Publié le 10 mars 2020 à 10h28 - Dernière mise à jour le 31 octobre 2022 à 9h48
Bruno Gilles, candidat sans étiquette à la mairie de Marseille devait tenir lundi soir un meeting au Silo, mais, au regard de la décision du Gouvernement qui interdit les rassemblements de plus de 1 000 personnes, il a décidé «en conscience, à regret mais en responsabilité, d’annuler notre grand rassemblement de fin de campagne». Il y a quelques jours il nous a accordé un entretien dans lequel il revient sur son programme en avançant comme fil rouge: «Il faut repenser les problématiques du quotidien, en modernisant la ville pour une meilleure qualité de vie et en même temps avoir une vision à long terme pour préparer demain»
Destimed: Bruno Gilles, vous avez mené de nombreuses campagnes électorales mais celle-ci est la première que vous menez sans étiquette, qu’est-ce que cela change pour vous?
Bruno Gilles: C’est vrai, c’est une première pour moi. C’est la première fois que je mène campagne hors parti et, après trois campagnes de sortant. Je n’ai pas, non plus, d’appuis de poids. Mais, j’ai d’autres atouts, j’ai une équipe dynamique, très ouverte. Qui m’aurait dit un jour que je ferais campagne avec Lisette Narducci, Richard Martin? Que je présenterais un programme culture avec ce dernier sous le portrait de Léo Ferré? Nous avons su dépasser les clivages pour nous recentrer sur l’essentiel, les besoins des Marseillais. Il en va de même avec Cécile Vignes qui a combattu la fusion des établissements Beauregard et Vert-Coteau à laquelle je suis favorable. Mais je ne suis pas d’accord avec le lieu d’implantation prévu actuellement… Beaucoup de choses changent donc mais nous gardons nos valeurs de proximité. Alors, on me fait finalement vivre une aventure extraordinaire qui, de plus, j’en suis persuadé, va bien se terminer. Et cette dernière période m’a aussi fait mesurer toute l’importance de l’intervention citoyenne. Raison pour laquelle je veux mettre de la transparence dans la gestion des affaires de notre cité. Nous devons rendre des comptes aux Marseillais jour après jour et pas seulement pendant les élections. Nous devons porter les aspirations du quotidien et avoir une ambition forte et visionnaire. Rien ne peut se faire sans que les Marseillais ne soient écoutés et consultés. Les mairies de secteur auront plus de pouvoirs, sur les petits travaux; nous instaurerons une coopération dans les tournées des brigades de la Police municipale en matière de lutte contre les incivilités. Nous demanderons la décentralisation de la gestion de la propreté aux mairies de secteur, au plus près du quotidien des habitants. Je mettrai en place un budget participatif pour permettre aux Marseillais de réaliser des projets pour leur quartier. J’améliorerai la concertation publique et la prise en compte de l’avis citoyen par la création d’une délégation d’adjoint au Maire spécialement dédiée à la participation citoyenne. Ainsi, les crispations autour du projet d’emplacement du nouvel hôpital à Saint-Barnabé (12e) comme des travaux en cours du Boulevard Urbain Sud ne se reproduiront plus. Nous mettrons en place une commission extra-municipale pour dialoguer en temps réel avec les citoyens. Nous utiliserons aussi des moyens modernes. Il existe des applications dans les Pays Nordiques qui permettent de poser des questions à des citoyens concernés par un équipement de proximité ce qui permet de toucher le public le plus large possible, la majorité silencieuse.
Au-delà, comment comptez-vous répondre à la fois aux urgences de cette ville et la nécessité d’en redresser les finances?
Si on intègre le milliard d’euros nécessaire pour les écoles nous avons un budget de 1,750 milliard. Pour le financer nous pouvons obtenir des finances supplémentaires. On peut vendre le Stade Vélodrome, transférer à la métropole l’Opéra qui est un équipement métropolitain, créer un Casino qui devrait nous permettre d’obtenir 10 millions d’euros de taxes supplémentaires. Ensuite un chiffrage montre que nous perdons entre 10 et 12 millions d’euros par an en matière d’occupation de l’espace public. Nous allons y remédier. Et puis, il y a l’Europe, nous touchons moins de 20% des fonds quand Nice touche plus de 80%. Nous allons mettre en place une équipe compétente et nous pouvons récupérer au minimum 15 millions d’euros par an. On ne va pas charger la barque mais sur les transports on peut récupérer plus de la métropole. Sans entrer dans des dépenses pharaoniques, je propose déjà que l’on revoit la carte des lignes des bus, certaines datent de la Libération et développer le tram. Voilà plusieurs élections que l’on promet le métro jusqu’à l’Hôpital Nord. Mais lorsque l’on regarde les besoins, ce sont des habitants des 13, 14, 15 et 16e arrondissements qui majoritairement, se font soigner dans cet établissement, ils veulent que les familles puissent venir sans prendre la voiture, sans que cela coûte une fortune en parking. En revoyant les lignes on peut simplifier la vie de la population pour un coût allant de 1 à 2 millions d’euros. Dans cette logique nous développerons des transports en commun plus respectueux de l’environnement en améliorant la desserte des quartiers Nord, Sud et Est en favorisant de nouveaux moyens de transports en commun, en mettant en place de bus électriques ou à gaz en Centre-ville. Nous proposerons le prolongement de la ligne de tramway entre Marseille (Les Caillols) et Aubagne assurant ainsi la connexion entre ces deux réseaux de transports en commun. Des piscines ont vu le jour à Cassis et Venelles, c’est très bien, nous attendons que la Métropole nous aide pour reconstruire les piscines Nord et Luminy et je souhaite que, symboliquement, la pose de la première pierre ait lieu le même jour pour montrer que nous nous intéressons de la même manière à tous les secteurs de Marseille. Alors, oui, Marseille ne roule pas sur l’or mais en étant plus présents, en allant chercher de l’argent auprès des autres collectivités, de l’État et de l’Europe, en étant plus rigoureux et en se séparant de certains équipements on peut améliorer significativement la vie des Marseillais et rendre la ville plus attractive.
Comment répondre au drame de la rue d’Aubagne, aux centaines de personnes évacuées, aux immeubles en arrêté de péril?
Les tragiques effondrements des immeubles de la rue d’Aubagne le 5 novembre 2018 qui ont coûté la vie à 8 personnes, ont profondément marqué nos esprits et ont mis en avant de nombreux manquements. De même, la rue d’Aubagne prouve que la fracture n’est pas seulement Nord/Sud, la rue d’Aubagne est en plein centre-ville, à quelques centaines de mètres de magasins de luxe. J’ai déposé un projet de Loi au Sénat visant à améliorer la lutte contre l’habitat insalubre ou dangereux qui a été voté le mardi 11 juin 2019, à l’unanimité. J’attends maintenant qu’il soit voté à l’Assemblée Nationale. Je rappelle que ce texte prévoit une obligation de diagnostic technique tous les 15 ans. Le Maire n’a pas actuellement la Police du Logement et plusieurs services interviennent: la Préfecture, le Département, la Métropole, tout le monde travaille dans son coin, personne ne se parle. Donner le pouvoir au Maire de la police du logement permettra d’intervenir plus rapidement et la Mairie pourra ainsi suivre de A à Z le dossier du logement insalubre. Nous aurons besoin de l’aide de l’État. Nous aimerions avoir, comme c’est le cas à Nice, un Procureur dédié aux affaires liées à la Municipalité. Il nous serait bien utile. De plus, je souhaite que l’État crée une Zone franche urbaine dans l’hyper-centre. Ce serait un geste fort, à tous les niveaux, s’il nous aide à lutter contre l’habitat, à reconstruire dans ce quartier qui a besoin de logement social, de locatif libre, d’accession à la propriété. Il faudra mettre tout le monde autour de la table pour avancer sur tous ces dossiers. Nous appliquerons immédiatement le renforcement des sanctions contre les marchands de sommeil et nous favoriserons la mise en place du permis de louer. Nous améliorerons l’accueil et le logement des étudiants, avec un audit et un plan sur 6 ans. Et il faudra accélérer le mouvement concernant les immeubles dégradés. Ce n’est pas possible que rien ne soit fait depuis plus d’un an, avec des immeubles inhabités qui se dégradent de plus en plus, avec des blocs de béton dans les rues. Il faut un suivi semaine après semaine, voir auprès des propriétaires ceux qui veulent faire des travaux ou pas. On pourra alors exproprier, remettre en état avant de louer ou vendre.
Comment entendez-vous développer l’emploi à Marseille?
Je ne cesse de parler des relations que nous devons développer avec l’État, du climat de confiance à instaurer, cela l’est aussi pour le développement économique. Élu, ma première visite sera donc pour le Président de la République afin de négocier ce qui peut l’être et notamment sur le Port. 80% des sols du Grand Port maritime de Marseille ne sont en effet pas utilisés. Il faut voir ce qui peut y être fait. Nous avons les projets de Casino, de Cité des Sciences et de la mer, d’aquarium géant. Cela sans oublier la fonction première du Grand Port, les activités économiques. Je mettrai en place un Conseil stratégique de l’économie portuaire. La Ciotat a réussi sa reconversion, nous devons nous aussi accueillir des bateaux de croisière pour les réparer. Quand je vois qu’il a fallu raviner l’entrée du port de La Ciotat pour faire entrer le bateau d’un milliardaire russe je me dis qu’il y a aussi de la place pour le Grand Port maritime pour la réparation des yachts de luxe. Il y a là, un vrai potentiel d’emplois avec des salaires attrayants pour des jeunes qui, aujourd’hui, s’inquiètent pour leur avenir. Élu, je siégerais au conseil d’administration du Grand Port et je serais même candidat à sa présidence. Ne postulant pas à la présidence de la métropole je peux également postuler au retour à Marseille du Salon Nautique qu’accueille aujourd’hui La Ciotat. Je souhaite d’autant plus ce retour que, positionné à La Ciotat, il profite surtout actuellement à l’économie varoise. Concernant les croisiéristes, il y a l’action de la région en faveur des escales « zéro fumée », démarche dans laquelle nous nous inscrirons et nous limiterons la teneur en soufre du carburant des bateaux de croisières à 0.1% afin de leur permettre d’accéder au Port et de débarquer leurs passagers. D’autre part nous créerons un guichet économique à destination des entreprises notamment au profil des TPE/PME pour les accompagner dans leur projet de développement. Nous lancerons une application “Marseille Mobile” et un Passeport urbain numérique pour regrouper et faciliter toutes les démarches administratives. Nous thématiserons des rues commerçantes et mettrons en place un moratoire sur toute installation de nouveaux centres commerciaux. Nous favoriserons la mise en place d’un nouveau technopôle spécialisé dans l’innovation et la recherche. Nous confierons à un adjoint au Maire spécifique une délégation « cœur de ville ». Nous bâtirons une halle couverte faisant la promotion des produits du Terroir Provençal sur la place du Général de Gaulle…
Comment appréhendez-vous la question de la sécurité dans cette ville?
Il importe de rappeler que la sécurité n’est pas une compétence municipale mais régalienne. Il faut cependant mettre les moyens pour que les gens voient de la présence policière sur la voie publique. En créant notamment des brigades mobiles par secteur, les maires de secteur sortiront de l’impuissance dans laquelle ils sont aujourd’hui. Et les habitants obtiendront des réponses concrètes. Cela nous le ferons en augmentant les effectifs de police municipale de manière raisonnée. Nous avons actuellement 450 policiers municipaux, nous voulons arriver à 1 000 avec, dès 2020, le recrutement de 200 policiers municipaux supplémentaires. Pourquoi 1 000? Parce que cette augmentation permettra de créer une police verte, de la protection animale, des chantiers, du logement…Nous procéderons à une répartition de la Police municipale en 3 bases : Nord, centre et Sud. Je souhaite à ce propos mutualiser les locaux avec la Police Nationale. Ces effectifs supplémentaires, cette répartition, permettront à la Police Nationale de se recentrer sur sa mission de lutte contre la délinquance. De plus, nous renforcerons les brigades de soirée et nous envisageons même de créer des brigades de nuit. Et, au-delà de cet effort impératif, je mesure bien qu’il faudra s’occuper de la sécurité du domaine public, à savoir une rue mal éclairée, sale, avec des voitures mal garées, un abri-bus aux vitres cassées produisent de l’insécurité, nous nous attaquerons aussi à cela.
Quelle politique culturelle entendez-vous mener pour Marseille?
La culture, c’est comme l’éducation: c’est ce qui permet de vivre ensemble, de partager des émotions, de faire émerger la création, l’imaginaire. La vie. Je pense qu’il est temps de travailler pour les Marseillais. Et dans tout Marseille. Notre politique se veut donc ambitieuse et elle se décline sur trois axes: développer le partage de la culture; affirmer Marseille comme ville créative; réussir les chantiers abandonnés par l’équipe sortante. Le premier lieu du partage, c’est l’école. Je mettrai en place une politique d’éducation artistique et culturelle, en partenariat avec l’Éducation nationale et l’ensemble des artistes, des associations subventionnées et des services culturels municipaux. Les études prouvent que le contact avec des œuvres d’art, la rencontre avec des artistes et l’ouverture à d’autres formes de voir le monde améliorent les résultats scolaires, favorisent la citoyenneté et encouragent, auprès des parents, la fréquentation de nos institutions culturelles. Nous avons travaillé avec des experts et, en premier lieu, Richard Martin, qui préconise notamment la création d’une maison M qui fera connaître le dynamisme culturel, permettra de découvrir le meilleur des expositions, de rencontrer les artistes, de s’informer sur les spectacles et les festivals. Nous renforcerons un maillage territorial de lieux culturels de proximité: les théâtres, y compris les plus petits, les salles de musiques actuelles, les galeries d’arts… Nous, la Ville, installerons des résidences d’artistes, en lien à la fois avec le Théâtre et les écoles. Le lieu culturel de proximité, c’est aussi avant tout une bibliothèque. Il manque une grande bibliothèque dans les quartiers Est et celles qui existent ne sont plus adaptées: Bonneveine manque d’espace, celle des Cinq-Avenues, n’a pas une table pour que les jeunes travaillent, l’Alcazar est fermé presque un samedi sur deux… Il reviendra à Éliane Zayan de renouer avec les Fêtes populaires. Bien sûr nous ne pouvons pas concurrencer le carnaval de Nice mais je veux que le carnaval retrouve la Canebière, qu’il se conjugue avec un carnaval portuaire. Autre temps fort: un événement qui s’appellerait « Faites de la fraternité. Troisièmement installer le festival de Marseille sur le Vieux-Port. Le deuxième axe : Marseille ville créative. Ce qui fait la force de notre ville en tant que capitale culturelle, c’est la présence d’artistes de grande qualité et qui souvent, viennent du monde entier. Marseille attire, c’est une chance, ne la laissons pas passer. C’est aussi parce que notre ville accueille tant d’artistes, qu’il sera possible de développer un projet d’éducation artistique et culturelle. Pour ne donner qu’un seul exemple, dans les arts plastiques, je multiplierai par 4 la capacité des ateliers municipaux d’artistes, dont le nombre n’a pas changé depuis vingt ans. 3e et dernier axe : s’occuper des chantiers que Jean-Claude Gaudin laisse inachevés en partant. Je veux parler de l’Opéra, des bibliothèques et des musées. Je vois trois priorités: rénover la salle de l’Opéra et doter cet équipement d’une salle de répétition qui permettra d’accueillir plus de spectacles et de concerts; rénover les statuts de l’Opéra. Malgré le dévouement des équipes, nous sommes depuis longtemps au bout d’une logique. Il faut transformer l’Opéra en EPCC (Établissement public de coopération culturelle) à la fois pour le rendre autonome, plus réactif mais aussi pour faire rentrer de nouveaux partenaires, ce qui est légitime quand on sait que 50% du public vient de la métropole hors Marseille. Troisième chantier: l’orchestre. Je souhaite qu’il devienne indépendant, comme à Toulouse et qu’il soit enfin, un orchestre national avec un effectif renforcé, comme dans toutes les grandes villes de ce pays. Pour les musiques actuelles, je serais favorable à un accord avec un partenaire privé pour créer une grande salle pour remplacer le Dôme, qui pourrait s’installer sur le site du Parc Chanot. Et puis il y a les musées. Voilà un autre chantier inachevé. Tout cela aura un coût, et nous devrons augmenter le budget de la culture. Mais les bénéfices pour les enfants des écoles, et à travers eux pour redonner aux parents le goût de leur Ville, ce bénéfice je le crois, vaut largement ce effort.
Propos recueillis par Michel CAIRE