Publié le 1 décembre 2020 à 19h03 - Dernière mise à jour le 31 octobre 2022 à 12h20
Le Professeur Didier Raoult, directeur de l’Institut Hospitalo-Universitaire (IHU) Méditerranée infection, spécialiste des maladies infectieuses et professeur de microbiologie, est intervenu en ouverture de l’Acte IV de « Méditerranée du futur » qui a pour thème cette année: «1720-2020 : de la peste au covid-19, 300 ans de résistance aux pandémies en Méditerranée».
«Marseille a une situation particulière qui fait que son degré de préparation est bien supérieur à celui de toutes les villes de France et, probablement, de toutes les villes d’Occident», considère le Pr. Didier Raoult qui rappelle que la Ville «à la croisée des chemins Sud et de l’Orient, est exposée, depuis sa création, aux épidémies». Il précise encore : «La plupart des épidémies qui ont touché le Nord de l’Europe sont entrées par Marseille, Gênes et Venise. Et ce n’est donc pas pour rien si ce sont ces villes qui ont inventé le « lazaret » et la mise en quarantaine». Épidémies qui, comme les guerres, «ont bouleversé les sociétés, parfois de manière positive. Ainsi la Renaissance n’aurait pas vu le jour sans la Grande Peste du Moyen-Âge», indique-t-il, s’appuyant sur des travaux d’historiens. Après avoir signalé cette particularité phocéenne le professeur Raoult invite à retenir que, voilà 17 ans, il avait écrit un document de 450 pages au ministre de la Recherche afin de lui proposer de mettre en place six ou sept structures pour préparer, comme on prépare une guerre, les épidémies à venir… Sans résultat. «Nous avons eu, comme dans bien d’autres pays, de l’impréparation. Or la lutte contre les épidémies relève du domaine régalien. On ne peut pas demander à des hôpitaux, qui sont pour la moitié d’entre eux en faillite, d’être prêts à répondre à des priorités nationales dont on ne sait à quelle échéance elles vont arriver». Et de revenir à ce particularisme marseillais: «Nous avons pu à l’IHU, dès le premier jour, donner les résultats de tests dans la journée alors qu’on les promet pour le reste du pays à partir du 15 janvier». Pour lui: «On ne dirige pas la lutte contre les épidémies depuis Bruxelles ou Genève, on mène cela à partir du terrain mais nous avons un retard spectaculaire dans l’organisation».
Si quelque chose n’est pas rentable personne ne paie dans les pays européens
Le Pr. Didier Raoult tient à souligner: «Il ne faut être ni parano ni un gamin mais être lucide. Actuellement la thérapeutique dans le monde n’est dirigée ni par les médecins ni les États mais, par l’industrie pharmaceutique. Et si quelque chose n’est pas rentable personne ne paie dans les pays européens». Et d’interroger: «Est-ce que la thérapeutique ne peut avancer qu’avec des molécules nouvelles et avec l’industrie? La réponse est non. La chimie n’obéit pas à notre fonctionnement habituel de la découverte technologique permanente». Il avance que les molécules chimiques sont éternelles: «Une fois découverte elles sont là pour tout le temps. Nous avons donc un stock de particules chimiques absolument considérable et, pour beaucoup d’entre-elles, naturelles. Elles ont des actions multiples qui n’ont pas été évaluées et qui ne pourront pas l’être parce qu’elles ne sont pas rentables. Les vieilles molécules sont ainsi laissées de côté parce qu’elles ne rapportent plus rien». Il y a donc, pour le professeur Raoult une vraie question d’évaluation des modèles: «Les antibiotiques n’ont pas été inventés par les Hommes, cela fait trois milliards d’années que des microbes luttent contre d’autres. On les découvre tous les jours mais qui va tester cela si on délègue toute l’évaluation thérapeutique à des gens qui veulent seulement découvrir de nouvelles molécules? C’est une question de fond». Et, pour le moins, de déplorer: «Les essais thérapeutiques sont financés, drivés par l’industrie pharmaceutique et c’est de plus en plus vrai pour les articles publiés. On ne peut alors s’attendre à une lucidité totale». Lucidité dont aurait, selon lui, manqué l’Europe «en achetant pour deux milliards de médicaments dont on sait depuis mai qu’ils ne marchent pas». Il aborde alors le sujet de l’hydroxychloroquine. «Elle est commercialisée depuis 70 ans, 2 milliards de personnes en ont bénéficié. Elle était délivrée sans ordonnance jusqu’à l’an dernier. Et, d’un coup, en 2020, elle devient toxique et serait responsable de la mort de 10% des gens. Mais pour croire cela il faut avoir un problème mental, je le maintiens. Les Africains en rigolent. Tous les gens qui ont travaillé en Afrique en ont pris. Moi enfant , j’en prenais tous les jours. Alors comment un mensonge aussi énorme a-t-il pu passer?». Et de se demander comment on va sortir de cette crise de crédibilité. Il forme le vœu que l’on retienne: «Nous ne sommes préparés ni intellectuellement ni techniquement aux épidémies. Nous devrons retenir des leçons». Il note à ce propos: «En mars-avril, lorsque nous étions en pleine épidémie nous avons fermé nos frontières. Je ne vois pas à quoi cela a servi. Nous étions au pic. En revanche les pays qui n’étaient pas touchés auraient dû fermer leurs frontières. Ce sont les Français, par exemple, qui ont apporté le virus en Afrique. Et, en mai, lorsque nous n’avions plus de cas, nous avons ouverts nos frontières à des pays qui étaient en pleine épidémie ce qui fait qu’en juin-juillet nous avons découvert de nouveaux génotypes venus d’Afrique». Et d’espérer que, dorénavant, l’État donne plus de moyens «à ceux qui travaillent sur des produits qui ne rapportent rien, ou qu’il investisse lui-même systématiquement dans ce domaine». Il déplore enfin: «Lorsque la Covid est arrivée l’État a appliqué le plan de 2017 contre la grippe mais la Covid n’est pas la grippe». Et de citer les Chinois: «On ne fait pas de placebo parce que ce n’est pas dans la nature de notre morale de ne pas soigner les gens».
Michel CAIRE