvoir faire de l’accompagnement, mettre en place des réunions, emmener les jeunes découvrir des métiers dans les CFA, visiter les entreprises… Exemple avec la ville de Sevran en Seine-Saint-Denis : «Le maire a affrété deux cars avec des jeunes, des associations… Nous avons effectué une visite d’entreprise par groupes de 10-12 et à la sortie, il y a bien 30 à 40 jeunes qui ont dit je veux faire ce métier-là».
son_copie_petit-392.jpgEntretien avec Patrick Toulmet, délégué interministériel au développement de l’apprentissage dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville
(Photo M.B.)
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Vincent de Marco, directeur régional de l’Afpa abonde dans le même sens, puisqu’il était présent ce 4 octobre pour montrer comment l’organisme de formation s’engage dans l’apprentissage des jeunes. «L’Afpa, dans ses missions de service public, a intégré le sujet depuis quelques années et on est présent depuis 2016 dans le cadre d’un dispositif qu’on appelle « Agir pour l’emploi » dans les quartiers de Marseille. On tient une permanence, deux jours par semaine, et on reçoit des publics qui ne sont pas forcément identifiés par Pôle emploi, la Mission locale, le réseau traditionnel. Et on est capable d’aborder avec ce public-là tous les problèmes à la fois sociaux et professionnels que rencontre le jeune. Donc ne sont pas abordés que l’emploi et la formation mais ce qui est périphérique et notamment le volet social». Lequel implique de prendre la personne dans sa globalité, de traiter tous les problèmes empêchant l’accès à l’emploi et à la formation. Ainsi l’Afpa forme-t-il des jeunes sur l’ensemble de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur, mais soulève qu’«un peu plus de 20 000 offres en apprentissage ne sont pas pourvues… » A eux donc de repérer le public cible, les jeunes de 15 à 22 ans, et de leur proposer des parcours de formations, via un dispositif de «prépa d’apprentissage». Aux côtés des CFA et du réseau régional des Missions Locales, l’Afpa ambitionne, via un groupement, d’accompagner dans les deux prochaines années 4 000 jeunes. Cela passe par la définition du bon projet professionnel. «Il y a un gros travail sur la représentation et la découverte des métiers car beaucoup de jeunes ne savent pas ce qu’ils veulent faire». Cela avec des entreprises qui viennent expliquer leur métier, des vidéos et même les plateaux techniques de l’Afpa pour montrer «le geste professionnel».
son_copie_petit-392.jpgEntretien avec Vincent de Marco directeur régional de l’Afpa
(Photo M.B.)
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Citoyens, travailleurs sociaux et associations à l’écoute

Entre autres acteurs de cette matinée, citoyens engagés et associations n’ont pas fait de figuration. Ainsi Anissa, habitante du quartier de La Viste à Marseille (15e), membre du conseil citoyen et présidente de son comité de quartier, est restée attentive aux annonces ministérielles. «Il n’y a pas que les QPV (Quartiers Prioritaires Ville ndlr), clame-t-elle. Il faut prendre tout le territoire dans sa globalité, non seulement les quartiers prioritaires, mais aussi les noyaux villageois». Car dans ces derniers aussi, «il y a des gens pauvres, dans des petites maisons de village. Il y a des retraités, des gens qui ne travaillent pas, et ça ils l’ont oublié». Ainsi déclare-telle: «On lutte tous les jours et notre bataille, c’est le cadre de vie». Retard de livraison de la station Capitaine Gèze, mixité sociale en panne dans les écoles, réhabilitation d’une piste d’éducation routière, celle dernière en bonne voie, les revendications et les chantiers à prendre à bras-le-corps ne manquent pas… Pour autant, l’engagement des citoyens ne faiblit pas, la concertation s’organise… Comme en témoigne ce projet, en cours d’élaboration, financé à hauteur de 5 000 euros par un fonds de participation des habitants, abondé par la Préfecture. «Il émane de jeunes filles de 14 et 15 ans et vise l’intergénérationnel. Il s’agit d’emmener à l’extérieur les petites mamies qui ne sont jamais sorties de la cité, que ce soit pour un restaurant, un cinéma, un musée».
son_copie_petit-392.jpgEntretien avec Anissa habitante du quartier de La Viste
(Photo M.B.)
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De son côté, Virgine, animatrice Move (Mobilisation et Orientation Vers l’Emploi), demande au ministre «un peu plus de moyens » sur les quartiers prioritaires, où elle officie. «En tant que Move, nous sommes des animateurs qui travaillons au plus près des publics. Le dernier kilomètre, c’est nous ! On n’est pas que sur l’emploi, alors c’est vrai que pour le soutien psychologique ou autre, on aimerait avoir peut-être plus de moyens. Pas forcément financiers mais peut-être humains, avoir un peu plus d’animateurs de rue, développer davantage de contrats… Ce qui aiderait à avoir des équipes un peu plus présentes, pour être plus près des personnes dans le quartier ». Il faut dire qu’à la Busserine, Marseille (14e), où elle officie, il y a «beaucoup de personnes éloignées de l’emploi, notamment des décrocheurs scolaires… » Et ce sont des publics parfois dans la peur, dans la défiance vis-à-vis des grandes institutions à l’instar du Pôle Emploi. Alors, ce sont des portes qu’ils ne poussent pas… Ainsi, le combat pour la réussite républicaine ne sera pas un long fleuve tranquille. Il est parfois biaisé dès la base, comme l’explique encore Virginie, pointant du doigt la stigmatisation liée à la domiciliation. Car habiter la Busserine, c’est discriminant… «J’ai déjà fait le test : on a changé l’adresse et la personne a été prise donc ça existe.» Sans oublier non plus « la barrière de la langue, la mobilité ou la garde d’enfants… Ici, on n’a que deux crèches, pour huit et six enfants »…
son_copie_petit-392.jpgEntretien avec Virginie animatrice Movevirginie_move_centre_social_de_l_agora_a_la_busserine_04_10_2019.mp3

Intégrer les citoyens, « se dire les choses »

Et puis, il y a aussi les difficultés jalonnant les projets en cours, comme par exemple l’absence de concertation déplorée par les citoyens, sur le sujet de la rénovation urbaine. Mais pour Julien Denormandie, même si tout n’est pas parfait, il assure qu’il est aujourd’hui «impossible de lancer des projets de rénovation urbaine si un avis des conseils citoyens n’a pas été présenté dans le conseil de décision de lancement de ce projet. Partir et co-construire avec les habitants c’est le gage du succès. Faire du logement c’est faire de l’habitat, c’est partir des réalités… Et c’est ça qu’on fait maintenant », se défend-il. Même position à la suite de la réunion, tôt le matin, avec les collectifs de la rue d’Aubagne, déçus, puis avec Jean-Claude Gaudin et Martine Vassal. «Comme à l’accoutumé, parce que cela fait peut-être la septième fois que je les vois dans ce format-là, c’était une réunion très franche et très constructive qui vise à pointer du doigt un certain nombre de difficultés persistances. Par exemple, sur la question de la charte du relogement, ou encore, outre la rue d’Aubagne, sur le cas Maison Blanche. A Maison Blanche, la discussion portait sur les solutions à apporter. Est-ce que nous pouvions, nous État, apporter un regard sur l’état du bâtiment, sur sa structure même et c’est pour ça qu’on a envoyé des experts du CSTB (Centre scientifique et technique du bâtiment, ndlr). En quoi l’ARS, (Agence Régionale de Santé, ndlr) pouvait apporter un soutien sur des questions relatives au plomb ou à d’autres substances pour s’assurer que, une fois que les habitants reviennent dans Maison Blanche, tout se passe dans les meilleures conditions de sécurité sanitaire… Ce sont des sujets qu’on a évoqués avec les collectifs». Ainsi, pour le ministre, il s’agissait d’une réunion de dialogue «où on se dit les choses », notamment sur des sujets comme la signature du PPA ou l’application de la loi SRU. Se dire les choses… c’est bien. Les faire suivre d’actes au plus tôt, ce sera encore mieux. La «réussite républicaine» est à ce prix.
son_copie_petit-392.jpg Entretien avec Julien Denormandie ministre chargé de la Ville et du Logement
(Photo M.B.)
(Photo M.B.)
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Carole PAYRAU (rédaction) – Mireille BIANCIOTTO (son)

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