Publié le 25 avril 2020 à 9h55 - Dernière mise à jour le 29 novembre 2022 à 12h29
Le dimanche 12 avril, celui qui préside le comité scientifique mis en place par Emmanuel Macron pour réfléchir et conseiller sur la politique sanitaire à mener dans le pays face à l’épidémie du Coronavirus a livré un entretien très éclairant à la correspondante à Paris du journal italien : La Reppublica. Nous vous en proposons les meilleurs extraits.
A la lecture de l’interview, on peut ainsi constater de grandes différences de langage entre ce que Mr Delfraissy peut dire aux médias français et à d’autres étrangers… Certaines vérités éclatent au grand jour sous l’angle italien, et nous permettent surtout, en devoir d’informations, d’y voir plus clair sur les stratégies adoptées par notre Président de la République et son gouvernement, au fur et à mesure des dernières semaines et du point de départ du confinement, le 17 mars.
L’immunologue français y évoque les nombreux sujets qui font polémique dans notre pays depuis le début du confinement (masques, tests pour les dépistages, modalités du déconfinement…). Il insiste notamment, dès le départ, sur le fait que selon lui un premier vaccin contre le Covid-19 apparaîtra avant la fin de l’année. «Je sais par expérience que chaque crise sanitaire comporte un risque de crise politique et sociale», ajoute-t-il, «je ne me suis jamais senti supérieur à l’Italie, je n’ai aucune leçon à donner à mes collègues italiens. Personnellement, j’ai réalisé l’extrême gravité de l’épidémie rien qu’en voyant la situation en Lombardie où il y a une excellence médicale et scientifique. J’ai tout de suite compris que la France devrait être touchée par le même sort. En effet lorsque notre commission a pris ses fonctions le 10 mars, j’ai tout de suite dit à Mr Macron que la seule voie à suivre était le confinement ».
« Le confinement n’était pas la meilleure solution. C’était la moins pire »
A la question de savoir si le gouvernement français avait envisagé d’autres options que le confinement, il est très tranchant : «Je ne réponds pas des tergiversations des politiques. Et je n’en suis pas fier parce que je sais quel sacrifice a été imposé aux citoyens. Si nous avions eu une capacité journalière de 100 000 tests, j’aurais peut-être suggéré de procéder différemment. Ce n’était pas comme ça. Le 10 mars, la capacité de la France était de 3 000 tests par jour. Le confinement n’était pas la meilleure solution. C’était la moins pire.» A la différence de la politique allemande de tests massifs aujourd’hui citée en exemple, Delfraissy précise : «Aujourd’hui en France, la capacité quotidienne de tests est passée à 30 000 par jour. L’objectif est d’atteindre les 100 000 tests (par jour) d’ici la fin du mois. La carence initiale a dicté le choix du confinement et pèse toujours sur la durée.»
«Nous constatons de plus en plus de cas de récidive chez des personnes qui ont déjà été malades avec une première infection»
Au sujet des modalités du déconfinement, l’immunologue annonce : «Nous ne passerons pas du noir au blanc. Il y aura des nuances de gris. Nous avons fait le calcul des personnes les plus à risque, dont les personnes âgées, cardiopathes, personnes obèses et autres pathologies. Cela représente 17 millions de Français. Cela fait comprendre la complexité de la situation. Nous avons les premières études sérologiques et malheureusement elles ne sont pas encourageantes. Dans les zones les plus touchées par l’épidémie, nous constatons que l’immunité est d’environ de 10 pour 100. D’après ce que je sais, c’est la même chose en Lombardie. C’est beaucoup moins que ce que nous avions espéré. Nous sommes très loin d’une immunité naturelle de la population.» Il pointe du doigt, toujours dans l’entretien, un autre problème : «Ce virus est très particulier. Nous avons remarqué que la durée de vie des anticorps protecteurs contre le virus est très brève. Nous constatons de plus en plus de cas de récidive chez des personnes qui ont déjà été malades avec une première infection. »
Delfraissy fait ainsi comprendre qu’il est possible de retomber malade du virus à la suite d’une première infection, précisant : «C’est pourquoi notre comité ne recommande plus de licence immunitaire : une sorte de laissez-passer pour ceux qui ont connu une première infection.» Il annonce par la suite que les procédures de déconfinement doivent être prises de manière coordonnée entre des pays aussi proches que la France et l’Italie. «Ce serait un désastre (que les deux pays opèrent des choix différents sur les dates et les modalités de la phase de déconfinement). Je ne dis pas cela seulement au niveau de la santé, mais aussi pour éviter une crise sociale et politique plus grave. Si nous sommes coordonnés, il sera beaucoup plus facile de faire accepter des mesures telles que le suivi ou l’isolement des patients positifs dans des structures ad hoc. Nos concitoyens observent ce qui se passe dans les pays voisins. Ils ne comprendraient pas les mesures contradictoires. De plus, une certaine uniformité est essentielle pour recommencer à voyager, laissant les frontières ouvertes.»
«Je suis convaincu que les masques sont l’un des outils essentiels pour sortir du confinement»
Dans la suite de l’entretien, à la question de savoir «si la réponse économique avait été priorisée au niveau européen» au départ de l’épidémie, Jean-François Delfraissy est encore très direct : «Malheureusement, c’est le cas, et nous en subissons toutes les conséquences. Jusqu’il y a quelques jours, les pays européens se querellaient pour s’emparer des masques en Chine. Nous avons décidé de nous cantonner sans coordination entre les pays européens. Maintenant, il est essentiel de ne pas répéter la même erreur.» Il se montre tout aussi critique sur la manière dont a été traitée la question de l’utilité des masques : «L’OMS et le gouvernement (français) ont tous les deux lutté pour admettre la vérité, qu’il n’y avait pas de masques en quantité suffisante pour tout le monde. Je suis convaincu que les masques sont l’un des outils essentiels pour sortir du confinement.» En fin d’entretien, il livre encore de précieuses informations : «Toutes les pandémies du siècle dernier se sont apaisées pendant la saison estivale. Cette fois, nous voyons que le virus se propage également dans les régions chaudes. Soyez donc prudent. L’autre chose que nous voyons de l’histoire des épidémies est que nous devons nous préparer à un rebond du virus à l’automne. Je suis optimiste par nature. Je pense que l’intelligence humaine finira par gagner contre le virus. Et quand je parle d’intelligence, je ne parle pas de nous, experts ou de la politique, mais des citoyens qui doivent relever ce défi, et ils commencent déjà à le faire. Pendant la crise du sida, il y a eu 45 millions de morts, mais nous avons réussi à trouver une réponse dans les pays développés comme dans les pays du Sud. »
B.A et P.A
L’entretien de Jean-François Delfraissy livré à La Reppublica : repubblica.it