Entretien. Génocide arménien – Pascal Chamassian : « Le confinement a apporté la preuve supplémentaire de la mémoire collective arménienne »

Publié le 28 avril 2020 à  20h22 - Dernière mise à  jour le 31 octobre 2022 à  11h16

Depuis le 5 février 2019, sur l’initiative d’Emmanuel Macron, la France a décidé d’instaurer le 24 avril comme la journée de commémoration du génocide arménien. Le décret du 10 avril 2019 a officialisé l’engagement dans le but de « ne jamais oublier les massacres perpétrés à partir de 1915 par l’Empire ottoman à l’encontre des populations arméniennes.» La date du 24 avril a été choisie en référence à la journée du 24 avril 1915 durant laquelle près de 600 intellectuels arméniens avaient été arrêtés par les autorités ottomanes à Constantinople, avant d’être déportés ou assassinés. Une date qui marque le début d’un génocide ayant entraîné la mort d’un million et demi de personnes. Après avoir célébré pour la première fois cette journée, en 2019, et comme cela se fait habituellement au sein de toutes les diasporas arméniennes du monde, le 105e hommage aux victimes du génocide, cette année, n’a pas pu être pour une fois physique, en raison du confinement, mais a pu être échangé via les réseaux sociaux. Pascal Chamassian, l’une des figures les plus représentatives de la communauté arménienne à Marseille, candidat pour « La République En Marche » lors des dernières élections municipales pour mener la liste du candidat Yvon Berland dans les 11e et 12e arrondissements de la ville, revient sur cet hommage 2.0 qui a rassemblé, au regard des différents retours et témoignages, au-delà des espérances.

Pascal Chamassian au centre lors de la manifestation qui commémorait les 100 ans du génocide arménien le 24 avril 2015 (Photo archive Philippe Maillé)
Pascal Chamassian au centre lors de la manifestation qui commémorait les 100 ans du génocide arménien le 24 avril 2015 (Photo archive Philippe Maillé)

Destimed: Comment avez-vous vécu cette journée de commémoration particulière en raison du confinement ?
Pascal Chamassian: Toute la communauté arménienne est bien sûr très contente qu’une journée nationale de véritable hommage soit effective depuis l’année dernière et la décision du président de la République. Cette année, le contexte était ainsi particulier. Cela fait 105 ans aujourd’hui que ces événements se sont déroulés, cela paraît très long, et en même temps je trouve que le souvenir est toujours très vivace. On peut regretter bien évidemment que l’on n’ait pas pu avoir de rassemblements physiques, comme chaque année, pour un jour où les Arméniens font peuple. Mais les multiples manifestations dans le monde ont fait état du génocide. Tous ces rassemblements physiques, de Los Angeles à Paris, en passant par Marseille et toutes les autres grandes villes regroupant les descendants des rescapés du génocide arménien, se sont passés ce 24 avril sur les réseaux sociaux. Et le mouvement mondial a été immense. Chacun a pu devenir acteur de la commémoration, de manière très puissante.

Quel message s’est-il principalement dégagé de cette expérience nouvelle vécue par les Arméniens ?
Si le président turc, Erdogan, espérait miser sur cette situation exceptionnelle de crise sanitaire et de confinement pour museler les voix, nous lui avons montré tout le contraire. Je pense que c’est une grande victoire pour notre cause. A cette occasion, nous avons pu témoigner d’un constat d’une mémoire que ne s’éteint pas. Avec les réseaux sociaux, et notamment à travers la culture, les jeunes arméniens ont pu faire passer des messages indélébiles dans ces sens. Le confinement a apporté la preuve supplémentaire de cette mémoire collective, de la virulence qu’elle porte en elle. Elle a encore prouvé que sur le fond, la Turquie ne pourra pas échapper à son histoire. Une Turquie qui doit être plus que jamais réaliste et regarder en face sa propre histoire.

Faites-vous clairement une distinction entre l’attitude affichée à l’égard de la communauté arménienne par le Président Erdogan et par celle de la population turque ?
Je distingue clairement le gouvernement du peuple et j’en profite pour saluer les intellectuels turcs qui continuent à prendre des risques énormes pour faire reconnaître le génocide arménien, sous peine d’être emprisonnés et violentés. Nous avons un dictateur à la tête de ce pays. Un pays qui abrite aujourd’hui la plus grande prison de journalistes au monde. Nous apportons tout notre soutien à ces citoyens turcs qui osent dire ce qu’ils pensent. Et il me paraît être temps que les différents États mettent le nouveau sultan Erdogan devant ses responsabilités. Il est temps que les pays ne se déclarent plus vis-à-vis de sa politique pour des raisons géostratégiques. A nous, les diasporas arméniennes, de convaincre nos dirigeants de ne pas céder devant ce chantage exercé par Erdogan. Pour le peuple turc, dont le grandissement est barré par un sultan, nous espérons une démocratie apaisée, pour respecter ses minorités.

Qu’entendez-vous encore pointer du doigt dans le comportement du Président turc à l’égard de l’histoire du peuple arménien ?
Erdogan s’est un peu plus enfermé aujourd’hui dans un négationnisme d’État, et c’est tout aussi clairement, selon lui, que l’État doit porter cette idée négationniste. Nous considérons que le négationnisme est un deuxième crime fait à la communauté arménienne. C’est le combat que l’on continue à mener dans différents pays. Je tiens encore à saluer les démocrates turcs, qui sont nombreux, et nous soutiennent. Le combat continue, c’est mon message. Un combat qui est plus contemporain que jamais, car la vivacité de la mémoire donne l’impression que tout s’était passé hier. Et cette vivacité de la mémoire, aujourd’hui, je la vois comme une autre forme du militantisme.

En pleine période de commémoration du génocide, comment vivez-vous ce confinement sur un plan personnel, et comment le vivent vos proches au sein de la communauté arménienne ?
Durant cette période, la flamme du souvenir s’est éclairée partout. Le confinement est un moment durant lequel on a pu se recentrer sur nous-mêmes, sur notre passé, notre histoire familiale. On a pu fouiller dans les mémoires. Le confinement nous a donné ces possibilités d’aller chercher dans des souvenirs enfouis. Un vrai travail de mémoire sur la question arménienne, sur son militantisme même, a pu être fait. Quand on vit une telle épidémie, on va chercher dans ses mémoires, pour savoir ce qu’il s’est vraiment passé. On a besoin de cette mémoire pour comprendre. Et il faut comprendre que notre leitmotiv de vouloir faire connaître et reconnaître un tel génocide est compliqué à vivre. Dans le sens où c’est un long combat, qui dure, n’en finit pas, pour devenir lassant… Épuisant dans le fait de devoir toujours faire comprendre, et avoir à se justifier pour cela. Nous avons passé des décennies à nous battre et aujourd’hui nous avons envie que nos enfants, à la différence des autres générations comme la mienne, soient enfin libérés de ce passé pour pouvoir vivre normalement, apaisés.

Vous avez à nouveau organisé l’année dernière un colloque à Marseille : »Amnésie internationale » sur le thème des génocides pour rappeler à la jeunesse, précisément, comment pouvait survenir un génocide. Tirez-vous la sonnette d’alarme au regard de l’actualité et de la position turque ?
Aujourd’hui, nous avons le recul nécessaire sur les trois grands génocides : arménien, juif, tutsi. C’est un devoir d’expliquer comment cela a pu arriver. Pour empêcher que cela puisse se reproduire à travers les engrenages qui mènent au génocide. Avec toujours trois phases qui se répètent : l’acte de la préméditation, le passage à l’acte, puis la négation avec la volonté de cacher la trace. Moi, petit-fils de rescapés, j’entends dire qu’il n’y a pas eu de génocide alors que le fait que je sois ici, à Marseille, s’explique par lui ! Le bourreau, la Turquie, continue de nier le génocide. Il n’y a rien de pire pour les victimes. Cela nous empêche de nous reconstruire. La reconnaissance est toujours au centre du jeu.
Propos recueillis par Bruno ANGELICA

«Les différents génocides ont fait 11 millions de victimes au XXe siècle. Ils sont les morts de la barbarie humaine.»
Marseille a été la porte d’entrée des Arméniens en France et en Europe. La ville regroupe la plus forte communauté dans le pays, avec 80 000 personnes sur les 500 000 en France, et à peu près 100 000 dans notre région. «Il faut rappeler que le premier génocide du XXe siècle a été subi par les Arméniens, et que le siècle dernier a été celui de tous les génocides, précise Pascal Chamassian, le XXIe doit être celui du réveil des consciences. Les plus jeunes méconnaissent de plus en plus les génocides, les populismes se développent. Des boucs émissaires sont stigmatisés. Les dictatures et l’antisémitisme progressent, comme le négationnisme. On est dans une situation qui ressemble beaucoup à celle des années 1930. En tant qu’Arméniens, on s’estime légitimes pour sensibiliser sur la question. Les différents génocides ont fait 11 millions de victimes au XXe siècle. Ils sont les morts de la barbarie humaine.
B.A.

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