Publié le 21 juillet 2020 à 17h01 - Dernière mise à jour le 31 octobre 2022 à 11h52
Dans «Maigret tend un piège» le célèbre commissaire affirme : «d’autres naissent avec un titre, une fortune, des domestiques, un appareil de confort, et de luxe autour d’eux. Vous êtes né avec une mère qui vous a tenu lieu de tout cela». Bien que «Été 85» de François Ozon ne soit pas tiré d’un roman de Simenon, cette pique lancée par le commissaire lors d’une enquête assez poignante, pourrait très bien définir David (le luxe financier en moins) dans ses rapports quotidiens avec celle qui en lui donnant naissance l’enferma dans son monde. Le happant, l’avalant même, le soumettant à son regard, et amplifiant chaque jour cet état de fait d’une présence quasi étouffante surtout depuis qu’elle s’est retrouvée veuve, et que son fils construisit la fin de son adolescence sans père. Notons d’emblée qu’avec ce long métrage librement adapté d’un livre d’Aidan Chambers, le réalisateur évoque une fois encore, -c’est une constante depuis son court métrage «La petite mort», la figure paternelle apparaissant quelque fois absente, et souvent autoritaire. Si David, 18 ans, possède une mère, Alexis, 16 ans, qu’il sauve héroïquement du naufrage, alors qu’il allait se noyer lors d’une sortie en mer vit sous le joug de son père. Un père pas méchant mais très borné, intelligent mais peu cultivé, qui rêve d’un vrai travail pour son fils qui souhaiterait quant à lui, poursuivre ses études au-delà de la 3e. Alexis a aussi une mère. Plus discrète, moins envahissante, peu interventionniste, mais posant un œil sur tout, et tentant de contrecarrer les décisions de son mari. Unissant finalement leurs solitudes David et Alexis se croisent, se devinent et s’aiment. Comme dans un rêve. En l’occurrence, celui d’Alexis qui vient de rencontrer l’ami de ses rêves. Mais le rêve durera-t-il plus qu’un été ? Plus sombre que l’affiche solaire ne le laisse entendre, voire carrément dramatique «Été 85» signale d’abord la puissance narrative de François Ozon et son art de diriger à la perfection tous ses acteurs et actrices. Vanessa Bruni-Tedeschi dans le rôle de Madame Gorman la mère de David, Isabelle Nanty incarnant celle d’Alexis, Aurore Broutin jouant l’éducatrice, et Philippine Velge, la petite amie anglaise, sont bouleversantes d’intensité. Melvil Poupaud en professeur de français qui va recueillir le récit autobiographique qu’écrira Alexis pour tenter d’expliquer au juge le pourquoi d’un acte qu’il qualifie lui-même de criminel ou encore Laurent Fernandez le père d’Alexis sont d’une sobriété extrême. Et puis il y a Guillaume Lefebvre dans la peau d’Alexis, comédien exceptionnel qui retrouve ici pour une courte scène Yoann Zimmer son partenaire dans «Une nuit à travers champs» de Guillaume Grélardon. Il semble ne pas jouer justement, mais être Alexis, et on se dit que François Ozon a le génie du casting et l’art de faire découvrir des talents sûrs parfois presque inconnus qu’il transcende. On est suffoqués par la maîtrise avec laquelle Guillaume Lefebvre effectue une danse dans des conditions tout à fait hors normes. A ses côtés Benjamin Voisin qui a pris part voilà peu au film de Rupert Everett consacré à Oscar Wilde est tout aussi inoubliable. Les scènes où ils évoluent ensemble serrent la gorge, font rire parfois, et surtout comptent parmi les plus belles tournées par François Ozon. Tout en finesse, hymne au pouvoir libérateur de l’écriture, «Été 85» pose une question fondamentale que le réalisateur a d’ailleurs développé dans plusieurs longs métrages, à savoir : quand on aime une personne, aime-t-on vraiment la personne ou l’image que l’on se fait d’elle ? Et de signer un film exceptionnel de densité, qui polar psychologique et expression de soi aux multiples entrées, et construit comme un film à rebondissements demeure une subtile plongée dans la surprise d’exister.
Jean-Rémi BARLAND