Centre Fleg Marseille. Images de massacres d’hier à aujourd’hui…

Le centre Fleg vient d’accueillir Tal Bruttmann, historien, spécialiste de la Shoah et Laurence Bindner, cofondatrice de Jos Project, plateforme d’analyse de la stratégie de communication des groupes radicaux. Un débat qui a mis en exergue la complexité de décrypter les images, l’évolution de l’image, des Nazis au Hamas en passant par Daesh.

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De gauche à droite l’historien Tal Bruttmann, carine Benarous (Fleg) et Laurence Bindner, cofondatrice de Jos Project © DR

Immédiatement, Tal Bruttmann souligne la complexité des sources notamment lors de cette période 39/45 . «Il y a différents types d’images. Elles ne proviennent pas des mêmes endroits, certaines viennent d’un cadre privé, d’autres, officielles, n’avaient pas pour but d’être diffusées tandis que certaines si. Il y a des photos à but administratif, c’est le cas de celles concernant l’écrasement du ghetto de Varsovie. Elles n’avaient pas pour objet d’être diffusées mais de montrer aux dirigeants le travail accompli. D’autres, en revanche, ont un but de propagande.» Il indique également que «nombre de photos ont été détruites lors des bombardements sur l’Allemagne et puis il y a les documents qui ont été détruits par les Allemands avant la défaite ce que font tous les régimes sur le point de perdre. Mais en fait nous n’avons jamais eu autant de documents dans l’histoire.» Mais, ajoute-t-il:  «D’où vient la complexité alors ? Lorsque l’on regarde un texte dans une langue que l’on ne connaît pas on sait que l’on ne comprend pas. Mais quand on regarde une photo on ne comprend pas qu’elle est dans une autre langue. Quand on regarde une photo prise par un SS on ne comprend pas la logique du SS. Il montre des Juifs, pas des victimes. Ils veulent montrer des gens laids, dociles, dont ils s’amusent. »

« Al Qaïda a la maîtrise totale de l’image grâce à Internet »

Avec Laurence Bindner on passe à une autre époque avec les groupes terroristes : « Ils vont, certains plus que d’autres, médiatiser les massacres de façon explicite. Entre les photos des Nazis et celles, très crues, exposées par les terroristes il s’est passé 70 ans et nous avons connu une saturation d’images et des images sont devenues acceptables. Lors des JO de Munich toutes les télévisions du monde sont là mais on ne voit aucune image des athlètes israéliens tués. Lors des attentats du 11 septembre les images restent lointaines. Daniel Pearl, journaliste au Wall Street Journal est enlevé au Pakistan et décapité par Al Qaïda. Le film est envoyé à CBS qui ne montre pas la décapitation ». Elle poursuit : «  Avec les années 2000 une évolution se fait jour : Al Qaïda commet un attentat contre les Shiites en Irak et le montre dans le but de provoquer une réaction de ces derniers contre les Sunnites afin de les radicaliser et de les pousser à les rejoindre. » Une évolution s’est fait jour : « Al Qaïda a la maîtrise totale de l’image grâce à internet. Et, avec la guerre civile en Syrie l’État Islamique commence à diffuser des exactions sous sa marque. » Pour Laurence Bindner « Il y a une omniprésence de la violence dans l’État Islamique ». Une marque de fabrique qui ne lui est pas réservé : «L’attentat de Christchurch contre des musulmans est filmé et diffusé en direct sur les réseaux sociaux. »

« Le 7 octobre est pire qu’un pogrom »

Arrive le 7 octobre. Laurence Bindner précise: « Contrairement à l’État Islamique qui retouche ses vidéos, met des ralentis, les images du 7 octobre arrivent de façon crues, violentes. Images tellement dures que l’on propose aux chercheurs qui veulent travailler dessus de couper le son. Les images publiées de manière individuelle montrent les viols, les morts, les enlèvements… Celles officielles, mettent l’accent sur le fait militaire.»

Pour Tal Bruttmann : « Pas question de regarder les images du 7 octobre. Pas besoin de les regarder pour savoir que le 7 octobre est une opération, planifiée pendant des années, visant à tuer le maximum de Juifs. Le 7 octobre est pire qu’un pogrom c’est 1 200 personnes qui ont été tuées en une journée quand la Nuit de cristal, en 1938, c’est moins de 1 000 morts.»  Surtout, il met en exergue le poids relatif de l’image : « Il n’y a plus de photos du Vel’ d’Hiv’ et celles que l’on a, montrent juste des fourgons de police. Mais la rafle est très rapidement commémorée, marque la mémoire collective contrairement à la rafle de Marseille.» Pourtant, poursuit-il: «On a plusieurs milliers de clichés qui montrent des personnes -hommes, femmes et enfants- arrêtées en cœur de ville, devant leurs voisins. Avec en plus d’autres photos qui montrent la destruction des Vieux quartiers, là encore au centre de la cité. Il y a eu 12 000 policiers mobilisés, plus que pour le Vel’ d’Hiv’. Ces photos devraient être dans tous les musées de la Shoah. Ce n’est pas le cas. Et il a fallu attendre le 80e anniversaire de la rafle pour avoir une grande exposition. on voit donc là le rapport biaisé que l’on a à la photo et que ce n’est pas la masse qui fait l’événement. » De la même façon on ne parle quasiment pas du massacre de Maillé où le 25 août 1944, 124 des 500 habitants ont été tués par les Allemands.

« Si les photos soignaient de l’antisémitisme le monde serait guéri depuis 1945 »

Faut-il montrer des images ? Laurence Bindner avoue que l’on tâtonne. Parle du principe «qui s’est forgé de devoir demander l’autorisation aux familles. Certaines acceptent, d’autres vivent cela comme un choc post traumatique, comme si leur enfant mourait sans cesse.» Elle précise : « Le film du 7 octobre a pu être diffusé auprès de diplomates, de journalistes, dans des pays arabes et là, l’intérêt est plus avéré». Mais, pour Tal Brutmann : « Si les photos soignaient de l’antisémitisme le monde serait guéri depuis 1945.»

Michel CAIRE

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