Rencontre. Morgan-Lloyd Sicard : « Une grande pièce de théâtre est une pièce qui éclaire la complexité des êtres »

Publié le 22 mai 2020 à  23h06 - Dernière mise à  jour le 31 octobre 2022 à  11h36

Morgan-Lloyd Sicard joue dans «Livraison mortelle» de la série Alice Nevers (à revoir en ce moment) et a joué dans «Opening night» aux côtés d’Isabelle Adjani. Rencontre.

Morgan-Lloyd Sicard joue dans
Morgan-Lloyd Sicard joue dans
Destimed opening night avec f. pierrot i. adjani et morgan
Il s’appelle Corentin Morales. Il travaille dans une chaîne de distribution de plats à domicile. Ses cadences imposées par son patron demeurent infernales. Sept jours sur sept, Corentin sillonne la ville sur son vélo se démenant pour gagner…. finalement fort peu. Une nuit alors qu’il a fini son service et qu’il rentre chez lui il est renversé dans un tunnel par une voiture qui l’a volontairement percuté. Sa tête heurte le sol. Corentin est tué sur le coup. Le médecin légiste constatant que la victime porte également les traces d’une entorse au poignet, la police sous les ordres de Fred Marquand va devoir plonger dans une affaire à ramifications multiples où l’on verra que le vol n’est pas le mobile du meurtre. Grâce à sa perspicacité, et celle de son équipe, à laquelle s’ajoute le flair légendaire de la juge Alice Nevers la vérité éclatera une fois qu’apparaîtra au grand jour le passé de Corentin, qui a lui-même sans le vouloir renversé Anna Fallet, depuis paralysée, dont il est tombé amoureux après avoir tenté de racheter sa faute. Épisode 6 de la saison 16, «Livraison mortelle» réalisé par Jean-Christophe Delpias est une des belles réussites de la série policière interprétée par le merveilleux tandem Marine Delterme (Alice) et Jean-Michel Tinivelli (Fred Marquand). Dans cet épisode où Candice Mechaly est absolument bouleversante sous les traits d’Anna, le camarade de galère et meilleur ami de Corentin est interprété par Madi Belem (acteur exceptionnel dans le film «Le convoi ») qui vient de publier chez Plon «La langue maudite» un premier roman tout en nuances d’une intensité constante. On retiendra surtout de cet épisode (qui sera rediffusé ce samedi 23 mai à 16h50 sur Tv Breizh (avec possibilité de replay sur la plateforme TF1) la magnifique interprétation de Morgan-Lloyd Sicard qui donne à son personnage de Corentin une dimension dramatique proche des tragédies antiques.

L’art de faire respirer les silences

Ayant découvert la passion du théâtre à Kourou quand il était enfant, ce comédien né à Savigny-sur-Orge le 16 décembre 1985 possède l’art singulier de faire respirer les silences. Au charisme magnétique, s’étant formé d’abord lorsqu’il revint dans la métropole au Conservatoire du 5e arrondissement de Paris où il suivit les cours de Bruno Wacrenier -«Il m’a beaucoup appris, et je lui dois énormément», tient-il à préciser-, puis à l’Ensad de Montpellier où il fut l’élève d’Ariel Garcia Valdès et de Cyril Teste (rencontre déterminante dans sa jeune carrière) Morgan-Lloyd Sicard excelle dans l’improvisation, et privilégie les œuvres ayant du souffle. «Pour moi, raconte-t-il, une grande pièce de théâtre est une pièce qui n’apporte pas de messages, mais qui éclaire la complexité des êtres. J’aime bien quand l’auteur montre et ne démontre pas, met en valeur chaque personnage dans un vaste élan où personne n’a raison, et où l’on va par-delà bien et mal». Acteur très physique aussi qui se méfie de la technicité quand elle supplée l’intériorité -«L’important, m’a-t-on appris, ce n’est pas comment on fait les choses, mais pourquoi on les fait»-, Morgan est un comédien en permanence dans l’écoute. On l’a vu à la télé dans «Alice Nevers», mais aussi dans «Tandem» ou encore «Candice Renoir», où il dut travailler avec rapidité et précision, et demeure passionné par le désir de mettre en valeur sa ou son partenaire. Avec toujours chez lui une économie de moyens dans un jeu sobre et dépouillé.

Debout sur un cube sans rien faire

Cela il l’a développé au contact de Bruno Wacrenier et il se souvient à ce sujet d’une expérience très formatrice. Il avait placé un cube sur le plateau et il m’a fait monter dessus et m’a dit ne fais rien, décrit-il, Laisser voir donc sentir, et bien entendu au bout de quelques instants je faisais des choses, et Bruno a recadré tout cela. J’ai alors compris que l’on doit faire que ce qui est nécessaire et ne jamais prendre des postures.»

Engagé par Cyril Teste…

C’est avec le metteur en scène Cyril Teste que tout s’est accéléré. «On jouait sous sa direction « Nobody » où les personnages étaient des consultants en restructuration. Ce spectacle qui évoquait les souffrances au travail et les nouvelles méthodes managériales a donné naissance à une série de représentations lors d’une vaste tournée, avec notamment une escale à Lille.»

Pour jouer avec Isabelle Adjani au théâtre

Et de raconter assez ému : «Un soir Isabelle Adjani qui tournait un film dans la ville est venue nous voir au théâtre. Elle a été si touchée qu’elle est revenue le lendemain avec son réalisateur et s’est entretenu avec Cyril précisant son désir de travailler avec lui. Un an et demi plus tard Cyril m’envoie un message : « voilà la photo de ta nouvelle partenaire au théâtre ». C’était le portrait d’Isabelle. Je saute de joie, et c’est comme ça que je me suis retrouvé sur scène aux côtés d’Isabelle Adjani dans « Opening night » pièce tirée du scénario du film réalisé par John Cassavetes.»

Un spectacle en éternelle construction

Étonnant moment de théâtre -que les Marseillais ont pu venir applaudir au Gymnase l’an dernier «Opening night» où joue également Frédéric Pierrot- est une sorte d’autoportrait rêvé d’une actrice face aux fantômes du rôle qui l’attend. L’histoire d’une étoile qui se heurte, qui se cherche et retrouve son orbite sur le plateau de théâtre et uniquement là. Hybride, toujours en construction, porté par un Cyril Teste au sommet de son art, avec bien entendu son Collectif MxM, où il créé la performance filmique, qu’il a initié avec Nobody, perfectionné dans Festen et continué avec Opening Nigh, cet objet culturel indéfinissable est une pure merveille. Défini comme une «écriture théâtrale qui s’appuie sur un dispositif cinématographique en temps réel et à vue, ce procédé original développe de nouveaux enjeux créatifs, comme fit le Dogme 95 au cinéma. Cela donne un art à part entière, un nouveau territoire de création d’une irréfutable justesse», précisent les créateurs. «Ce fut comme un saut dans le vide, explique Morgan, un geste où on a cherché un abandon. C’était très fort parce que pas confortable, et très exigeant. Et puis vous imaginez ma joie de jouer avec cette grande dame qu’est Isabelle Adjani qui fut si bienveillante qui m’a tant aidé, dans une pièce qui justement parle de la position de l’acteur. Nous étions clairement avec Frédéric et elle dans un échange permanent. Un souvenir très émouvant, vraiment.»

Fou du cinéma de Cassavetes et des pièces en vers

Fou de cinéma Morgan- Lloyd Sicard aime tout particulièrement les films de John Cassavetes, le réalisateur de «Opening night », ainsi que les films d’artistes ayant comme Bergman fait du théâtre. Esprit éclectique se nourrissant de musique de littérature, grand lecteur de Cendrars Char, Giono, Rilke, Beckett, et Handke, acteur déjà aguerri, fascinant dans «Opening night » Morgan-Lloyd Sicard fourmille de projets. «J’ai très envie de revenir à des pièces en vers, et notamment vers « Bérénice »», dit ce grand admirateur de Lavaudant. Jamais là où on l’attend, humble, et très attentif aux autres ce comédien surdoué semble promis au plus bel avenir théâtral et cinématographique. Isabelle Adjani ne s’y est pas trompée qui a dit de lui le plus grand bien.
Jean-Rémi BARLAND
Livraison mortelle, épisode 6 de la saison 16 d’Alice Nevers réalisé par Jean-Christophe Delpias. A revoir ce samedi 23 mai sur TV Breizh, et en replay sur MyTF1.

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