Publié le 15 novembre 2013 à 9h34 - Dernière mise à jour le 27 octobre 2022 à 16h39
C’est par une standing ovation que Christiane Taubira est accueillie dans une salle comble. L’euphorie tombe dès qu’apparaît le résultat de la première question, le public pouvant répondre grâce à un boîtier. En effet, lorsque l’on demande au public s’il a l’impression d’être entendu par l’Europe, il répond non à 80%. La même question posée au terme de plus de 2 heures de débat verra toujours plus de 60% des personnes répondre: non.
Viviane Reding trouvera la réponse dure, « en moyenne, c’est 60% des personnes qui, au niveau européen, répondent non », avant de convenir : « Oui, c’est vrai qu’il faut que la voix citoyenne soit plus entendue, que les élus soient plus à l’écoute ».
Christiane Taubira rappelle les actes fondateurs de l’Europe, la recherche d’une société où la paix serait pérenne. Viviane Reding juge pour sa part qu’en ces temps de crise « sans l’Euro, nous nous serions effondrés ».
Une première question vient de la salle : « Qui en Europe est responsable des politiques d’austérité dont les effets sont particulièrement tragiques en Méditerranée ? Un mea-culpa ne serait-il pas possible ? »
Pour Viviane Reding : « Certains États ont vécu au-dessus de leurs moyens. Résultat, la dette explose et l’argent des contribuables sert à payer cette dernière plutôt que l’éducation, la santé. Face à cela des États ont pris des mesures très fortes et vont mieux aujourd’hui comme l’Irlande, le Portugal, l’Espagne qui a recapitalisé ses banques ».
Christiane Taubira indique pour sa part : « Alléger la dette est un acte fondamental mais on doit s’interroger à ce qui a conduit à ces endettements et à ce qui aurait pu permettre d’interrompre ces politiques irresponsables. Et on ne peut pas être insensible au coût social de ce désendettement d’autant plus que ceux qui paient ne sont pas ceux qui ont contribué au gaspillage. Alors nous devons tirer les leçons de tout cela pour pouvoir garantir à l’avenir une protection aux plus fragiles ».
Viviane Reding reprend : « Nous mettons en place un système qui rompt avec le contrôle trop gentil à l’œuvre aujourd’hui. C’est dorénavant la Banque Centrale Européenne qui va tirer le signal d’alarme ».
« Se dépêtrer des lobbys financiers pour poursuivre les responsables de Goldman Sachs et des banques grecques »
L’intervenant suivant, dans la salle, revient sur les banques : « Elles ont joué avec le feu, lorsqu’elles se sont brûlées les États les ont sauvées sans contrepartie et les marchés se sont alors retournés contre les États. Et aujourd’hui le mode de fonctionnement reste le même ».
Christiane Taubira répond : « En France le gouvernement a lancé un projet visant à séparer les activités des banques, il n’est pas allé jusqu’au bout mais c’est déjà une avancée. Car, c’est une vraie question de faire en sorte que l’argent aille à l’économie réelle et non à la spéculation. Maintenant l’Union européenne a débloqué 45 milliards pour l’emploi des jeunes, ce n’est pas rien ».
Un autre personne demande si l’Europe, un jour, aura la force « de se dépêtrer des lobbys financiers pour poursuivre les responsables de Goldman Sachs et des banques grecques ? ». Chrisitiane Taubira, à la suite de Viviane Reding, considère que « l’euro fort représente une sécurité mais ne peut être une fin en soi ».
« Je voudrais que les Européens se mobilisent vraiment pour les élections de 2014 »
Viviane Reding enchaîne : « Il ne faut pas croire que les politiques européennes tombent du ciel. Elles sont définies par des députés que vous avez élus. Alors je voudrais que les Européens se mobilisent vraiment pour les élections de 2014 et, qu’ainsi, ils créent un Parlement fort. Vous devez voter en fonction de la politique que vous souhaitez voir conduite et, contrôler vos élus ».
Karim Zeribi, député européen EELV avoue : « J’aimerais voir se tenir tous les mois des débats citoyens d’une telle qualité sur l’Europe. Je suis toutes les semaines à Bruxelles qui n’est pas la grosse machine que l’on présente. Mais, il est vrai que les députés sont loin de leurs électeurs. Comment faire autrement ? Je suis élu de Rhône-Alpes, Paca et Corse. Enfin, le député doit être à la fois un politique et un technicien, ce n’est pas simple. Après, je ne suis pas satisfait par la façon dont fonctionne l’Europe aujourd’hui, mais cela ne veut pas dire que je suis contre l’Europe, elle est notre avenir ».
Ainsi prenait fin la partie la plus tendue du débat. Car, si les propos ont été durs sur la politique financière, la salle montre qu’elle est très loin d’être anti-européenne. En effet à la question « Est-ce que l’Europe est synonyme de solidarité entre les États ? », la réponse est oui à 70%.
Viviane Reding ne cache rien de son humanisme lorsque elle lâche : « Je suis très déçue par la plupart des Etats européens qui refusent d’accueillir des gens qui fuient la misère, la guerre. C’est choquant. Et je ne dis pas cela pour la France et encore moins pour Marseille. Mais j’aimerais que ce soit l’Europe qui ait une politique d’immigration d’autant que, à l’exception de la France, c’est un continent vieillissant qui a besoin de jeunesse ».
Christiane Taubira indique : « On ne peut se satisfaire d’un monde où des gens sont prêts à risquer leur vie pour fuir la misère. Il nous faut aider ces pays, leur permettre de lutter contre la corruption, les injustices, l’absence de démocratie, car cela représente une neutralisation de ressources considérable ».
« Je ne crois pas qu’un Pays de plus de 60 millions d’habitants ne puisse régler la situation de 16 à 19 000 personnes »
Dans la salle, une personne s’interroge sur le devenir des jeunes, prend l’exemple de son fils sorti major de sa promotion et aujourd’hui au chômage.
La question des Roms vient de la salle. Christiane Taubira cite Baudelaire, montrant ainsi que la question ne date pas d’hier, puis de rappeler que l’héritage du siècle des Lumières est l’irruption de l’individu « On doit donc interroger l’individu, même lorsqu’il vit en groupe. Après, il existe des difficultés liées aux lieux, aux personnes, cela n’autorise pas à globaliser ou à tirer des conclusions définitives. Ce qui ne veut pas dire qu’il ne peut y avoir des difficultés mais il existe aussi des maires qui construisent des solutions. Et, dans tous les cas, je ne crois pas qu’un Pays de plus de 60 millions d’habitants ne puisse régler la situation de 16 à 19 000 personnes ».
Viviane Reding partage ce propos avec Christiane Taubira et précise qu’elle invitera sous peu à Bruxelles tous ceux qui ont des problèmes et des solutions. Enfin, un nouveau vote met en avant le fait que 83% des votants sont favorables à plus d’intégration européenne.
Ce débat marseillais est préparé depuis le mois d’octobre, la Commission européenne est allée sur le terrain en organisant dix rencontres dans les rues de la cité phocéenne suivies de trois débats publics. Ce grand dialogue citoyen a permis de rencontrer près de 500 personnes et de recueillir 260 contributions pour préparer le débat de ce 14 novembre.
Michel CAIRE
Depuis janvier dernier, lorsque la Commission européenne a donné le coup d’envoi de l’Année européenne des citoyens, les membres de la Commission sont allés à la rencontre des citoyens pour débattre. A ce jour, 36 dialogues citoyens ont déjà eu lieu dans les différents pays de l’Union Européenne en présence d’un Commissaire. Au total, plus d’une cinquantaine de rencontres sont planifiées.