Publié le 12 juin 2020 à 22h13 - Dernière mise à jour le 31 octobre 2022 à 11h37
Qu’est ce qu’ils en ont transporté sur scène des valises ces deux là ! Une fois c’était Marcel Maréchal qui jouait le valet, portant dans les mains d’encombrants bagages, et une autre fois Pierre Arditi lui emboîtait le pas dans cette fonction, de la même manière avec une énergie égale. Des spectacles joués ensemble à la Criée de Marseille ils en ont donnés et leur amitié n’avait d’égale que leur talent et leur sens du rythme. Marcel Maréchal qui vient de nous quitter était un bâtisseur déclinant de pièce en pièce des thèmes humanistes. De Beckett à Molière par exemple avec le complice Pierre, lui qui dirigea ce lieu confié depuis le 1er juillet 2011 à Macha Makeïeff. Arditi-Maréchal les spectateurs en redemandaient, et on peut dire que ce furent de grandes heures pour la Criée.
Trois villes principales
Né le 25 décembre 1937 à Lyon Marcel Maréchal fut comédien, metteur en scène auteur de plusieurs ouvrages comme «Rhum Limonade» ou «Saltimbanque» (avec Pascal Lainé) et on lui doit avec François Bourgeat «La très mirifique épopée de Rabelais» où il incarnait un Grandgousier d’anthologie. Voulant ici célébrer sous toutes ses formes un Rabelais à la fois célèbre et méconnu Maréchal et Bourgeat nous font savourer l’auteur de «Gargantua» avec «lenteur et gourmandise» comme le faisait remarquer Olivier Celik lors de la création de la pièce en juillet 2005. Autre aventure théâtrale de Marcel Maréchal avec François Bourgeat «L’impromptu de Douai» créé à Figeac le 26 juillet 2007. «Résister par le rêve», notait là encore Olivier Celik dans sa présentation de «Un rêve de théâtre» et cet impromptu absolument somptueux. Une formule résumant parfaitement l’engagement esthétique de Marcel Maréchal, l’homme de trois villes en fait à savoir Lyon, Marseille et Paris. Trois cités symbolisant trois étapes dans son travail et son engagement théâtral. En 1958 il fonde dans le 2e arrondissement de la cité des Gones la «Compagnie des Comédiens de Cothurne» avec déjà un acteur tel que Pierre Arditi venu y faire ses classes. Il ouvrira ensuite le «Théâtre du huitième» et on retiendra de cette période lyonnaise la création de 21 spectacles célébrant Audiberti, Guilloux, Obaldia. Départ ensuite en 1975 pour Marseille où Marcel Maréchal s’installera avec sa compagnie au théâtre du Gymnase en attendant que se construise sur le Vieux Port dans l’ancienne criée aux poissons un nouveau théâtre conçu pour lui. C’est en 1981 que le statut de Théâtre National de Région est octroyé au théâtre de La Criée que Marcel Maréchal dirigera jusqu’à son départ à Paris en 1995 au moment où il prend la direction du Théâtre du Rond-Point des Champs-Elysées. Il transforme totalement la grande salle, multiplie les activités, innove et présente en cinq saisons plus de cinquante spectacles, privilégiant les auteurs contemporains, offrant à l’œuvre de Pinter une saison entière de programmation. En 2001 il succède à Jean Danet à la direction des «Tréteaux de France» fondant une nouvelle troupe. Robin Renucci lui succédera en 2011.
Un «Oncle Vania» d’anthologie.
Homme de théâtre, d’une profondeur extrême, Marcel Maréchal signa des mises en scène d’anthologie. Notons par exemple celle de «Oncle Vania» de Tchekhov créée à Figeac présentée dans la traduction d’Arthur Adamov. Il y incarna Vania avec à ses côtés Michel Demiautte et Hélène Roussel, et surtout arriva à éclairer la psychologie des personnages sans lourdeur ni artifice. François Bourgeat (toujours lui) y signait une dramaturgie explosive et festive tirant la pièce vers un monument d’optimisme
Alexandre Jardin : «Il ne se positionnait pas comme un homme de théâtre officiel »
Acteur Marcel Maréchal le fut sans réserves ni exclusive. Au cinéma on le vit dans «I comme Icare» dans une scène hallucinante. Ou dans le magnifique «Simple mortel» de Pierre Jolivet. L’écrivain et cinéaste Alexandre Jardin qui le fit tourner dans son film «Fanfan» se souvient … «Je connaissais son travail de comédien et je lui ai proposé d’incarner le père de Sophie Marceau. Ce n’était pas un grand rôle , explique le réalisateur, et j’étais presque gêné, mais il me répondit oui avec gentillesse. Il a joué sans discuter la taille de ses répliques, l’importance de son rôle, comme un enfant qui aimait être avec ses camarades et qui ne se pose pas de questions. Il avait une disponibilité et une modestie quasi anormale un peu comme Uderzo, et si on n’y prenait pas garde on pouvait parfaitement ne pas s’apercevoir de son importance artistique et de la puissance de sa réflexion.» Et Alexandre Jardin d’ajouter : «Il laissait beaucoup d’espace aux autres, et il ne se positionnait pas comme un homme de théâtre officiel, et tel Michel Bouquet il ne trimballait pas des personnages. Il avait l’absolue première classe sans l’affichage obséquieux qu’ont certains».
Pierre Arditi : «C’était mon père de théâtre»
Très ému Pierre Arditi que nous avons également contacté, insiste sur le fait que Marcel Maréchal ne vivait que pour le théâtre. Et que le reste revêtait à ses yeux beaucoup moins d’importance. «Je peux dire, confie le comédien qui a partagé avec lui tant de spectacles à la Criée, que c’était mon père de théâtre. Nous n’avions que sept ans d’écart, mais c’était mon maître et J’ai appris à vivre le théâtre par lui. Il a fait partie de ma vie. C’est aujourd’hui un trou dans mon existence.» «Il m’a enseigné, poursuit Pierre Arditi, de ne pas s’encombrer de signes extérieurs et de s’intéresser uniquement à ce que l’on doit faire sur scène. C’est un être rare qui s’en est allé, et je souhaite à tout le monde de rencontrer un être de cette envergure, de cette ampleur, de cette importance». Mais, insiste-t-il: «Je trouve que les responsables ministériels ne se sont pas bien comportés avec lui, après son départ des tréteaux de France. Lui qui a toujours travaillé dans le théâtre public, je regrette la manière dont, arrivé à un certain âge, on l’a dégagé d’un revers de la main. Cela m’a beaucoup choqué. Il ne méritait pas cela». Et Pierre Arditi de faire l’éloge d’un authentique créateur qui s’intéressait beaucoup aux auteurs contemporains et qui fut pour toute la profession un exemple de droiture, de talent et de générosité.
Jean-Rémi BARLAND