Publié le 27 avril 2020 à 13h21 - Dernière mise à jour le 4 novembre 2022 à 12h47
La période de crise que nous traversons est d’une ampleur et d’une complexité inédites, elle génère des inquiétudes légitimes et conduit notre économie dans une dépression dont on n’a pas fini de mesurer les conséquences. L’heure n’est donc pas au bilan, mais le moment nous invite malgré tout à une réflexion collective. Que retenir de ces presque deux mois de confinement, après le choc passé de la prise de conscience de la pandémie et de ses conséquences sanitaires et économiques. Je retiendrai quelques mots qui me semblent résumer la période pour les professionnels du chiffre et du conseil que nous sommes.
Agilité: A l’image de nombreuses PME, celle dont nos cabinets et nos collaborateurs ont fait preuve, démontrant leur capacité à passer en un temps record au télétravail, afin de poursuivre leur activité de conseil auprès d’une clientèle légitimement inquiète et parfois déboussolée. Celle qui a été nécessaire pour décrypter les dispositifs d’aide gouvernementaux, forcément mis en place dans la précipitation, et qui ont trop souvent donné lieu à des communications imparfaites, des décrets d’application contradictoires et des modalités de mises en œuvre à géométrie variable. Dans un contexte réglementaire et législatif en fusion, les experts-comptables ont été en première ligne pour traduire dans les faits des textes imparfaits, incomplets, imprécis. Celle qui nous a permis, en collaboration avec les équipes de la Direccte (dont nous devons saluer l’engagement et la disponibilité), de compenser les ratés de la plateforme ASP mise en place pour déclarer l’activité partielle. Une plateforme à l’évidence sous dimensionnée face au tsunami de demandes des entreprises.
Proximité : Plus que jamais, dans ce contexte anxiogène, les experts-comptables se sont imposés comme les interlocuteurs de proximité, partenaires privilégiés des chefs d’entreprises. Ils ont assumé leur rôle de médecins généralistes de l’économie, au chevet de milliers de dirigeants de TPE et PME inquiets devant la déflagration que venait de subir leur activité. Informer, rassurer, expliquer le FSE, préciser le FAS, relayer l’aide du CPSTI, éditer des feuilles de salaires dans un contexte d’instabilité réglementaire rarement atteint, prendre les bonnes décisions en matière de reports de charges, monter des dossiers d’emprunts, et enfin essayer de garder son calme et sa sérénité devant tous les problèmes techniques rencontrés pendant le confinement. Hot line téléphoniques, newsletters, visio-conférences… les experts-comptables ont tout mis en œuvre pour rester au contact de leurs clients et entretenir cette relation de proximité qui est le meilleur remède pour combattre le virus de l’inquiétude et du doute des chefs d’entreprise.
Changement: Les crises révèlent généralement les forces et les faiblesses d’une organisation, les modèles performants et les rouages grippés d’une société. Je ne me prononcerai certainement pas sur le volet sanitaire et les options qui ont été choisies. La période regorge de virologues de comptoirs et d’épidémiologistes de cour d’école. Je ne me joindrai pas à ce concert de «yakafautquon» dérisoire. En revanche, sur le volet économique, les retours de terrain m’autorisent à ouvrir quelques pistes de réflexion. Au premier rang desquelles l’impérieuse nécessité d’alléger les process administratifs.
Nous avons vécu les rebondissements du fonds de solidarité des entreprises. Les modalités de cette aide de 1 500 € maximum pour son volet 1 ont été modifiées 3 fois en l’espace de quelques jours. Les experts-comptables ont vécu et vivent encore aujourd’hui au rythme des réponses de l’administration dont certaines se contredisent ou ne sont pas en adéquation avec le décret faisant force de loi. Les cafouillages sur ce fonds de seulement 1 500 € justifient une fois de plus la nécessité de créer en France un Ministère des TPE PME doté de compétences transversales (fiscales, sociales, juridiques, environnementales, normatives…), s’appuyant sur des équipes spécialisées dans le fonctionnement et les besoins de ces entreprises à taille humaine essentielles à l’activité économique de nos territoires, à la vie sociale de nos centres villes et de nos quartiers, et qui, cerise sur le gâteau, offrent des emplois non délocalisables.
Un Ministère dédié serait une première réponse. Mais au-delà, notre société centralisée, normée, fondée sur l’omniprésence d’une administration aux process souvent sclérosants doit être capable de s’adapter pour gagner en réactivité, en souplesse, supprimer la paperasse inutile (quand bien même prend-elle aujourd’hui une forme numérique) et développer une culture pragmatique d’efficacité. Dans le sillon de notre administration, certaines banques jouent le jeu du prêt garanti par l’État après avoir bousculé leur mentalité et leur organisation en un temps record pour être au rendez-vous de l’histoire. Mais d’autres ne l’ont pas compris et continuent de réclamer, comme avant la crise, une montagne de documents inutile ou de prévisionnels de trésorerie impossibles à réaliser aujourd’hui avec pertinence.
Solidarité: Cette période réclame solidarité et fraternité. La victoire sur cette pandémie dépend de nous. Du respect du confinement et des mesures barrières sur le plan sanitaire et en même temps de notre capacité à sauvegarder l’activité économique. Par exemple, en ne stoppant surtout pas le paiement de nos fournisseurs. Nous sommes tous le fournisseur d’une autre entreprise et si collectivement nous stoppons le règlement, c’est la faillite généralisée assurée. Par exemple encore en faisant appel, mais seulement en cas de besoin avéré et justifié, à l’ensemble des aides disponibles (Activité partielle, prêt garantie par l’État, fonds de solidarité, fonds d’action sociale, report des charges et d’impôts, report d’emprunt en cours…) et de continuer à payer ses salariés et ses fournisseurs. Ne jamais chercher à profiter des dispositifs d’aides mais à les solliciter pour préserver l’outil productif. Il s’agit aussi d’être très vigilants car les entreprises sont en train d’accumuler des dettes (prêts et reports) qu’il faudra payer un jour sous peine de dépôt de bilan en cascade. Une partie de la réponse à la sortie de crise et à la reprise de l’activité réside dans notre capacité à changer nos modes de consommation. Notre capacité à relocaliser en Europe nos industries stratégiques. Nous allons devoir et c’est une bonne nouvelle, consommer local, préférer l’achat chez le producteur local plutôt que la multinationale même si c’est un peu plus cher. Pratiquer en quelque sorte une «solidarité du bon sens» ! L’enjeu consiste à réinjecter du carburant économique pour faire vivre nos territoires et en même temps, à prendre conscience de la dimension environnementale de notre production et de notre consommation. Devons-nous continuer d’acheter des produits qui ont traversé la planète alors que nous pourrions consommer local et ainsi faire vivre nos TPE et nos territoires.
Ce qui doit tous nous animer en cette période, c’est notre utilité pour notre pays. Chacun doit bannir la «tentation des ego» : égoïsme et égocentrisme en tous genres qui fleurissent à longueur d’ondes et de réseaux sociaux. Dans cette période extraordinaire au sens premier du mot, j’ai le sentiment que les experts-comptables tiennent leur place. Ils agissent, accompagnent, conseillent, orientent, les chefs d’entreprises. Les professionnels du chiffre et du conseil démontrent leur agilité, leur proximité, leur capacité d’adaptation et sont les militants d’une solidarité sans laquelle un retour à une vie normale ne sera jamais possible.
Lionel Canesi est le Président de l’Ordre des Experts-Comptables Marseille-Région Sud Provence Alpes Côte d’Azur