Publié le 26 mars 2021 à 7h48 - Dernière mise à jour le 31 octobre 2022 à 15h44
C’était un homme de culture, de rencontres et de partage. Bertrand Tavernier, inlassable arpenteur de territoires avait fait de l’Amérique une de ses patries artistiques. L’attestent son livre paru en 1993 Amis américains : entretiens avec les grands auteurs d’Hollywood, coédition Institut Lumière/Actes Sud. Une somme, un défi, un ouvrage écrit en toute liberté, qui montra combien ce cinéaste avait le goût des autres. Et un esprit curieux.
Si beaucoup de cinéastes creusaient dans le même sillon leur inspiration, Bertrand Tavernier s’est emparé de tous les genres. Du western aux films en costumes, du film de guerre aux récits plus intimes, il était de toutes les inspirations. De tous les combats humanistes aussi qui donnèrent « Capitaine Conan », ou « Coup de torchon », des pierres jetées dans le jardin des guerres et du colonialisme. En ce sens Bertrand Tavernier partageait cela avec son ami d’enfance Volker Schlöndorff devenu le parrain de son fils. Le sens de la révolte et le refus de se coucher devant les idéologies ou les autoritarismes.
Philippe Torreton: « C’est un monument qui s’en va »
Bouleversé par sa disparition l’acteur Philippe Torreton nous a confié sa tristesse en ajoutant : «C’est un monument qui s’en va. Heureusement il nous reste ses films. Mais quand même !…notre peine à tous est immense ! ». Homme qui refusait les compromis Bertrand Tavernier n’hésitait pas à ferrailler contre ceux qui lors des avants-premières devant le public ou les conférences de presse l’accusaient de simplisme ou de manichéisme comme lorsqu’il le fit à Aix-en-Provence en venant présenter son film «Ça commence aujourd’hui » où le personnage principal était incarné par Philippe Torreton justement. Bertrand Tavernier était alors accompagné de sa fille Tiffany Tavernier, romancière qui avait co-signé le scénario du film avec son père et l’écrivain Dominique Sampiero, auteur à la générosité sans failles. De l’union littéraire de ces trois êtres était né un des films les plus forts qu’il nous fut donné de voir sur le métier d’enseignant en zone prioritaire. Un film plus vrai que nature, et très ample malgré le minimalisme de son traitement.
Un immense directeur d’acteurs
On retiendra de Bertrand Tavernier, outre une œuvre abondante son art de diriger des actrices et des acteurs avec une précision d’orfèvre et un sens du regard étonnant. C’est tout de même lui qui fit éclater au grand public l’immense talent de Michel Galabru, bouleversant dans «Le juge et l’assassin» un film inspiré de l’affaire Bouvier, un sergent d’infanterie qui tira sur sa fiancée puis fut condamné à mort et qui valut à son comédien principal le César du meilleur acteur. Une récompense qui n’était que justice et qui montrait au grand public que l’adjudant Gerber de la série des Gendarmes était plus subtil qu’on ne le décrivait alors. Rappelons que Michel Galabru savait tout jouer, et qu’il incarna dans «Uranus» de Claude Berri le père d’un certain… Dominique Bluzet, devenu ensuite le directeur du Théâtre du Jeu de Paume d’Aix, du GTP d’Aix, et du Gymnase à Marseille. Et que dire de Mélanie Thierry, Gaspard Ulliel, Gabriel Leprince-Ringuet, Raphaël Personnaz et Lambert Wilson, les acteurs de «La Princesse de Montpensier » inspiré de l’œuvre éponyme de Madame de La Fayette si ce n’est qu’ils sont tous exceptionnels. Et comment ne pas être totalement séduits par Sophie Marceau dans « La fille de D’Artagnan », où elle partageait l’affiche avec Philippe Noiret un des comédiens phares et fétiches de Tavernier. On retiendra aussi la prestation bouleversante de Louis Ducreux dans «Un dimanche à la campagne» qui évoquait en 1912 le crépuscule d’un peintre sans réel génie. Ou Bruno Putzulu inoubliable dans «L’appât ». Ce qui montra encore et toujours que Bertrand Tavernier avait le don de faire surgir le meilleur du meilleur des acteurs et actrices qu’il dirigeait.
Bruno Putzulu: « Il était le cinéma, et il vivait dans la fiction »
«Il était le cinéma et il vivait dans la fiction», nous dit de lui Bruno Putzulu lui aussi très ému par sa disparition. «Sur un tournage de Bertrand Tavernier, ajoute-t-il, ce n’était pas le comédien qui devait s’adapter à la technique, mais la technique qui devait s’adapter aux comédiens. Le comédien jouait et alors il faisait des mouvements de caméra en fonction de ce que proposaient les comédiens. Quand tu faisais un film avec Bertrand tu le faisais aussi avant le tournage. Il nous invitait chez lui, on mangeait ensemble, on apprenait à se connaître. Si bien que lorsqu’on arrivait sur le plateau on était comme en famille. Et puis sur « L’appât » il nous a conviés à décorer le plateau en fonction de nos propres goûts. Et puis il adorait rire.»
« Mais Bruno, tu fumes pas….Pourquoi tu ne me l’as pas dit ? »
A ce sujet Bruno Putzulu se souvient d’une anecdote marquante. «Quand j’ai lu le scénario de « L’appât » j ‘ai vu que mon personnage fumait. Je voulais tellement le rôle que j’ai menti en disant à Bertrand qu’effectivement moi aussi je fumais. Ce qui était faux ! Et à la première bouffée de cigarette avalée sur le tournage j’ai failli m’étouffer. Quand il a vu ça Bertrand Tavernier, alors que je pensais qu’il me mettrait dehors, s’est mis à rire avec gentillesse. « Mais tu fumes pas Bruno…. Pourquoi tu me l’as pas dit ? » Et de me lancer : « C’est pas grave on va s’arranger autrement ». C’était cela Bertrand Tavernier… La bonté et l’indulgence faite homme».
On ne saurait mieux dire quant au fait que l’homme a mis beaucoup de lui dans sa vie et de vie dans son œuvre. Un géant au grand cœur s’en est allé. Oui il nous reste ses films dont l’exceptionnel «Laissez-passer» un film qui brosse un portrait des conditions de tournage sur les plateaux de tournage parisiens pendant l’Occupation avec un Denis Podalydès phénoménal. Là encore le goût des actrices et des acteurs portés à leur plus haut niveau. Du estampillé Tavernier en fait !
Jean-Rémi BARLAND