Publié le 9 novembre 2019 à 9h44 - Dernière mise à jour le 29 octobre 2022 à 13h25
Après le bouleversant rassemblement du 5 novembre, rue d’Aubagne, en hommage aux huit victimes de l’effondrement de deux immeubles, Kaouther Ben Mohamed, fondatrice de «Marseille en colère» a réuni des commerçants, des locataires, des propriétaires occupants, des représentants de la Fondation Abbé Pierre, du DAL, de Médecins du Monde et des avocats pour revenir sur le drame et la vie depuis. «Le droit de vivre en sécurité dans son logement n’est respecté ni par les propriétaires ni par les bailleurs sociaux pas plus que par la Mairie. 100 000 personnes vivent à Marseille en danger physique mais aussi sanitaire. Nous ne laisserons pas faire, nous allons attaquer tous les responsables et faire en sorte que la sécurité soit enfin assurée», assène-t-elle.
Colère, émotion, les témoignages se succèdent.
Sabine est commerçante: «J’ai la chance d’avoir un chez moi. Mais c’est professionnellement que tout est bouché. Nous devions ouvrir une crèche, nos locaux ne présentent pas de problèmes mais ils sont en fond de cour et le propriétaire nous empêche d’y accéder. La Ville ne réalise pas de travaux et rien n’avance». Fabienne était locataire: «Nous ne sommes rien, nous dérangeons. On nous dit que nous avons été relogés et que c’est très bien. Mais non, ce n’est pas très bien. Nous n’avons pas été relogés dans de bonnes conditions et l’impact psychologique, notamment sur les enfants, n’a jamais été pris en compte. Et j’avais chez moi ma mère handicapée. On m’a dit que si cela n’allait pas il fallait la mettre à l’hospice». «Et attention, ajoute-t-elle, je payais tous les mois mon loyer de 800 euros. Il faut en finir avec ce mépris, il faut que tout le monde porte plainte. C’est ce que je vais faire, contre mon propriétaire, contre X et éventuellement contre la Ville». Myriam habitait dans le 5e arrondissement, elle aussi va porter plainte: «J’avais saisi la Mairie pour des problèmes d’hygiène. On m’a répondu ne rien pouvoir faire alors que nous avions apporté la preuve que nous habitions un ancien garage transformé sans autorisation en appartement. Et les parties qui nous avaient conduits en 2015 à faire cette démarche sont celles qui se sont effondrées en 2019». Depuis son évacuation, indique-t-elle: «Le propriétaire a fait des travaux avec mes affaires dedans. Tout est perdu. Je demande un relogement on me dit qu’il vaut mieux que je sois réintégré. Mais je ne veux pas, j’ai peur, je n’ai aucune confiance dans les travaux effectués par le propriétaire».«Le logement doit être au cœur du prochain mandat»
Florent Houdmon, président de la Fondation Abbé Pierre en Provence-Alpes-Côte d’Azur dénonce «une violence institutionnelle». «On compte encore 100 000 Marseillais qui vivent dans de l’habitat indigne, dans des immeubles dangereux, qui menacent de s’effondrer, mais aussi dangereux pour la santé à cause des rats, du plomb… Pour sortir de cela il faut produire du logement social, un grand plan de lutte contre l’habitat indigne s’impose. Il faut aussi un grand plan pour les sans-abri ». Pour lui: «Le logement doit être au cœur du prochain mandat » et, lorsque «le privé ou les pouvoirs publics ne respectent pas le droit il faut accompagner les occupants vers le droit car c’est comme cela que l’on pourra avancer, notamment face aux marchands de sommeil». Florent Houdmon juge inadmissible «de voir encore aujourd’hui des annonces proposant des logements insalubres». Et annonce que la Fondation Abbé Pierre a décidé de se porter partie civile dans le cadre de l’information judiciaire ouverte après l’effondrement de deux immeubles de la rue d’Aubagne et qu’elle réclame à l’État un plan national contre l’habitat indigne. Jean-Baptiste Eyraud, porte-parole national du Droit au logement (DAL) avance: «Cela fait 30 ans que nous travaillons avec les victimes de sinistres, 30 ans qu’elle nous disent avoir été vidées comme des chiens». Concernant les procédures il prévient les victimes: «Elles sont très longues. Il faut que les victimes soient soutenues, que l’on reconnaisse les coupables et les victimes. Et il importe de mesurer qu’il y a un problème majeur sur Marseille où on veut faire partir les couches populaires des quartiers centraux. C’est cette question qu’il faut résoudre, cela impose un engagement de tous: État, Métropole, Ville… ». Jean-Régis, Médecins du Monde, évoque pour sa part «la précarité psychique. Les gens se sentent bafoués. Il faut les accompagner, il faut mesurer à quel point ils ont besoin de se sentir en protection». Il déplore que «trop peu de choses ont été mises en place pour les enfants et les anciens». Il appelle à une mobilisation pour en finir avec les taudis et conclut: «On attend la métropole sur ces problèmes».«Nous souhaitons mettre en place une multitude de plaintes»
Chantal, avocate, explique qu’un collectif d’avocats s’est mis en place pour défendre les sinistrés. Elle affirme que ce qui s’est produit le 5 novembre 2018 était prévisible. «On savait qu’il y avait des logements insalubres voire dangereux. D’ailleurs s’il y a eu autant de personnes évacuées c’est bien que nombre d’immeubles étaient déjà dangereux et recensés comme tels». Elle déclare : «Après le temps du choc vient celui du droit. C’est un temps long mais le respect du droit est une priorité d’autant que les victimes ont l’impression de ne pas être respectées en tant que personne». Pour l’architecte André Jolivet le verdict est sans appel: «Lorsque j’entends tous ces témoignages je constate que nous sommes dans une ville de non-droit et cela interroge d’autant plus que nous sommes dans la deuxième ville de France». Et regrette que le Préfet ne préempte pas lorsque la Ville ne construit pas autant de logements sociaux qu’elle le devrait. Et se prononce en faveur d’un grand plan de logements sociaux élaboré avec la participation des habitants. «Le temps sera long mais c’est un projet essentiel pour notre ville». Un avocat reprend et annonce : «Une information judiciaire est ouverte. Elle a pour objet de trouver les responsables de l’effondrement du 65, de la rue d’Aubagne. Nous souhaitons mettre en place une multitude de plaintes. Il y a eu le temps de l’effroi, puis celui de l’incompréhension, celui du respect du Droit est venu». Il indique à ce propos que le Parquet propose un bureau unique pour ce type d’infraction et souhaite la création au Commissariat, comme cela existe en Île de France, d’un service spécialisé dans les infractions au logement. Michel CAIREEntretien avec Kaouther Ben Mohamed, présidente de «Marseille en colère» kaouther_ben_mohamed_5_11_219.mp3 Propos recueillis par Mireille BIANCIOTTO |