Publié le 14 janvier 2020 à 20h38 - Dernière mise à jour le 29 octobre 2022 à 13h45
Ça va vite, ça décoiffe, c’est virevoltant et jubilatoire. Aux commandes de cette mise en scène tonitruante du «Malade imaginaire», donnée au Toursky on trouve Jean-Philippe Daguerre qui aime revisiter les grands classiques sans les trahir mais en se les réappropriant avec audace. Auteur lui-même, et notamment de ce poignant «Adieu monsieur Haffmann» -pièce puissante créée le 10 juin 2016, plusieurs fois primée, qui fut un des succès du Off d’Avignon et que l’on pourra revoir à Marseille dans ce même Toursky le 11 février prochain-, Jean-Philippe Daguerre est un magicien du théâtre. Il crée, il invente, il décide aussi. Opérant des coupes dans le texte, supprimant même le personnage du notaire, il fait baigner la pièce dans une folle modernité. Ses choix peuvent surprendre mais ils sont tous cohérents. Et font débat. Il fait interpréter par exemple le monologue du début par différents personnages. Lors de la fausse mort d’Argan (piège tendu à sa femme), il décide que sa fille dont on teste aussi la sincérité, a eu vent de ce stratagème, et feint la surprise. Plus étonnant l’épilogue de la pièce voit le frère d’Argan s’éteindre sous nos yeux, allusion bien entendu à la mort de Molière qui fut emporté après avoir joué «Le malade imaginaire».
Commedia dell’arte
Ce que l’on retiendra c’est la volonté affichée par Jean-Philippe Daguerre de tirer la pièce vers la commedia dell’arte. Vitupérant, sorte d’enfant gâté, capricieux et geignard. Argan la tête enrubannée, en robe d’intérieur, les mains posées sur un énorme boulier, souffre, se plaint, et rêve de marier sa fille à un médecin en pleurnichant tel un sale gosse. Placé sur un fauteuil doré, il trône…au sens presque littéral du terme, pantin de sa propre démesure, assistant désemparé à l’effondrement de son pouvoir tyrannique familial. Pour l’incarner Daniel Leduc offre un jeu riche en couleurs variées. Il est drôle, tout le temps, et donne à son personnage de bouffon, une dimension presque épique. C’est un peu Don Quichotte chez les apothicaires, se battant contre les moulins de ses désirs de richesse contrariés. A ses côtés Sophie Raynaud en Toinette, Marguerite Dabrin dans la peau d’Angélique et Louison, Marie-Laure Girard (Béline), toutes à la diction parfaite sont étonnantes et pétillantes. Alexandre Beaulieu campe Cléante et monsieur Fleurant avec un enthousiasme communicatif. Quant à Frédéric Habera, en Diaphoirus père (il est également Béralde le frère d’Argan) il est phénoménalement burlesque. Sorte de charmeur de serpents jouant de la clarinette, affublé d’un accent russe, parlant comme Francis Blanche dans «Les Barbouzes», il est le clown blanc qui déclenche l’hilarité et martyrise finalement son fils en le menant à la baguette. Tout à fait exceptionnel Olivier Girard en Thomas Diafoirus et monsieur Purgon lui aussi à l’accent russe style Audiard, Offenbach ou Feydeau, est un Auguste plein de verve, et de vitalité. Il se déplace dans une sorte de chorégraphie qui emprunte ses pas plus à Buster Keaton ou Chaplin qu’à Lully. Il contribue à porter le ridicule d’Argan à son paroxysme. Et comme il n’y a aucun décor, à l’exception de cette chaise plantée au centre de la scène, l’œil n’est jamais distrait. Les costumes sont soignés et colorés. Du coup on passe un moment assez exceptionnel qui fait relire Molière avec des yeux tout neufs. Et le tout proposé dans un esprit de troupe qui était celui de Molière.
Jean-Rémi BARLAND
«Adieu Monsieur Haffmann» de Jean-Philippe Daguerre sera donné au Toursky 16, passage Léo Ferré – 13003 Marseille le 11 février à 21heures. Plus d’info et réservations: toursky.fr