Aix-en-Provence. Rencontre au Jeu de Paume avec Romain Tamisier, interprète d’Arlequin de Marivaux dans la mise en scène de Thomas Jolly

Publié le 6 mars 2020 à  20h40 - Dernière mise à  jour le 31 octobre 2022 à  9h48

Romain Tamisier dans
Romain Tamisier dans
C’est l’histoire d’un homme qui tombe amoureux. Et, chez Marivaux qui a créé son personnage dans «Arlequin, poli par l’amour», c’est autant au sens figuré qu’au sens propre. Chahuté par les vents du monde, séquestré par une fée qui en pince pour lui au point de le menotter à sa vie, cet homme un peu benêt au début, qui s’enhardira ensuite au point de se fondre dans une peau proche de celle d’un tyran, (référence ici à Richard III que Thomas Jolly a monté autrefois dans une mise en scène spectaculaire, festive, explosive et magique) atterrira sur un sol hostile. A la question que lui pose Silvia: «Vous m’aimerez toujours ?», il répondra : «Tant que je serai en vie», se détournant ainsi d’une affirmation positive par trop optimiste ou caricaturale. Visible au Jeu de Paume d’Aix jusqu’à samedi 7 mars voilà une pièce courte de Marivaux qui est un miracle de théâtre. Des ampoules placées de manière géométrique sur un décor qui n’est pas sans rappeler celui de «La jeune fille, le diable et le moulin», la pièce d’Olivier Py. Des guirlandes lumineuses, des serpentins de papier qui s’envolent vers les spectateurs. Des clins d’œil musicaux à «Comme ils disent», d’Aznavour, ou «Un jour mon prince viendra», la chanson du film Blanche-Neige. Des jeux d’ombres et de lumières. Des costumes bariolés habillant des personnages ou des animaux fantasques, ici des moutons irrésistibles de drôlerie, tout ce spectacle tient de la magie. Nouvelle production oblige, (Arlequin fut créé en 2006 avec d’autres comédiens, puis repris en 2011 sans s’être arrêté), c’est Romain Tamisier qui a été choisi par Thomas Jolly pour se glisser dans la peau de ce personnage haut en couleurs que l’on ne voit pas ici en pyjama comme souvent dans la commedia dell’arte dont il est issu. Né le 20 novembre 1985 à Paris, découvert par Thomas Jolly au moment où il passait un concours à Rouen, Romain Tamisier est un acteur très physique, (il a beaucoup joué au hand-ball), et pour entrer dans la peau et la psychologie de son personnage a énormément travaillé sur les déplacements, et les entrées de chaque scène. D’une diction parfaite (comme tous ses excellents camarades à qui Thomas Jolly exigea le même effort), Romain Tamisier est exceptionnel de densité, d’intelligence et de subtilité, animé en cela par cet esprit de troupe sans lequel il n’y a pas de spectacles créés par Thomas Jolly. «J’aime beaucoup Arlequin, précise-t-il, c’est un enfant kidnappé, privé de ses parents. Très fragile au départ, il prend de l’assurance, de l’ampleur, et s’émancipant devient un homme de pouvoir». Et d’ajouter : «Ce qui me paraît très intéressant dans le travail de Thomas c’est sa volonté de relier la dramaturgie de la pièce de Marivaux à ce qu’une société et les autres nous font vivre. La manière dont tout cela nous transforme donnant naissance à des scènes courtes, montées avec précision. J’adore voir Arlequin passer de l’amoureux étourdi au statut de tyran.» Ayant déjà travaillé avec Thomas Jolly sur «Box-office», il demeure totalement épanoui dans son univers. Fourmillant de projets, il aimerait interpréter le Léon de Buchner. Romain Tamisier est curieux et attentif.

L’histoire du Théâtre en une heure

On lui doit aussi l’écriture avec Amélie Chalmey, et Marie-Charlotte Dracon de «60 minutes inside» qui raconte en une heure l’histoire du Théâtre. Mais précisons les notes d’intentions de l’équipe, «La Compagnie l’Alchimie», qui a vu le jour en région normande. «Conçue pour être présentée dans les salles de classe, au plus proche des élèves, voilà une histoire rocambolesque faite de masques étranges, de répliques incontournables, d’anecdotes croustillantes et de secrets encore à révéler. Ce spectacle offre ainsi la possibilité à Dionysos de renaître sous les traits de Diony ou encore à Roméo et Juliette de maudire Shaky (alias Shakespeare) pour mourir ainsi bêtement. Dans ce déploiement historique, les quelques méandres géographiques -limités tout de même à l’occident -, entraînent comédiens et spectateurs dans une véritable épopée. Mais une épopée de 60 minutes, jouée sur 10m², grâce à quelques accessoires, et à beaucoup d’imagination» Sur scène avec Marie-Charlotte Dracon, sa complice et camarade de jeu, Romain Tamisier insiste sur l’idée de créer un spectacle -à partir de connaissances, de recherches, d’extraits d’œuvres célèbres- qui raconterait, présenterait, proposerait, de façon à la fois ludique et pédagogique, l’Histoire du Théâtre à un public scolaire. Et la lui ferait aimer.

«Une bonne pièce c’est celle qui sait mélanger les registres»

Quant à savoir ce qu’est une bonne pièce, Romain Tamisier précise que c’est celle qui «mélange les registres, qui passe du drôle au tragique en laissant une part de liberté et aux metteurs en scène, et aux acteurs ou actrices. Et qui, comme chez Marivaux défend aussi une langue.» Posant sur son métier un regard critique (au sens d’analyser) ce comédien aux degrés d’interprétation d’une richesse infinie est un vecteur d’enthousiasme et d’excellence. Un des joyeux complices de la bande à Thomas Jolly en fait.
Jean-Rémi BARLAND
Au Théâtre du Jeu de paume jusqu’au 7 mars à 20 heures. Plus d’info et réservations lestheatres.net/

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