Chronique littéraire de Jean-Rémi Barland. -Mexico- de Julien Allouf nous plonge en images dans -Les détectives sauvages- de Roberto Bolaño

Publié le 24 mars 2021 à  18h30 - Dernière mise à  jour le 31 octobre 2022 à  15h44

Après avoir lu « Les détectives sauvages » de Roberto Bolaño le comédien Julien Allouf est parti sur leurs traces en parcourant les rues de Mexico et a immortalisé en photos cet univers qui est à découvrir dans son ouvrage « Mexico ».

Julien Allouf :
Julien Allouf :

«Parfois, je rêve d’une ville qui est Mexico, mais qui en même temps n’est pas Mexico. Je veux dire c’est une ville inconnue, mais moi je la connais à cause d’autres rêves.» Ainsi s’exprimait l’écrivain chilien Roberto Bolaño (1953-2003) dans son livre «Les détectives sauvages». Publié pour la première fois aux éditions barcelonaises Anagrama en 1998, ce roman, somme de près de 900 pages, regroupe des journaux intimes, des récits et des comptes-rendus d’entretiens avec des personnes ayant croisé la route des poètes Arturo Belano (hétéronyme de Bolaño) et Ulises Lima (poète mexicain, inspiré de l’écrivain Mario Santiago Papasquiaro), et ce durant une période de vingt ans, entre 1976 et 1996. «Je crois que mon roman a presque autant de lectures qu’il y a de voix en lui. On peut le lire comme une agonie. On peut le lire aussi comme un jeu», raconte Roberto Bolaño dont le texte incandescent fut édité en France aux éditions Bourgois.

Je suis parti sur les traces des « Détectives sauvages » de Roberto Bolaño

Ce roman a tellement marqué l’acteur Julien Allouf qu’il a donné naissance à cet ouvrage «Mexico» publié chez Médiapop. Un ouvrage de photos « personnelles » prises sur place par le comédien, qui fou de littérature s’est déjà illustré dans la lecture de nombreux ouvrages audio. «C’est en 2014 que je suis parti sur les traces des « Détectives sauvages » de Roberto Bolaño», confie Julien Allouf qui tient à préciser que «le projet de départ était loin d’être clair, mais je brûlais de partir éprouver un texte qui m’avait fasciné. Partir vivre, pour de vrai, pour de bon, la palpitation des errances des poètes réalviscéralistes à travers les rues de Mexico». Les réalviscérailistes sont issus du mouvement le « réalisme viscéral » inspiré de l’ »infraréalisme » auquel Bolaño a appartenu pendant sa jeunesse mexicaine et qui consistait à «composer des vers épars et criminels, de vagabonder, trafiquer de la drogue, saper l’ordre du monde et de la poésie officielle». Ce qu’ont donc fait avec éclat ces artistes sans patrie. « L’idée de ce projet a ouvert en moi une foule de fantasmes, ajoute Julien Allouf, comme me laisser pousser les cheveux, la moustache, tomber amoureux, errer dans la ville, déclencher une révolution.» Et d’emboîter alors le pas à un personnage de fiction le jeune poète Juan Garcia Madero, dont on suit le journal dans la première partie du roman intitulée « Mexicains perdus à Mexico ». Je retrouvais les bars qu’il fréquentait, les parcs, les bancs, sur lesquels il passait ses journées à lire.» Magnifique démarche pleine d’empathie que ce livre de photographies de gens, de rues, d’un Mexico nocturne autant que diurne.

« Nous rêvions d’utopie et nous nous réveillons en hurlant », une émission de France Culture.

« L’infraréalisme, c’est un groupe d’amis qui cherchaient d’autres façons de vivre. La poésie s’est vite imposée à eux, non comme un élément fondateur mais plutôt comme un désir d’avoir une autre vie, une vie différente», précise Gerardo Gonzalez, que l’on peut présenter comme un historien de ce mouvement. Et avant de publier son livre de photos Julien Allouf a voulu comprendre ce que fut l’infraréalisme, ce mouvement politique né en 1975 et ce qu’il représente aujourd’hui. Né dans le contexte d’essor culturel favorisé par le Président mexicain Luis Echeverria Alvarez en réaction aux répressions parfois sanglantes du gouvernement précédent, ce mouvement a réuni une vingtaine de très jeunes poètes mexicains durant deux ans, jusqu’au départ de Bolaño pour l’Europe. Grands lecteurs de Roberto Bolaño, le réalisateur Benjamin Abitan et Julien Allouf sont donc partis au Mexique afin de rencontrer plusieurs compagnons de route et d’écriture de l’écrivain pour tenter de comprendre l’infraréalisme le mouvement poétique d’avant-garde que Bolaño a fondé en 1975 avec Mario Santiago Papasquiaro. Et d’en tirer «Nous rêvions d’utopie et nous nous réveillions en hurlant» cette émission diffusée sur France Culture qui brille par son audace et son intelligence.

« Une poésie de la rue »

Soulignons le travail d’artiste effectué par Julien Allouf qui a traversé Mexico son Nikkormat à la main. Des clichés beaux, poignants, agencés avec soin, comme s’il s’agissait d’un film et qui donne le sentiment au lecteur d’assister à une séance de cinéma. Une poésie de la rue en fait. Une aventure aussi qui a donné naissance à des moments parfois cocasses comme lorsque Julien Allouf fut arrêté par la police alors qu’il prenait une photo en extérieur. « Un policier m’a demandé mes papiers en me faisant préciser ce que je faisais et si j’étais journaliste ou reporter, raconte-t-il, je lui ai dit que je n’en savais rien, que j’avais lu un roman et je marchais comme ça dans la rue. Il m’a pris alors le bras, m’a regardé dans les yeux, et m’a dit : »Hé ! Ici au Mexique, on ne photographie pas les maisons ! ». Ce moment inouï, aurait pu sortir du roman de Bolaño en personne. Comme quoi la réalité rejoint souvent la fiction ».
Jean-Rémi BARLAND

«Mexico. Sur les traces des détectives sauvages» par Julien Allouf -Textes et photos- Mediapop Éditions. 20 €

Émission: Nous rêvions d’utopie et nous nous réveillons en hurlant :


[(« Les Détectives sauvages » (Los detectives salvajes), de Roberto Bolaño. Traduit de l’espagnol (Chili) par Robert Amutio. Christian Bourgois, 884 p., 28 €.

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