Publié le 31 janvier 2020 à 11h23 - Dernière mise à jour le 29 octobre 2022 à 13h46
Cette pensée de Jean-Jacques Rousseau tirée de l’«Émile ou l’éducation» : «Qui rougit est déjà coupable, la vraie innocence n’a honte de rien», à laquelle vous ajoutez des allusions à Joyce, et à Proust -on verra comment un exemplaire de «A la recherche du temps perdu» dissimulé sous un blouson peut sauver de la mort-, avec en filigrane un rappel de la sortie sous haute surveillance de «Inferno» de Dan Brown, agrémenté d’un genre de clin d’œil à l’affaire Gary/Ajar, et vous aurez quelques uns des ingrédients narratifs du film «Les traducteurs», le puissant thriller de Régis Roinsard qui est sorti ce mercredi 29 janvier sur les écrans.
Un canevas très simple, et pas simpliste, des acteurs à la force de jeu évocatrice, un scénario en béton armé qui n’est autre qu’un hymne à la littérature et l’éloge de l’art en tant que libre approche désintéressée du monde. Déjà remarqué pour son film «Populaire» et avant que l’on puisse voir son adaptation cinématographique du best-seller «En attendant Bojangles» le réalisateur Régis Roinsard privilégie ici les retours en arrière qui annoncent en fait des fuites en avant, s’offre même une sorte de jeu du chat et de la souris dans le métro parisien, et s’en va se promener du côté de John le Carré, offrant au passage une intrigue aussi bien ficelée que les meilleurs polars nordiques. L’histoire: Isolés dans une luxueuse demeure sans aucun contact possible avec l’extérieur, neuf traducteurs sont rassemblés dans un bunker pour traduire le dernier tome d’un des plus grands succès de la littérature mondiale. Mais lorsque les dix premières pages du roman sont publiées sur internet et qu’un pirate menace de dévoiler la suite si on ne lui verse pas une rançon colossale, une question devient obsédante : d’où vient la fuite ? Pratique pas si fantaisiste c’est de cette manière que vit le jour les versions étrangères du roman «Inferno» de Dan Brown que nous citions plus haut. Savamment agencée l’intrigue dévoile peu à peu des personnages aux caractères trempés servis par de magnifiques comédiens de nationalité différente -dont Olga Kurylenko, Riccardo Scamarcio, Sidse Babett Knudsen, Eduardo Noriega, Sarah Giraudeau Alex Lawther (prodigieux rappelant par moments Edward Norton et Frédéric Chau). Dans la peau d’Eric Angstrom, traducteur ô combien vénal, Lambert Wilson en vrai méchant semble sortir d’un film de James Bond. Décalé, jusque dans sa tenue vestimentaire, il apporte au film un côté intemporel. Son jeu riche en non-dits impressionne. Et pour ceux qui ont pris leurs places pour «Le Misanthrope» de Molière donné au Toursky de Marseille ce samedi 1er février (c’est complet), ils découvriront un Lambert Wilson interprétant un Alceste furieux et en rage. Un Alceste voulu ainsi par le metteur en scène Peter Stein dont on a trouvé le travail lors de la création que nous avons vue à Paris ô combien singulier. Lambert Wilson, comme le facteur, sonne toujours plusieurs fois, car très prochainement nous le verrons sur les écrans incarner aux côtés d’Isabelle Carré… un certain Charles de Gaulle, dans un film signé Gabriel Le Bomin dont la sortie est prévue le 4 mars 2020.
Jean-Rémi BARLAND