Publié le 22 avril 2020 à 7h44 - Dernière mise à jour le 31 octobre 2022 à 11h15
Grâce à la cagnotte Leetchi : «Des masques pour nos soignants», après les 7 500 masques FFP2 et chirurgicaux distribués le samedi 11 avril à 246 soignants des Bouches-du-Rhône, Place Caire, en plein cœur du village de Saint-Barnabé à Marseille (12e), 15 000 nouveaux masques ont encore été livrés à 992 professionnels libéraux de santé, ce samedi 18 avril. Parmi les soignants, plusieurs s’étaient déplacés du Var ! A l’origine de la démarche, l’entrepreneur marseillais Fabrice Raffo, qui a su monter, en une nuit, son propre pont sanitaire en Chine grâce à son réseau professionnel, une grande motivation, les dons des citoyens et une bande d’amis tous bénévoles. Il nous raconte l’aventure.
«Ils sont venus aujourd’hui de toute la ville, mais aussi d’Aubagne, Vitrolles, Roquefort-la-Bédoule, Allauch, et même du Var avec une délégation de 9 infirmiers et 6 médecins qui étaient dans le désarroi le plus complet… » Fabrice Raffo, entrepreneur marseillais du 12e arrondissement de Marseille, parle ainsi, derrière son masque, après qu’une grande majorité des professionnels soignants soit déjà passée à bord de leur voiture, sans en sortir, devant la tente du «drive» installée devant la brasserie «Le Terminus». Pour le deuxième samedi consécutif, ce 18 avril, avec une dizaine d’autres amis entrepreneurs et bénévoles pour l’occasion, il organisait une grande distribution de masques chirurgicaux et FFP2 à l’adresse des personnels soignants préalablement inscrits. «L’idée est venue de mon médecin traitant, le Dr Stéphanie Zimmermann. Il y a un mois, je lui ai annoncé que j’allais recevoir 400 masques de mes amis chinois. Elle m’a dit que cela l’intéressait beaucoup. Et allait demander autour d’elle quels pouvaient être les médecins généralistes, infirmiers libéraux, qui pouvaient vite en avoir besoin. Une demi-heure plus tard, elle me répondait « OK », avec une liste déjà très longue ! Le bouche à oreille a fonctionné par la suite. Il y avait un manque criant de masques chez les libéraux : infirmiers, médecins, auxiliaires de vie, personnels dans les Ehpad… Ils sont au quotidien face à des malades du Covid-19, et ont le plus grand mal à se protéger, ainsi qu’à protéger les malades et autres résidents dans leur établissement de santé», raconte-t-il.
«Déjà qu’on n’arrive pas à s’entendre entre nous, les services de l’État, alors je ne vois pas comment on pourrait s’entendre avec vous, un privé ?…»
Cette première discussion date du jeudi 19 mars. Durant la nuit, l’entrepreneur décide de faire fonctionner son réseau professionnel en Chine pour trouver, entre une heure et 6 heures du matin… un million de masques, 700 000 chirurgicaux et 300 000 FFP2, avec les bonnes certifications requises. «Je me suis rendu compte que le problème (d’approvisionnement en masques), ce n’était pas les produits, mais l’argent, explique-t-il, à savoir que les stocks existent, mais qu’il faut savoir être au bon moment et au bon endroit pour pouvoir les obtenir. Pour cela, il faut avoir sur place les bons réseaux. Le vendredi 20 mars au matin, j’ai donc contacté les services de l’État : la mairie de secteur des 11e-12e à Marseille, la Métropole, l’ARS, la DGS, le ministère… pour n’avoir aucune réponse. Ou plutôt une, qui m’a répondu de manière incroyable : « Déjà qu’on n’arrive pas à s’entendre entre nous, les services de l’État, alors je ne vois pas comment on pourrait s’entendre avec vous, un privé ?… » Et, je n’ai eu aucun retour en 48 heures.»
«Si je sais faire pour des sacs, je dois savoir faire pour des masques ?»
L’un de ses meilleurs amis, Christophe Guien, lui suggère alors l’idée de monter une cagnotte Leetchi pour financer l’opération. «Et l’élan solidaire et citoyen s’est substitué à la force publique», résume Fabrice, qui possède plusieurs entreprises, dont une dans le textile fabriquant des sacs à dos et cartables pour ses deux marques : Kuts et Pol Fox. « Il y a 12 ans, j’avais repris une autre société, les cartables Tann’s. Avant de la revendre pour en remonter d’autres. Aujourd’hui, je suis à la tête d’une marque de jouets, « Les Bidibules », et je m’occupe d’un fonds d’investissement : Kapinno, avec 10 associés, pour aider les startups régionales. Je fais aussi pas mal de sourcing, que ce soit pour mes propres sociétés ou d’autres dans l’électronique, le textile, l’habillement. C’est-à-dire que je dois trouver les meilleures usines ou entreprises pour produire. Et je me suis appuyé sur cette compétence précise pour monter l’opération des masques. Je me suis dit : « Si je sais faire pour des sacs, je dois savoir faire pour des masques ? » Mais il fallait avoir toutes les garanties sur la partie normative en termes de certification.» Avec les premiers 25 000 € obtenus, il a donc pu organiser les deux premiers «drive» sur Saint-Barnabé. Depuis le mardi 14 avril, il a décidé d’ouvrir la cagnotte aux entreprises pour passer en quelques jours à 45 000 donateurs. « Les dons des particuliers, et logiquement, sont de 40 à 60 €. Nous-mêmes, entrepreneurs, avons mis chacun, au départ, 1 000 à 2 000 €. Avec les plus grosses structures qui sont arrivées après coup, l’élan est plus fort. Tout le monde a entendu partout que les masques ne pouvaient pas arriver. Mais après avoir fait la preuve que cela pouvait fonctionner, à la suite de notre premier drive, on nous fait davantage confiance. Pour ma part, j’ai dit que j’ouvrais à tous les comptes de la société. Comme ça, je me prépare pour la suite : « mais comment un petit gus du 12e à Marseille peut trouver des masques en Chine ? » Mes sociétés ne vont pas très bien en ce moment, mais, pour l’instant, je m’en fous un peu…» Le «drive» organisé ce samedi 18 avril devait débuter à 13 heures. Les voitures des soignants sont arrivées dès midi. Une nouvelle fois, et comme cela se répète dans les autres distributions de masques «officielles» encadrées par l’ARS, la majorité a eu peur de ne plus en trouver, rapidement, malgré une inscription sur la liste. «En ce moment, la règle, dans l’esprit des soignants et devant leur détresse, c’est un peu : les premiers arrivés, les premiers servis, poursuit Fabrice, l’ARS a régi la dotation, chaque professionnel a droit à 12 masques chirurgicaux et 2 masques FFP2 par semaine. Ce qui correspond normalement à la consommation d’un professionnel de santé pour une seule journée. Cela fait 15 jours qu’ils n’ont pas eu de masques FFP2. L’une des premières infirmières qui est venue nous voir ce samedi a pleuré devant nous en recevant le pack de 20 masques FFP2. Elle était soulagée, enfin. Elle nous a expliqué qu’elle avait reçu depuis le début de la crise seulement 15 masques FFP2, dont 7 étaient défaillants. Elle a dû réutiliser tous les jours un masque chirurgical pour faire ses tournées de patients malades du Covid-19, c’est dingo…»
«On doit payer cash les masques, qui sont hors de prix.»
Dingo, aussi, il fallait l’être dans cette nuit du 19 au 20 mars pour acter la commande de masques. «Le déclic n’a pas été immédiat , avoue Fabrice, mais à une heure du matin, je ne dormais pas. Je voulais me rendre utile. Jusque-là, je faisais les courses pour les papys et mamies du quartier. Mais j’ai vu comme un alignement qui ne devait pas être un hasard. Peut-être que mon petit savoir-faire pouvait servir à la communauté ? » C’est ainsi qu’une équipe d’amis s’est constituée autour de lui : Solange et Jean-Max Ferré de la Brasserie Le Terminus qui a servi, jusque-là, sous la protection d’une voiture de police, de base logistique. Christophe Guien, qui a eu l’idée de la cagnotte avec Pascal Lagier, mais encore Olivier Mezadourian, Marie Guien, Julien Palmaro, Célia Carolin et Ariane De Maistre. «Tant qu’on aura besoin de nous, on continuera ! Des petits contributeurs ont donné de l’argent. Maintenant, ce sont les entreprises qui prennent le relais. Car le nerf de la guerre, pour ces masques, c’est l’argent.» Fabrice tente d’expliquer au plus grand monde ce que nos dirigeants -dans un langage d’insincérité pour le moins incompréhensible, à l’arrivée- ne sont pas capables de faire. «On doit payer cash les masques, qui sont hors de prix. C’est incroyable, les tarifs sont 7 à 8 fois plus élevés en ce moment, que ce soit sur le produit et sur le transport. Depuis les dernières semaines, des gens gagnent beaucoup d’argent. Ce n’est pas le moment, mais il faudra en débattre plus tard. Avec ces cow-boys qui ont acheté au triple du prix les masques sur le tarmac, et qui vont faire des surenchères dans les sociétés de fabrication. Je connais les pays qui ont ce comportement de gangsters… Ce n’est pas normal en plus que le transport soit plus cher en ce moment, car le pétrole a baissé, le fret aérien devrait être moins élevé, mais ce n’est pas du tout le cas. C’est très moche. Il y a quelque chose qui ne tourne pas rond. Et pendant que des bénévoles font ça pour rien, d’autres s’engraissent.» Il conclut sur sa débrouille personnelle. «Cela fait 15 ans que je vais en Chine pour le travail. Je continue à y aller 6 fois par an. J’aime bien aller sur place voir les usines qui fabriquent pour mes sociétés. Je travaille là-bas avec un ami depuis 8 ans. J’ai travaillé avec son père auparavant. Il y a une relation de confiance entre nous. J’ai des amis chinois qui peuvent donc certifier la qualité des produits. Davantage quand c’est l’argent qui vient de contributeurs, il faut se montrer irréprochable.» Irréprochables, Fabrice et son équipe devraient le rester dans l’esprit des Provençaux dans plusieurs mois. Espérons que d’autres -moins concrets et collectifs, on dira- ne les embêteront pas plus à leur demander de mauvais comptes en paperasse administrative. Histoire, peut-être, de se dédouaner.
Bruno ANGELICA
Lien pour avoir accès à la cagnotte :ICI
L’appel aux artistes et people de la région de Pascal Lagier Le président d’Infostrates, l’agence digitale de communication basée à Marseille, Pascal Lagier, a ainsi proposé de lancer cette cagnotte auprès de son ami, Fabrice Raffo, avant d’activer la deuxième dynamique de collecte depuis la semaine dernière via les réseaux d’entreprises de la région. Il explique : «Nous sommes donc à la base un réseau d’amis du monde de l’entreprenariat, en majorité, qui a décidé de se mobiliser ainsi. J’ai un message à faire passer aujourd’hui : « nous avons maintenant besoin des acteurs people de Marseille et de sa région pour accompagner cette accélération des dons, à la suite de l’arrivée des entreprises depuis les derniers jours. Concernant les masques, nous sommes sur un secteur où beaucoup font des actions en ce moment. C’est très bien. Notre action, pour sa part, est de plus en plus significative, les entreprises arrivent, et ce serait bien pour donner un coup de boost que les artistes, chanteurs, acteurs, qui ont beaucoup de médias sociaux avec eux, nous apportent leur notoriété afin d’amplifier notre démarche. Ce samedi 18 avril, mille soignants sont venus à notre rencontre car ils se trouvent être dans une situation de carence vis-à-vis des barrières de sécurité par rapport à leurs propres patients ! C’est la réalité. Notre action est de plus en plus félicitée par la profession. Ce serait bien que des people nous rejoignent. »» B.A. |