Libre expression : « Donnez-moi un point d’appui et je soulèverai le monde… » ou de la coopération associative internationale : Il Laboratorio di Manutenzione – ARCI à Rome et le Centre social et familial de Saint Gabriel à Marseille

Par Gérard Perrier, administrateur du Centre Social St Gabriel avec la participation de Danielle Galus, directrice du Centre Social St Gabriel et Julien Coclet, président du Conseil d’Administration .
Il Laboratorio di manutenzione ou L’atelier d’entretien est une coopérative de travailleurs sociaux et de chercheurs à Rome- ARCI est l’Association de Loisirs et de Culture Italienne : association nationale, artistique, sportive ,de tourisme, de promotion sociale et de solidarité internationale liée au mouvement ouvrier italien : mutualiste, syndicaliste, partis de gauche. Voilà ceux qui nous ont reçus à Rome du 4 au 7 novembre 2013. « Ci sono delle stelle che non stanno a guardare… Il y a des étoiles qu’on ne regarde pas… », dit une affiche de ARCI pour 2014.
Nous avons eu le bonheur de rencontrer à Rome au cours de ce séjour des travailleurs sociaux, des responsables d’activités associatives diverses, des artistes, des élus de gauche.
Il est des moments de la vie qui durent plus que d’autres…Nous sommes restés moins de quatre jours avec ces équipes. On a vu, écouté, parcouru Rome en tous sens, parlé…Et tellement. Qu’il nous a semblé vivre plus longtemps. Quoi ? L’intensité de la vie tout simplement. Mais la vie à contre-courant du pouvoir d’attraction des modes, des multiples moyens des dominations, de la tyrannie des pouvoirs de l’argent, des politiques de gauche qui ne savent plus comment faire en ces temps de crise sociale en Europe. Quand ceux de droite ou d’extrême droite expriment sans honte qu’ils veulent en finir avec tous les progrès sociaux de civilisation conquis en Europe. Celle des Lumières, celle du mouvement ouvrier progressiste.
Nous avons donc progressé comme l’écrit un opuscule du Laboratorio : « …comme celui qui navigue en utilisant le vent contraire. »…aux vents dominants : ceux de toutes les formes de la domination. Ces vents contraires se nomment : solidarité et intelligence. Ou encore le désir de voir en tout être humain son semblable. Le plus humain dans l’homme est là. Sans préjugé ni barrière d’aucune sorte. Et enfin pour bien voyager, au large, mieux vaut des marins expérimentés. L’équipe du Laboratorio et d’ARCI sont ceux-là.

Tout a commencé pour nous en ce début novembre dans le quartier de Garbatella. Mais il y a un avant à ce séjour. Il commence en Novembre 2012, par la venue d’une délégation italienne en minibus, visiter le Centre social. Accueilli par les salariés et les bénévoles, ils ont pu quatre jours durant, découvrir et s’imprégner du fonctionnement du Centre et la méthodologie participative qui le caractérise.
Garbatella est le siège du Laboratorio. En sous-sol d’un immeuble des années 20, conçu et réalisé par des architectes inspirés par les « cités- jardins » à l’anglaise, pour les ouvriers et employés de l’usine à gaz, du port, des chemins de fer… sur les collines, au-dessus de la basilique de Saint Paul hors les murs. Quand on veut construire ce port commercial sur ce qui était déjà pour la Rome antique l’emplacement des entrepôts pour le port d’Ostie. Là où arrivaient toutes les marchandises que l’Empire fournissait à la capitale. Une cité-village avec ses cours ensoleillées, jardins, fontaines, recoins d’ombres, pins parasols, bougainvillées, ses immeubles tous différents, ornés de motifs floraux et végétaux autour des fenêtres, des portes… Et en contraste absolu : les ilots parallélépipédiques, flanqués d’aigles surplombants, de l’époque mussolinienne.

Ce siège de l’Atelier s’insère donc « physiquement » dans une histoire longue.

Celle-ci s’exprimera durant ces trois jours. A Garbatella , dans un ancien marché couvert ,la première coopérative sociale de « co-working»,celle de « Millepiani » (les « Mille plans » .. tout un programme !) .C’est Enrico Parisio, le président-fondateur qui nous reçoit dans un espace design à la fois salle d’expositions ,de conférences et atelier audio-visuel .Sa fonction est de permettre gratuitement aux artisans qui travaillent seuls (« free-lance »), le plus souvent , dans le secteur du graphisme, de la photo, de l’architecture, de la décoration et de l’informatique de partager expériences, conseils et moyens techniques offerts par la structure sociale. La forme coopérative ne nous quittera plus durant notre séjour. A la différence de notre pays, la forme associative (loi de 1901) si courante en France, et notamment par exemple la forme de structure juridique et de gestion du Centre Social St Gabriel, est peu répandue en Italie. Par contre la forme de la coopérative semble la norme commune. Sans doute à cause de la différence entre l’histoire de l’appareil d’état en Italie .Celui-ci est récent : lors de l’unification politique du pays en 1861, la puissance sociale, financière ,foncière , immobilière et humaine de l’église catholique s’est maintenue en Italie, alors que la loi de séparation des églises et de l’État en 1905, affaiblissait son rôle social et politique en France. De plus en Italie, le régime fasciste de Mussolini dès 1929 délèguera à l’église, par loi concordataire, les fonctions de l’assistance sociale, de la santé, de l’enseignement… au moment où la constitution de l’État en était à ses débuts, depuis le Risorgimento, avec la création de la nation italienne. Ces processus historiques différents permettent de comprendre comment le travail associatif non lucratif chez nous est à l’inverse une « entreprise » collective de type coopératif en Italie .Les services publics de l’état existent évidemment en Italie mais sans doute avec moins de densité qu’en France. De la sorte les coopératives sociales sont nombreuses et variées, surtout dans le domaine social où elles jouent de fait un quasi rôle de service public.

Ainsi ARCI, qui a organisé notre séjour et nos rencontres à Rome, est la plus grande fédération associative de travail social au sens large. Elle se définit elle-même ainsi sur le site du Forum Civique Européen. « Fondée en 1957, ARCI est une association de promotion sociale, autonome et pluraliste, qui a ses racines dans l’histoire du mutualisme italien. L’association se reconnaît dans les valeurs démocratiques nées de la lutte contre le fascisme, valeurs qui trouvent une pleine affirmation dans la Constitution républicaine, dans la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme et dans la Convention des Droits de l’Enfant de l’ONU. ARCI œuvre au niveau local, national et international pour affirmer ces valeurs et pour construire l’Europe des petites villes et des citoyens.-. ARCI est un réseau intégré de gens, de valeurs, d’espaces de citoyenneté active. L’association soutient l’idée d’un état social qui sache valoriser la participation des citoyens, le principe de subsidiarité entendu comme co- partage des responsabilités, le rôle du mouvement associatif et du troisième secteur« .

ARCI est engagée pour la liberté d’association

ARCI est engagée pour la liberté d’association, pour que la première liberté constitutive d’un procès démocratique soit sauvegardée et garantie. La défense, la sauvegarde, la valorisation du patrimoine associatif sont des éléments fondateurs d’ARCI. Dans ce sens, l’association est engagée dans l’affirmation la plus ample des valeurs associatives, pour la défense sur tout le territoire italien de ses associations membres, pour le développement de nouvelles formes d’engagement, également au niveau international.

A l’étage inférieur de Millepiani ,une nouvelle surprise pour nous .Un local couvert de fresques polychromes, politiques , satiriques, lyriques …Celles des révoltes et des rêves de notre temps. Espace squatté et autogéré comme de nombreux autres lieux rencontrés à Rome, par des jeunes de « La Strada » ( « La route » ,coup de chapeau au titre du film illustrissime de Federico Fellini ? ) depuis quinze années, c’est un local de réunion , bar et espace de concerts, atelier de réparations de vélos … programmation des actions « d’occupations » collectives dans la ville , comme moyen de lutte pour conquérir des espaces nécessaires à des activités sociales diverses et faire face au coût élevé des prix des loyers et du foncier bâti à Rome. Ceci soulève une question que nous nous sommes posée souvent :la vie politique italienne, « à la base » , avec le berlusconisme finissant (comme forme politique de la transgression permanente par le marché et la puissance financière des lois et des règles morales ) est aussi en recherche de nouvelles voies pour une transformation sociale en pleine crise économique … Comme ailleurs en Europe et dans l’Argentine de la crise financière de 2000-2002 :quand les salariés s’approprient , remettent en marche des activités économiques sous des formes auto- gérées. Fralib (thés et tisanes) à Marseille par exemple.

Au cours de ce premier après-midi guidés, transportés, accompagnés en permanence par les équipes de Laboratorio et Arci, nous nous étions précédemment entretenus avec les femmes d’une permanence pour les droits sociaux des femmes et la lutte contre les violences domestiques qui porte le beau nom du film célèbre de l’espagnol Pedro Almodovar « Parle avec elle »(« Parla con lei » ).
Le mardi 5, nous sommes à la périphérie de la ville, dans le quartier de « La Rustica » (littéralement l’endroit rustique, champêtre) .Lumière douce, température de printemps et feuillages d’automne. L’hôpital psychiatrique de jour au nom baroque de « L’ornithorinque » nous accueille. Encore une autre histoire ! Celle commencée par l’expérience , au début des années 60 , dite de « l’anti psychiatrie », celle de Franco Basaglia à Trieste où pour la première fois en Europe on ne considère plus les malades mentaux comme des personnes « infra humaines », à la limite de l’animalité, qui font peur, qu’il faut « calmer » par divers moyens (camisole de force, douches froides, violences et abrutissement chimique) mais comme des personnes dont la dignité est entière. On ne savait pas ce que vivaient ces « fous », leurs souffrances et leurs attentes. On les enfermait, c’était tout. En 1996, une loi oblige les hôpitaux psychiatriques de l’enfermement des fous à … fermer leurs portes. Pour être remplacés par des lieux d’accueil et de soins « ouverts », où les malades ne viennent que durant la journée (d’où leur nom : hôpital de jour) et habitent dans leur famille. L’Ornithorinque est un centre de soutien thérapeutique et social par le travail : des maîtres forment à la menuiserie, mécanique, peinture et jardinage, les patients de ce quartier suivis par infirmières et psychologues organisés entre le service public de la santé et la coopérative sociale de « Conto à la Rovescia » (« A contre- courant »)… tout un programme ! Le but est de préparer la réinsertion professionnelle des patients sur des postes de travail adaptés dans des entreprises où ils sont suivis par le centre. 23 structures semblables existent ainsi à Rome.

L’après-midi, on traverse les bureaux du siège de Arci solidarité et on parle avec ceux qui y travaillent, une vraie ruche où on s’affaire pour de belles causes.
La suite se passe au milieu des machines, outillages et ponts roulants… dans une usine de réparation des wagons- lits dans le quartier de Portonaccio . Cette entreprise industrielle a cessé ses activités voici deux ans. Elle est squattée et nommée : « Ufficina Zero » (« Bureau ou Atelier Zéro ») comme pour signifier que tout repart, commence, naît là. Les jours précédents notre arrivée (1-3 novembre) s’est tenue une « Agora 99 »: une rencontre européenne de luttes sociales et politiques. Ateliers, assemblées générales. Ni leaders, ni partis ne sont cités sur les affiches. Une ambiance citoyenne combative si on lit le programme des journées : « luttes contre l’austérité en Europe-résistances transnationales –droit à la ville-occupations d’usines etc… ».Le mouvement ouvrier, ses espoirs, ses échecs, ses pages de gloire, le puissant mouvement qu’il fait naître chez les humbles, tout cela est présent à cet endroit-là .

« Je reviendrai et je serai des millions » disait Spartacus, pas loin de là. On est au bon endroit, non ?

Deux interventions de Danielle Galus et Julien Coclet traduites en italien ont lieu pour raconter avec précision l’expérience du Centre social Saint Gabriel dont l’originalité « repérée » depuis un an par les travailleurs sociaux du Laboratorio venus à Marseille. Ces propos seront suivis par Maurizio Veloccia, le maire, jeune, qui a été très attentif à ces interventions.

Rien en Italie n’échappe à l’art : le soir nous dînons dans le restaurant social de Arci, « Fanfulla » dans le quartier Pigneta. Bar et musiques, dans la Casetta rossa (« la petite maison rouge ») avec cour intérieure et tonnelle. C’est un petit bijou d’ingéniosité artistique avec des toiles, sculptures et objets d’art insolites partout. Des jeunes en discussion là, fêtant un anniversaire plus loin , en musique . On a eu envie plus d’une fois de se poser dans ces lieux. Parce que, sans paroles on sent l’envie de créer et … de vivre ! Et aussi, comme c’est étrange de parcourir en tous sens, ce qui fut la capitale de l’Empire romain dont on voit partout les constructions imposantes. Et aussi ville des églises et basiliques omniprésentes, la ville « éternelle », celle du Vatican , au cœur de l’Eglise, institution deux fois millénaire. Tandis que nous sommes dans la durée courte, celle des urgences des préoccupations sociales, tellement liées à une modernité urbaine qui cherche à inventer des formes de sociabilité et de participations intelligentes à l’espace public.

Le mercredi 6 novembre au matin, nous sommes à Corviale dans la banlieue. Au pied du Serpentone (« le grand serpent ») un immeuble monumental de 1 km de longueur, sur la crête d’une colline. Conçu en 1972 en période d’expansion économique de l’après- guerre, pour ne pas être un «quartier dortoir », mais une unité d’habitation, sur le modèle de le Corbusier à Marseille. 1 200 appartements avec un 4e étage, resté inachevé pour les commerces et les services, il est vite squatté, dès l’origine par des familles. L’ensemble, sans entretien manifeste, est dégradé. La société publique municipale de gestion n’entreprend rien : on peut se demander pourquoi. Hormis la question récurrente des déficits publics. Elle n’est pas semble-t-il pas l’unique cause ici :ainsi s’est interrogé à voix haute un « connaisseur » du Laboratorio .Mais l’immeuble n’est pas en ruines : on est réunis pour une matinée d’interventions et d’échanges au cœur de notre venue à Rome dans les locaux près d’une bibliothèque spacieuse, claire et bien pourvue de livres . Nous sommes à pied d’œuvre à cet endroit .Comme artisans de la coopération avec nos amis italiens. C’est là, en effet, que le Laboratorio a conçu le projet d’un centre social participatif inspiré de celui de Saint Gabriel.On verra pour quelles raisons plus loin.

On retrouve le maire attentif, Maurizio Veloccia, des adjoints aux affaires sociales, des psychologues, des représentants associatifs .On écoute deux exposés (traduits en direct )et toujours aussi précis, sur notre Centre social St Gabriel, par Daniele et Julien et même une brève intervention de Gérard Perrier en italien. S’ensuivent des échanges avec les participants à cette réunion.
Quel est l’enjeu ? L’équipe du Laboratorio le décrit elle-même dans une présentation de la rencontre de ces journées, intitulée : « Une Hypothèse d’expérience du modèle marseillais à Corviale ».

« (…) L’idée est de transférer la philosophie des Centres sociaux marseillais dans les quartiers de Rome .C’ est en réalité un objectif plus ambitieux : celui de changer concrètement l’approche des politiques sociales et la conception de « l’état social » (welfare) à Rome et pour la région du Latium. Le modèle marseillais vise la construction de parcours participatifs des citoyens par le concept « d’objectif » (target) qui privilégie la logique d’intervention publique , en ce sens qu’on considère comme fondamentale l’analyse des besoins sociaux à travers une cartographie du territoire par la recherche-action participative.(…) le projet se présente donc comme une batterie de services sur ce territoire particulier (Mairie XI, Corviale) tel qu’il permettrait une participation active et citoyenne de telle sorte que soit incluse la population en risque d’exclusion sociale, parmi lesquels les migrants, les chômeurs, les personnes en situation de pauvreté…Ce sont là les objectifs fixés par le programme Europe 2020, qui lie le développement intelligent à celui qui permet l’intégration. Ce programme Europe 2020 suppose l’adoption de mesures pour créer la cohésion économique et sociale territoriale en aidant les pauvres et les exclus par le moyen d’ un rôle actif dans la société.(…) Des possibilités pour réaliser ce projet se situent autour du centre polyvalent existant de Corviale (bibliothèque, services sociaux et d’aide psychologique -sanitaire, centre d’activités pour les jeunes, soutien scolaire, banque de mise à disposition de services divers, centre sportif) .Il s’agit de mettre en réseau et d’intégrer diverses activités en réalisant une régie commune et d’autre part de créer de petites activités nouvelles dans cet espace à partir des besoins sociaux du quartier tels qu’ils sont identifiés par les citoyens qui y vivent .( …) »

Suivent (je résume) les deux phases de réalisations par étapes de 6 mois chacune:
-cartographie territoriale des besoins réalisée par recherche action participative sur le modèle marseillais avec constitution d’une équipe transversale comprenant notamment les travailleurs sociaux des services existant sur place. Et aussi formation d’un groupe consultatif de citoyens du quartier et institution d’un administrateur social de quartier (méthode expérimentée à Mantova) afin d’aider les habitants par des moyens mutualisés (argent, garde d’enfants, accès aux services, économies d’énergie etc.. )
-Mise en œuvre des activités décidées et publication au bout d’un an de ce qui a été réalisé :article, vidéo et mise en ligne sur l’ Internet. Les organismes qui participent au projet ont essentiellement un rôle de coordination, supervision e facilitation du projet en collaboration avec les services municipaux.

( traduction et synthèse par G.P.)

Vaste programme ! On pourrait se demander pour quelles raisons en 1978 lorsque l’immeuble monumental de Corviale est livré et habité, on n’a manifestement pas procédé de la même façon.
Le contexte social est très différent : nous sommes alors dans les années de plein emploi de l’après-guerre et la conception des services sociaux est celle communément pratiquée alors en Europe sur le modèle de l’état social, une forme de redistribution des richesses par les services publics de l’assistance sociale, la santé publique ,l’enseignement, le sport, la culture pour tous …La voix des habitants est alors peu prise en compte, les habitants des quartiers populaires restent à l’écart des décisions politiques . Car le peuple est vu de façon condescendante : la pauvreté est un handicap qui justifie les décisions par en haut sur le mode technocratique. Quelques expériences de construction participative avec les habitants pour des réhabilitations et rénovations des cités populaires ont lieu de façon isolée.

A ma connaissance, fin des années 70, en France, notamment à Marseille avec le Centre de Formation Institutionnelle du Sud Est (CERFISE ) sous l’impulsion de Michel Anselme, André Jollivet… (lire du « Bruit à la parole- La politique des cités » -textes de Michel Anselme – recueillis par Michel Samson, éditions de l’Aube,2000- tirage épuisé-) .Pourtant dès cette époque, la sociologie anglo- saxonne dite de « l’empowerment » (obtenir plus de pouvoirs) se développe aux États-Unis et dans le Sud de l’Inde où elle est portée par les mouvements sociaux, notamment les mobilisations des femmes (lire Marie Hélène Bacqué et Yves Sintomer –La démocratie participative inachevée-Genèse, adaptations et diffusions-, Paris ,2010 éditions Yves Michel ). Néanmoins en France on a dans le mouvement associatif progressiste une vision qui n’est pas celle des politiques néo- libérales. Celles-ci consistent à inviter les personnes à la responsabilité pour, dans le même temps, dé- responsabiliser la puissance publique invitée à se désengager sur le plan financier par exemple. Pour l’heure en France, la ministre de l’égalité des territoires, Cécile Duflot et celui de la politique ville,François Lamy, n’ont pas choisi cette voie mais bien celle d’inviter les habitants des quartiers populaires à devenir des « experts du quotidien ». Affaire à suivre : au Centre social Saint Gabriel. on a commencé depuis le 21 novembre avec un premier atelier des habitants en vue de dresser un état des lieux …Des rages et des rêves ! Qui se poursuivront jusqu’à l’interpellation des candidats aux élections municipales de mars 2014, sur les bases de ces travaux d’ateliers appelés « les rendez-vous citoyens ». Ils seront par thèmes et réalisés avec le concours d’experts bénévoles. On en rendra compte à tous.

C’est ce chemin qu’empruntent le Laboratorio à Rome et le Centre social Saint Gabriel à Marseille. Là est le point d’appui du levier d’Archimède qui sert de titre : plutôt que de penser l’action publique du haut vers le bas, inversons la disposition. Faisons non pas de la « concertation » qui est une ruse pour esquiver le débat public mais constituons des collectifs d’interlocuteurs avisés comme bases d’une remobilisation politique porteuse de transformations sociales concrètes. Les logiques d’assistance ou celle des clientélismes politiques sont aussi destructrices que les machines à broyer de la crise économique que nous traversons. La plus grave depuis celle de 1929, quand les marchés financiers tentent d’imposer partout leur domination sur tous les aspects de la vie humaine. L’émancipation collective n’est pas un but mais un moyen pour rester des femmes et des hommes dignes. Rien de moins.

La nuit tombe à Rome. Nos yeux et nos oreilles sont fatigués d’avoir tant vu et écouté les expériences de ces génies modestes, ceux de la reconstruction des liens sociaux. Et comme on est bien ici ! On vit des moments de bonheur avec celles et ceux qui ne baissent pas les bras devant toutes les difficultés sociales .Et nous partageons leurs convictions !…Quand l’un des piliers du Laboratorio me dit que l’Italie n’a jamais été aussi « bas » dans son histoire. Avec la crise sociale, le crépuscule des 20 ans de la dérégulation berlusconienne, celui d’une gauche fragmentée qui ne sait plus qui elle est, les « Cinque Stelle » de Beppe Grillo ,une réunion de clowns pathétiques… Le temps de la confusion de tout.

L’espoir c’est encore cette salle de classe dans le centre polyvalent : pour le soutien scolaire, par des jeunes travailleurs sociaux qui « tiennent la main » des collégiens devant leurs livres, sous la lampe. Paola, éducatrice, en souriant nous dit qu’elle a fait « comme chez elle » pour nous recevoir : elle nous offre des tartes de fruits. La suite est un peu plus bas , sur un immense terrain de rugby « social », où sous les projecteurs, s’entraînent des équipes d’adolescents, des femmes courent … Un moniteur baraqué, ancien joueur lui-même, me répond quand je lui demande pourquoi il a cette activité : « Quand je vois les jeunes heureux de pratiquer ce sport que j’aime, moi ,ça me rend heureux aussi. » Comme dans le camp des Roms, à la périphérie de la ville, à Candoni, là où Arci Solidarité a un bureau permanent et aide à l’accompagnement scolaire des enfants, Ilaria jeune femme qui en est chargée, me dira : « Si ça va bien ici dans ce camp, alors ça va bien dans toute la ville. » A transmettre à Manuel Valls.
C’est humide et froid à cet endroit isolé, pas loin du Tibre, autour d’un repas de grillades et de tambour-accordéon, après les fortes paroles de Ion Balalau, représentant des personnes d’origine roumaine du camp (car il y aussi les derniers arrivants, des Bosniaques, qui ont grossi les rangs et avec qui les Roumains entretiennent des rapports compliqués) , on se dit avec Eléanor Roosevelt « Le futur appartient à ceux qui croient à la beauté de leurs songes. » L’utopie comme boussole : ça vous dit ? Allez voir les montagnes que soulèvent nos amis de Rome… Comme en écho Massimo me dira : « Tu sais, ici, on est tous un peu fous ».
[ Il Laboratorio di ManutenzioneArci
Centre social Saint Gabriel

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