Publié le 21 mai 2020 à 22h06 - Dernière mise à jour le 31 octobre 2022 à 11h36
Pièce mythique et légendaire «Roméo et Juliette» n’avait pas été donnée à la Comédie-Française depuis 1954. Tentant d’en comprendre les raisons, Eric Ruf le patron du Français et metteur en scène assez inventif a, dit-il: «Découvert une pièce-fantôme? un mythe si présent dans les esprits qu’il en est devenu autarcique, tournant sur lui-même, souvent très loin de la réalité complexe de la pièce de Shakespeare.» Or, ajoute-t-il: «Sous les couches de sédiments accumulés se cache un soleil noir fait de déliquescence politique, de haines familiales, de personnages complexes et insulaires, bien éloigné de la lecture romantique dans laquelle on l’a cantonnée.» L’imaginaire collectif autour du répertoire fascinant, Eric Ruf signe alors une mise en scène d’après la traduction impeccable de François-Victor Hugo (disponible en Folio), où l’on verra que la tragédie recèle quelques savoureux moments de comédie, faisant de «Roméo et Juliette» un monument de contrastes entre la naïveté d’adolescents éperdus, dont l’amour fulgurant tient de la prescience, et la violence programmée des Montaigu et des Capulet qui ensanglantent Vérone, mus par une rancœur ancestrale dont le sens même leur échappe. Raconteur d’histoires aimant qu’on lui en raconte Eric Ruf a situé l’action de la pièce bien entendu en Italie mais dans une Italie du Sud écrasée de soleil, «où les esprits s’échauffent, une Italie pauvre où l’on observe les murs délabrés d’une grandeur perdue, où les peurs irraisonnées et les croyances populaires demeurent vivaces». Le metteur en scène faisant sonner précise-t-on: «Le foisonnement extraordinaire de la langue de Shakespeare : rudesse, luxuriance, humour». Du côté d’un Shakespeare donc signataire du Songe d’une nuit d’été et de Macbeth que l’on retrouve entremêlés ici. Une Italie de l’entre-deux guerres celle qui verra Mussolini prendre le pouvoir, l’Italie de la Vendetta, et tout le travail du metteur en scène qui consiste à décrire les mouvements, les intentions de chacun des personnages saisis dans la complexité des rapports familiaux en s’éloignant explique Eric Ruf «d’une rivalité entre bandes qu’a sédimentée « West Side Story ». Avec un souhait profond qui est de débarrasser l’histoire d’amour de tout romantisme écrasant». Dans cette version captée par Don Kent en 2016 que l’on verra ce dimanche 24 mai sur France 5 Eric Ruf a tenu à ce que Benvolio, (Nâzim Boudjenah), Mercutio (Pierre Louis-Calixte qui a depuis quitté la Comédie-Française), et Roméo (Jérémy Lopez) ne fassent pas bande. «Ils sont très insulaires, singuliers, complexes et contradictoires», explique-t-il lui qui fait de Roméo non «un jeune garçon héroïque et brillant, mais un anti-héros à l’opposé de l’amoureux transi ». Sauf que l’acteur peine souvent à convaincre et on se dit que Christophe Montenez convenait peut-être mieux au rôle. On saluera la performance de Suliane Brahim qui incarne une Juliette d’une grande force portant en elle la transgression. Magnifique scène du balcon où les deux jeunes comédiens parviennent à bouleverser, et osmose de toute la troupe qui offre un vrai et grand spectacle un peu fourre-tout certes mais d’une cohérence exemplaire où l’on entend la langue de Shakespeare de manière parfaite et sonore. Les costumes de Christian Lacroix, les musiques rajoutées et les chorégraphies renforçant les qualités intrinsèques du spectacle.
Jean-Rémi BARLAND
«Roméo et Juliette» de Shakespeare à la Comédie-Française mis en scène par Eric Ruf. Sur France 5 ce dimanche 24 mai à 20h50.