Portrait. Manù ou la quête de l’absolu…

Publié le 30 janvier 2020 à  18h11 - Dernière mise à  jour le 29 octobre 2022 à  13h46

Avec une dizaine d’élèves, Manù, dessinateur et professeur, investit Angoulême et son prestigieux festival pas plus tard que ce 30 janvier. L’occasion de présenter le travail de ses «loulous», à savoir la réalisation de carnets de voyage, concept qu’il a lui-même incarné, dans une furieuse envie de déstructurer les poncifs. Retour sur un artiste atypique.

Pour Manù l’aquarelle est son refuge secret (Photo D.R.)
Pour Manù l’aquarelle est son refuge secret (Photo D.R.)
Tout (ou en tout cas de nombreuses choses !) l’interpelle, une crainte l’agite : «Ne pas avoir le temps de tout faire», comme le chantait autrefois Michel Fugain. Manù, dessinateur de son état, a fait de cette course folle contre la montre un mouvement perpétuel. Il multiplie les dimensions, déploie les stratégies pour contracter ce temps si fugace, densifier le cours des choses et découvrir, toujours. «J’aimerais avoir toute une vie, ne serait-ce que pour voir tous les couchers de soleil du monde», pose-t-il poétiquement. Voir, mais aussi éprouver de tous ses sens au fil d’une ultime quête, celle de l’absolu. Voilà qui a toujours guidé Manù dans ses œuvres. Et elles sont plurielles : aquarelles, bandes dessinées au concept particulier, sons radio, puisqu’il a également été journaliste… Plus récemment, c’est dans le professorat qu’il s’est investi, en fondant un club virtuel d’aquarelles. «Je touche ainsi quelque chose qui manque en France, des clubs artistiques accessibles au grand public et surtout en aquarelle, mais aussi le grand manque de professeurs dans cette spécialité»… Mais, poursuit-il , il y a plus d’une lacune à combler autour de cette dernière. Et en premier lieu, la reconnaissance. Celle des professionnels est à conquérir, puisque «pour eux, ce n’est pas de la vrai peinture comparée à l’huile ou à l’acrylique». Celle du public ensuite, l’aquarelle étant souvent vue «comme un loisir pour femmes retraitées peignant des fleurs». Enfin, celle des mondes de l’édition et de la presse… « Pourtant il y a plein de personnes qui souhaitent peindre…mais elles sont toutes seules dans leur coin ! ». C’est notamment le cas d’une dizaine de ses élèves, inscrits au cours virtuel depuis juin 2018. Chacun s’étant incarné dans la réalisation d’un carnet de voyage s’inspirant de l’aquarelle, mais aussi de ce qu’il a appelé le Dogme 99, une façon bien à lui de se positionner à contre-courant dans le monde de la BD, de déstructurer les éléments de son œuvre pour mieux la reconstruire ensuite. Chacun a choisi son thème. Outre la finalisation de ces albums, il y a cette semaine la cerise sur le gâteau : «Ils vont présenter leur travail pour la première fois lors du festival d’Angoulême dans le Off que l’on a créé avec un ami». Parmi ces élèves, un que l’on ne présente pas : Claude Cardella, ancien président de la CCI Marseille Provence…

Déchirure identitaire

Angoulême n’a rien d’un hasard. Avant de «tomber dans la marmite de l’aquarelle», Manù rêvait de faire ses armes dans l’univers de la Bande Dessinée. Quittant sa Corse natale, il intègrera les Beaux-Arts à Angoulême, après s’être préparé au concours pendant deux ans à Marseille, au sein de l’académie Kieffer. Il y rencontrera André-Pierre Hardy, son maître d’aquarelles, par lequel s’opèrera le déclic. « L’avantage de l’aquarelle, c’est sa capacité de vitesse. En quelques minutes, quelques jours, voire un peu plus, on voit le résultat. Contrairement à la peinture à l’huile qui réclame bien davantage de temps ! Et puis, on y met son âme, on ne peut pas tricher. Tout est dans le premier jet, dans l’impulsion. Contrairement à l’huile ou l’acrylique, où l’on peut retoucher à l’envi. » En somme, toujours ce rapport au temps et à l’absolu… Puis il finit, au troisième coup, par décrocher le fameux sésame et intègre l’école des Beaux-Arts, posant ses valises en Charente. «C’était une période où il y avait tellement d’espoir pour la BD. Tout le monde y croyait ! Mais j’avais un doute sur son devenir». Il anticipait déjà le digital, il avait l’intuition que les vecteurs, les supports changeraient radicalement, induisant de nouveaux modes d’usage. Manù passait néanmoins sa vie au Centre national de la BD et de l’image, forte de plus de 100 000 ouvrages. Et c’est justement ce foisonnement qui va le pousser à chercher un positionnement différent pour son travail : «À quoi bon faire de la BD si c’est juste pour se trouver parmi autant d’autres volumes ? Et moi je suis quoi ? Un mec qui dessine comme s’il était à l’usine ? Qui ne produit qu’en série des choses répétitives, en faisant évoluer toujours le même personnage ?» La déchirure identitaire est prégnante. C’est alors qu’il écume les concepts d’albums les plus étranges pour pouvoir se trouver. D’où la création de son concept, le dogme 99, inspiré dans la démarche du 95, lancé dans l’univers cinématographique. Un seul impératif : balayer ce qu’on lui a appris, «tout péter dans la technique narrative» pour tout reconstruire. CDB 67, son premier album, en sera le fruit. «Je suis le héros et j’invite le lecteur dans ce carnet de bord. Il y suit l’itinéraire d’un dessinateur à la fin de sa vie, il découvre son passé. Chaque jour est rempli d’indices. Et il n’y a aucune limite : on trouve dans ce carnet du crayon, de l’aquarelle»… Au point même que cela rendra les éditeurs perplexes, faute de pouvoir ranger l’ouvrage dans une catégorie précise. C’est donc par le biais de l’autoédition qu’il lui donnera vie.

En quête d’éditeurs

D’autres CDB toucheront des thèmes beaucoup plus variés : un simple poème, le Pôle Emploi ou encore… sa propre mort. Mais outre ce concept, il réalise des carnets de voyages ou de souvenirs d’aquarelles sur des lieux précis. Notamment sur la Charente, mais surtout sur sa Corse natale. Cette dernière fera notamment l’objet d’un livre, «La Corse en aquarelles», qui remportera un grand succès. «L’aquarelle est mon refuge secret», observe-t-il. Elle le lui rend bien. Ainsi depuis quelques années, il entreprend de la transmettre, via ses cours virtuels. «J’ai commencé par des vidéos, j’y désacralisais tout. Avec un parti pris technique : l’utilisation du slow motion ». Devant le succès et le nombre de vues, il institutionnalise la chose et crée donc ce club virtuel. Il teste par ailleurs le matériel pour aquarelles de marques reconnues. C’est ce qui l’amènera à concevoir avec Isabelle Roelofs, fondatrice d’Isaro, une «Manù Box» dans laquelle chaque pièce est numérotée, ce qui facilite le guidage des élèves lors des cours. Et l’année 2020 s’annonce dans une floraison de projets. Elle commence donc avec cette présence au festival d’Angoulême. Elle se poursuivra, au sein du club virtuel, avec la création de nouveaux carnets de bords et de voyages. «Le site va par ailleurs recenser tous les tests de matériels à travers le monde». Enfin, il peaufine deux idées de livres pour lesquels il va se mettre en quête d’éditeurs. Le mystère reste pour l’heure entier sur leurs thèmes… Mais connaissant le rapport au temps de Manù, gageons que ce voile-là sera bientôt levé.
Carole PAYRAU

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