Publié le 11 juin 2013 à 1h00 - Dernière mise à jour le 27 octobre 2022 à 15h39
Las d’être invisibles ou pire, figés dans l’image négative desservant les quartiers Nord de Marseille, les artistes implantés dans le 13/14 ont décidé de passer à l’offensive. Programmation d’un festival du nom de Musicales Actuelles, et constitution d’un collectif figurent au menu de leurs actions.
« Plus qu’assez de n’entendre parler que des kalachnikovs ! Marre d’être vu comme un seul coupe-gorge. Les quartiers Nord à Marseille, ce n’est pas que ça. » Ces mots, c’est Gérard Paquet, président de l’association Planète Emergences qui les martèle, excédé. Et on le conçoit. Compagnies de danse, de théâtre, espaces et associations diverses : dans les 13ème et 14ème arrondissements de Marseille, le terreau propice à l’émergence d’initiatives culturelles est là, et bien là. Mais qui le voit ? Qui s’en fait l’écho ? « Je regrette ce manque de curiosité à notre égard, ça me blesse », enfonce le clou la comédienne Isabelle De Andrade. Un comble, lorsqu’on sait que « L’esprit des cafés, l’âme des poètes », spectacle présenté par son association Arteco, joué à Marseille à la station Alexandre au mois de mars, mais aussi hors de nos frontières, « est le seul en quatre langues – français, hongrois, italien et tchèque – à avoir été labellisé Marseille Provence 2013 », précise-t-elle. Un exemple parmi d’autres pour attester de ce que l’on a à apporter, de ce côté-là de la cité phocéenne.
La coupe est donc désormais pleine pour le milieu artistique local, qui a décidé de prendre les choses en mains, avec le concours de l’association Planète Emergences. Ce volontarisme prendra déjà corps tout au long de ce mois de juin, à la faveur d’un festival appelé Musicales actuelles. Une affiche métissée, riche des couleurs de la Méditerranée, et dont certaines dates sont inscrites dans le programme de la mairie du 13-14, intitulé quant à lui Marseille, Capitale culturelle de la jeunesse. Un clin d’œil démontrant qu’à défaut de manne made in MP2013, on fédère ici aussi les forces vives pour générer des événements culturels dignes d’intérêt. De fait, la scène éphémère dite du porte-voix (la bien nommée !), installée dans le parc du grand séminaire, se prêtera à une programmation alléchante, ce jusqu’au 30 juin. « Le but, c’est de montrer, dans le cadre de MP2013, tout ce que nos associations font à longueur d’année, et ce que les artistes peuvent prodiguer à notre secteur. Au-delà des spectacles, nous avons aussi voulu nous adresser aux populations locales, ainsi qu’aux arrondissements proches des quartiers Nord (ndlr : les 15ème et 16ème ). Il s’agit d’une démarche de proximité », tient à souligner Jean-Pierre Ravoux, élu délégué aux événements Culturels et scientifiques de la mairie de secteur.
« On commence et on finit avec les Comores… »
Mais revenons à la programmation du festival Musicales Actuelles. Elle commencera le 13 et le 14 juin avec « Kara’ une épopée comorienne », une création théâtrale proposée par la compagnie L’orpheline est une épine dans le pied et mise en scène par Julie Kretzschmar. Il s’agit d’une écriture à quatre mains, celle d’un auteur et d’un anthropologue comorien (Salim Hatubou et Damir Ben Ali). L’idée ? Donner le jour à une histoire relevant de la tradition orale et retraçant les affrontements qui ont déchiré cet archipel à la fin du XIXème siècle.
Les 20 et 21 juin, place aux écoliers du cru avec Pas de quartier, conte musical urbain conçu avec les enfants et les ados de la Busserine. « Ils ont participé à l’ensemble des étapes qui jalonnent une création, telle l’écriture, ont été mis en situation scénique, connaissent aussi le plateau », précise Marianne Suner, de la compagnie le Vivier.
Puis le 22 juin, la danse se pointera sur la terrasse de la Bastide Saint Joseph, siège de la mairie de secteur dominant le parc. La compagnie Geneviève Sorin proposera Garçon s’il vous plaît, « une création pour 4 danseurs, un musicien et une chanteuse. Ce spectacle est conçu pour les endroits populaires, espaces publics, restaurants, cafés. Il s’agit d’un travail qui se fait depuis l’automne 2012 et s’achèvera avec cette dernière date », détaille à son tour la chorégraphe.
Ce même soir, on soufflera aussi vingt bougies, et en rythme : ce sera en effet l’anniversaire de Heart color music. Les cultures urbaines seront au rendez-vous ! « Nous allons faire en sorte de mettre en valeur les artistes qui ont œuvré dans cette association depuis près de 20 ans », explique Diessy Contaret.
Enfin, les dernières dates de la programmation seront synonymes de concerts. Le 28, ce sera Gnawa moderne. Officieront DJ espadrille, Aziz and the university of Gnawa, et DJ Amina. Puis le 29, Bass culture se posera en affiche plus typée reggae, à laquelle Laurent Albertini et le groupe de jeunes musiciens qu’il a fondé, le Handcart band, sont pour beaucoup. L’homme se définissant lui-même comme pur produit des quartiers Nord, puisque natif de la Belle de Mai, est parti jouer aux quatre coins du globe avec des artistes chevronnés. Il a également enregistré avec des grands noms, tels Akhenaton et le groupe Iam. Un parcours qui lui a permis de convier « de nombreux artistes rencontrés dans le cadre d’échanges, comme par exemple Dennis Alcapone et Winston Reedy ». Seront également présents Bishob&Manjul et Ahmed Fofana… « Les musiciens marseillais accueillent ceux du monde. Et eux-mêmes, font le tour de la planète. Nous sommes donc dans une bonne dynamique qui est celle de l’échange, pas de l’enfermement », note ainsi Jean-Pierre Ravoux. Enfin, le 30 juin, « on termine comme on a commencé : avec les Comores », poursuit l’élu, ravi de cette belle invitation au voyage. Spectacles, concerts et bal figureront au menu de cette soirée de clôture.
Ils jouent collectif
Mais ce n’est pas tout. Car il ne faut pas croire que le volontarisme des artistes du côté Nord baissera sa garde une fois ce festival achevé. Loin s’en faut. Ils ont décidé, voilà quelques jours, de se constituer en collectif. L’idée : donner bien entendu une autre image de ces quartiers. « Ici aussi, nous avons des artistes, des médecins, des chercheurs », lance Diessy Contaret. La mission du collectif s’impose donc : mettre en valeur toutes ces forces vives. Et pour cela, l’union fera inévitablement la force : « ensemble, on aura plus de poids pour se faire entendre au niveau des institutions », avance ainsi Denis Pantaléo, président du Roudelet Felibren de Château-Gombert, groupe folklorique né en 1927. « Nous avons rejoint ce collectif parce qu’il y a ici une réelle capacité à proposer des choses originales. Si on pouvait interpeller les pouvoirs publics afin qu’ils s’en rendent compte, ce serait idéal », rebondit Isabelle de Andrade. Pour Gérard Paquet, une telle initiative tombe sous le sens : « on parle aujourd’hui beaucoup de métropole, et celle de Marseille sera prochainement actée. Or, du point de vue de la géographie et des infrastructures routières, nos quartiers vont être au cœur de ce territoire ! »
L’initiative est encore fraiche, mais elle trouve son terreau dans des réflexes noués de longues dates : « le collectif, il existe déjà dans les faits, car on a l’habitude de travailler ensemble, et heureusement », note Marie-France Lucchini, directrice de Planète Emergences. Néanmoins, passées ces premières rencontres dans le parc, et une fois l’été achevé, il va franchir un pas supplémentaire dans le concret. « Ce groupe de travail va se retrouver et s’élargir en septembre. L’une de ses premières missions sera de se positionner sur la réalisation du porte-voix », explique Gérard Paquet. Car la scène éphémère de ces festivals d’été pourrait bien devenir une véritable structure pérenne, sous les traits d’un kiosque à musique. De quoi proposer aux habitants de ces quartiers, fréquentant à nouveau massivement le parc du grand Séminaire depuis près de trois ans, une offre culturelle étoffée. Un mini « La Villette » au pied de la Bastide Saint Joseph ? L’idée en séduira plus d’un.
Carole SIGNES