Publié le 26 mars 2021 à 8h27 - Dernière mise à jour le 4 novembre 2022 à 12h47
Je souhaite attirer l’attention du lecteur sur un article récemment paru dans la revue Foreign Affairs de mars-avril 2021, intitulé «Un jugement palestinien. L’heure d’un nouveau départ», écrit par les principaux conseillers politiques et négociateurs chevronnés du Président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas. Il s’agit de Hussein Agha et de Ahmad Samih Khalidi. L’article est écrit dans une revue américaine de référence publié par le Council on Foreign Relations, Foreign Affairs. Cet article est important car il marque un tournant stratégique de la position des Palestiniens concernant leurs relations futures avec Israël. Le message principal de l’article est que les Palestiniens doivent renoncer à l’objectif d’un état indépendant et adopter un objectif beaucoup moins ambitieux que les auteurs appellent «une souveraineté douce».
L’article commence par l’énoncé un constat, «le conflit officiel israélo-arabe est terminé», dans la mesure où plusieurs États arabes, les Émirats arabes unis, le Soudan, Bahreïn et le Maroc, ont décidé de normaliser leurs relations avec Israël, et que d’autres sont en passe de suivre le même chemin comme Oman ou l’Arabie saoudite. D’autres, enfin, maintiennent des liens forts, quoique discrets, avec Israël.
Cette nouvelle donne a été, à un moment, fortement critiquée par les Palestiniens qui ont perçu cette «normalisation» comme un coup de poignard dans le dos, de la part de pays amis. Les Palestiniens considèrent qu’avec cette normalisation, ils ont perdu un atout dans toute future négociation avec les Israéliens. Cette normalisation met à bas leur stratégie qui était basée sur le principe, la terre contre la paix qui aurait dû précéder toute normalisation avec l’État hébreu.
En ce sens, elle affaiblit leur position, qui, impuissants constatent que les pays arabes ont «donné la priorité à leurs propres intérêts». Le Maroc a obtenu la reconnaissance américaine de son contrôle sur le Sahara « espagnol « , le Soudan, la suppression des sanctions américaines et les EAU et Bahreïn, l’accès à un armement sophistiqué. Pour l’heure, cette politique, initié par l’ex-président Trump, n’a pas été remise en cause par l’actuel président, Jo Biden. Pour les auteurs: «La diplomatie palestinienne a massivement échoué (…) les perspectives d’obtenir une souveraineté « dure », basée sur les notions du XIXe siècle de l’État-nation, avec un contrôle total et complet sur la terre, les frontières et les ressources, sont lointaines». Hussein Agha et Ahmad Samih Khalidi accusent l’Organisation de Libération de la Palestine (OLP) qui «a perdu toute crédibilité en tant qu’organe de décision ou de représentation ». De plus, ils font observer que «pour Israël, la vague de normalisation signifie qu’il y a peu d’incitation à faire la paix avec les palestiniens.»
Le tournant stratégique doit d’abord passer par adopter un nouveau discours, et cesser d’être « prisonniers » d’un discours ancien. Il faut, disent-ils, rejeter les «vieux slogans» et adopter une «une position claire sur ce qui est réalisable et souhaitable». Pour eux, les Palestiniens doivent cesser de rêver. «Le rêve d’autodétermination via un État qui compenserait la douleur de l’exil et de l’occupation est lointain. Les Palestiniens ne peuvent pas rester les otages de l’absence d’État, vivant dans les limbes permanents en attendant un salut qui recule visiblement et qui n’arrivera peut-être jamais».
Aux intérêts collectifs il faut s’attacher à promouvoir les intérêts individuels fondamentaux telle la liberté de penser, de parler, de travailler, de vivre, de se déplacer et de prospérer. Pour eux, les dirigeants palestiniens ont développé une «culture de dépendance (…), une attente de salut extérieur», car ils ont espéré qu’un soutien extérieur leur permettra de faire droit à leurs revendications, considérés comme légitimes. Et cela «a sapé leur volonté de construire et de développer leur société et a entravé leur volonté d’explorer de nouvelles façons de penser».
Leur erreur a été et, semble-t-il est encore «de faire appel au droit international, dans l’espoir que la communauté internationale puisse ou agira en son nom. Cet appel a été l’une des illusions les plus persistantes des dirigeants palestiniens»
Le constat établi que proposent-ils de faire maintenant ? En premier, il faut, dans toute future négociation, impliquer la Jordanie et l’Égypte. D’une part, l’avenir de la Cisjordanie, compte tenu de l’histoire, de la politique, de la démographie et de la géographie, ne pourra être déterminé indépendamment des intérêts jordaniens. D’autre part, l’Égypte a gouverné la Bande de Gaza de 1948 à 1967, aussi son sort ne pourra être déterminé «sans le consentement du Caire». En deuxième, les Palestiniens doivent trouver une solution permettant de combler le fossé Bande de Gaza-Cisjordanie, dans la mesure où le schisme mine la légitimité des Palestiniens. Troisièmement, les Palestiniens devront adopter une nouvelle approche lorsqu’ils traitent de la question de la sécurité. Pour les auteurs «la vision palestinienne de la sécurité est étroite, locale et tactique ; la vision israélienne est large, régionale et stratégique (…)». En conséquence les Palestiniens ont besoin d’une nouvelle approche. Enfin, les auteurs estiment que les Palestiniens ne doivent plus «s’accrocher à la chimère autodestructrice de la souveraineté dure (…) et adopter des versions plus douces, comme dans le cas des États membres de l’Union européenne.»
En conclusion, nous pensons que cette nouvelle vision de l’avenir du peuple palestinien et des relations futures avec Israël s’adresse autant aux populations israélienne et palestinienne qu’à la nouvelle administration américaine. A cet égard, vient de paraître ces jours-ci un mémo rédigé par Hadi Amr, sous-secrétaire adjoint américain aux affaires israéliennes et palestiniennes qui vise à faire pression pour une solution à deux États basée sur les frontières de 1967 avec des échanges de terres mutuellement convenus, pour tenter de mettre fin au conflit israélo-arabe. Un contact téléphonique entre Abbas et Biden devrait être imminent. Affaire à suivre.
[(Le Professeur Gilbert Benhayoun est le président du groupe d’Aix -qui travaille sur les dimensions économiques d’un accord entre Israël et les Territoires palestiniens- qui comprend des économistes palestiniens, israéliens et internationaux, des universitaires, des experts et des politiques. Son premier document, en 2004, proposait une feuille de route économique, depuis de nombreux documents ont été réalisés, sur toutes les grandes questions, notamment le statut de Jérusalem ou le dossier des réfugiés, chaque fois des réponses sont apportées.)]