Rencontre d’Averroès : Troisième et dernière table ronde

Publié le 25 novembre 2012 à  8h00 - Dernière mise à  jour le 26 août 2023 à  15h26

Il est des temps qui peuvent conduire à baisser les bras ou à se replier dans un rejet de l’Autre. Des attitudes qui ne peuvent que conduire au pire. Dans ce contexte, la question de savoir, si la démocratie peut se réinventer entre tyrannie des marchés et défiance des élections, prend toute sa force.

Un désir de démocratie s'exprime de part et d'autre de La Méditerranée (Photo S.Payrau)
Un désir de démocratie s’exprime de part et d’autre de La Méditerranée (Photo S.Payrau)

Entre tragique et espoir

Pour cette troisième table ronde des Rencontres, se retrouve autour de Thierry Fabre, le créateur et concepteur des Rencontres (produites et organisées par l’Espaceculture Marseille) ; Panagiotis Grigoriou, anthropologue et historien d’origine grecque ; le philosophe Guillaume Leblanc, Ziad Majed, chercheur et politologue libanais et Raimundo Viejo Vina, professeur associé à l’université de Gérone.

« C’est la nature de la Cité d’être fragile »

Lorsqu’on lui demande si la Cité est en danger, Guillaume Leblanc répond : « C’est sa nature d’être fragile. Ceci étant, le danger qui guette aujourd’hui réside dans le fait que la notion de bien commun soit confisquée par certains. Car, il est vrai que la cité est le lieu où l’on trouve de plus en plus d’inégalités. Il faut donc remettre en avant le droit de cité et le droit à la cité ». Le droit à la cité, c’est à dire : « celui à des services publics, à la gratuité».
Ziad Majed considère pour sa part : « Le monde arabe est en reconstruction. Le pouvoir avait étouffé la cité, ainsi que l’accès à cette dernière. Aujourd’hui la cité est à nouveau accessible. Un peuple des places arrive et, quoi qu’il arrive, ce mouvement est irréversible ».
Ce peuple des places se développe aussi en Occident rappelle Raimundo Vieja Vinas : « C’est le mouvement des Indignés, c’est « Occuper Wall Street ». Alors que la Cité se privatise ce qui conduit un nombre de plus en plus grand de personnes à en être privé : « 2 millions d’appartements sont vides en Espagne et des milliers de gens sont expulsés tous les jours. Ainsi, 350 000 à 400 000 espagnols ont perdu leur maison ».

« la Loi vient d’ailleurs »

Panagiotis Grigoriou, faut-il s’en étonner, ne donnera pas de raisons d’espérer avec son portrait de la situation grecque : « La cité est en danger. L’état de la démocratie est lamentable. Nous avons l’impression d’être sorti de l’espace puisque nous ne sommes plus gérés en interne, la Loi vient d’ailleurs. Le ministre de la Justice a ainsi reconnu que nos lois sont dictés par la Troïka (Commission européenne, FMI, Banque centrale européenne). Provisoirement nous avons aussi l’impression d’être sorti du temps. Nous n’arrivons plus à avoir de projets personnels, collectifs, politiques. Nous sommes des mutants. Quelque soit le bord politique des uns et des autres, nous ne sommes plus les mêmes que voilà trois ans. Et ce n’est peut-être pas une crise que nous vivons mais un changement de régime ».

« de nouvelles expérimentations ouvrent de nouvelles perspectives »

Guillaume Leblanc se demande à ce propos : « N’assistons-nous pas à un essoufflement de la démocratie représentative ? On assiste à un divorce entre la notion de gouvernant et celle de représentant. C’est à dire que le vote que je produis est de plus en plus minimal. J’accepte que quelqu’un gouverne sans vouloir pour autant qu’il me représente tant il n’y a plus de vote d’adhésion ».
Point question de désespoir pour autant, car, dans le même temps : « de nouvelles expérimentations ouvrent de nouvelles perspectives. On assiste ainsi à un réenchantement de certaines formes politiques dont la notion de participation ». Puis d’insister sur le fait que la politique est traversée par deux problématiques : « le vote et la révolte ». Il revient sur le fait de manifester : « c’est une façon de se réapproprier un espace qui nous a été destitué. Manifester c’est aussi joindre sa voix à d’autres voix ».
Ziad Majed enchaîne sur la prise de parole « mais, on peut expliquer le printemps arabe à travers les nouvelles générations, l’urbanisation, les réseaux sociaux, tout cela a joué bien sûr mais ce n’était pas suffisant, il fallait la manifestation. Il fallait que les gens se sentent puissants face à des régimes qui les avaient écartés ».

« Le rapport de force qui a construit la révolution française a nécessité un siècle. On peut bien laisser cinq ou dix ans au monde arabe ».

Mais quid après les Printemps arabes, les nouvelles ne sont pas réjouissantes ? « Nous sommes dans une phase de transition. Pour la première fois il y a des prises de paroles, des partis politiques, pour la première fois on parle de causes, y compris de celles des femmes. Il faut donner du temps avant de faire une évaluation sachant que, de toute façon, on ne pouvait pas ne pas tourner une page. Aujourd’hui les forces de l’Islam sont les plus mobilisées, les plus financées mais, avec le temps, les populations se rendront compte que l’Islam ne règle pas tout. On voit d’ailleurs en Égypte la population se mobiliser contre le Président Morsi ». D’ajouter : « Le rapport de force qui a construit la révolution française a nécessité un siècle. On peut bien laisser cinq ou dix ans au monde arabe ».

Panagiotis Grigoriou avoue qu’en Grèce, à court terme : « la situation est tragique mais qu’un espoir existe à moyen terme ». Il reconnaît : « la démocratie que nous avons été, n’a pas été tout à fait investie par la flamme citoyenne. Et maintenant nous sommes face à un coup d’État permanent avec le mémorandum, ce document de 700 pages, dicté par la Troïka, qui annule la démocratie, le droit au travail ». Pour lui : « La dette est une arme de guerre contre les sociétés. Nous sommes sous domination allemande. Mais, disant cela, je n’oublie pas que ce pays compte 20% de population pauvre ». Il enchaîne : « En deux ans nous avons eu 850 000 nouveaux chômeurs, cela en ferait 6 millions en France. Face à cela, nous avons le pire, l’extrême droite de l’Aube Dorée, mais aussi des formes nouvelles de démocratie. Nous avons eu le mouvement des Indignés qui a vu les couches moyennes reprendre la parole, manifester, des manifestations qui ont été réprimées avec la plus extrême violence. Mais, maintenant, partout en Grèce les gens se rencontrent, débattent, au niveau de chaque quartier ».

Retour au Siècle des Lumières

Pour explorer de nouvelles formes politiques, peut-être qu’un retour vers les idées des Lumières s’impose-t-il ? C’est en tout cas ce que propose Guillaume Leblanc : « Il y avait alors trois façons d’aborder la politique, premièrement à partir de la révolution nationale, c’est la forme qui est devenu prépondérante. Puis, deuxièmement, au moment de la Révolution, il y a eu deux formes de citoyenneté, celle liée à la nationalité ainsi que la nationalité de résidence, passée depuis sous silence, et qui réapparaît aujourd’hui avec la question du vote des émigrés. Enfin, troisièmement, il y avait l’idéal cosmopolite. On voit une forme d’expérimentation politique par le bas, au niveau des territoires, et par le haut, au delà des États. Ces deux niveaux l’infra et le supra national se rejoignent et permettent d’aller au-delà de l’État-Nation ».
Les nuage s’amoncellent, faut-il craindre de se trouver dans une période pré-fasciste ? Guillaume Leblanc répond : « Le fascisme est un moment historique précis, ce qui est certain c’est que nous sommes dans une période de développement des inégalités. Mais j’aurai plutôt tendance à dire que nous sommes dans une période de pré-démocratie ».

Luc CONDAMINE

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