Publié le 18 avril 2021 à 11h09 - Dernière mise à jour le 31 octobre 2022 à 15h52
Acte 1 : grand émoi en Provence. Vendredi 6 avril 2018. Les gendarmes des Pennes-Mirabeau découvrent une voiture entièrement calcinée aux abord d’un chemin forestier. Une affaire classique ne posant aucun problème aux militaires de la brigade territoriale, même si dans l’immédiat il leur est impossible d’identifier la marque et l’immatriculation du véhicule. Ce sont les pompiers qui en ouvrant le capot, geste fait par habitude et conscience professionnelle, découvre à l’intérieur un corps entièrement calciné.
Dépêchés sur les lieux, Henri Saint-Donat, (53 ans et 30 ans de carrière), commandant divisionnaire fonctionnel, et son adjoint Basile Urteguy, Basque par ses origines lieutenant par son grade, «minot» de 29 ans, affecté à la Crim’ de Marseille vont conclure très vite qu’il s’agit de ce qu’on appelle « un barbecue ». Mot définissant un « mode opératoire local de règlement de comptes entre voyous, consistant à abattre son adversaire et le brûler dans le coffre d’un véhicule». L’affaire qui s’annonce compliquée dépassant les saisines habituelles de la gendarmerie et relève donc bien de la compétence de la police judiciaire de Marseille.
Une victime que Saint-Donat a très très bien connue
Mais qui est-il cet homme calciné et méconnaissable ? Ce n’est pas un homme justement, et nos enquêteurs vont être alertés sur le fait que la victime est… une femme s’appelant Nathalie Fournier, alias Mireille de Gounod, née le 23 août à Rungis connue pour ses braquages et son train de vie qui lui vaut son surnom : La Carlton. Une victime que Saint-Donat a très très bien connue quand il travaillait autrefois à Paris au 36 quai des Orfèvres et qui n’avait pas du tout le profil pour finir sa vie dans une voiture incendiée par ce qui semble être des dealers marseillais.
Acte 2. A des kilomètres de là le commandant Martin Laval, ancien adjoint d’Henri, qui lui aussi a quitté la brigade criminelle parisienne au moment du déménagement du « 36 » pour aller prendre son poste de commandant de la police judiciaire de Melun, fait les premières constatations sur un cadavre retrouvé flottant dans l’Yonne bien empaqueté nu dans une bâche noire avec deux balles logées dans le buffet. Âgé de 22 ans, s’appelant Yassine Hosni, la victime née en 1996 demeurait allée des Prêcheurs, à la Cayolle, un quartier de Marseille. Rapidement l’enquête va montrer un lien entre ces affaires et un mystère difficile à éclaircir…
Personnages bigarrés
Très unis sur le terrain Henri Saint-Donat et son adjoint Basile Urteguy vont se démener sans compter. Avec quelques surprises comme le fait que Mireille de Gounod, aristocrate payant en espèces sa chambre à l’ « Intercontinental » et qui roulait en Goldwing » avait un fils se prénommant Octave, né le 2 septembre 1998 à Annecy et apparemment domicilié au 18, place de la République à Saint-Rémy de Provence. Quant à la personnalité Bilal Hosni « le frangin » de Yassine, elle sera au cœur d’interrogations multiples de la part des policiers marseillais.
Secouez le tout, ajoutez-y les figures de Robert Battistelli, le concierge de l’hôtel Intercontinental, situé à l’emplacement de l’ancien hôpital de Marseille « l’Hôtel-Dieu », Rosalie Duchemin, employée légèrement enrobée de 20 ans, victime d’un braquage, le major René Malmaison, du service de quart de la division centre de la sécurité publique de Marseille, le lieutenant Pierre Forest et le brigadier chef Joseph Labord de l’antenne PJ de Melun, surpris l’un comme l’autre des couleurs de Marseille et du soleil méditerranéen, sans oublier la truculente et intrépide Lucie Clert, la fille du CID (chef inspecteur divisionnaire) Louis Clert, ou le docteur, médecin légiste, Faussier, et vous aurez quelques uns des principaux protagonistes de ce polar solaire comme un jour d’été sur le Cap Canaille (décor important du récit qui donne son titre au livre) et sombre comme ce barbecue humain cité au début.
Un jeune policier pianiste qui chante Téléphone, Dylan et … Anne Sylvestre
Et pourquoi Nathalie Fournier est-elle surnommée Mireille de Gounod ? Laissons au lecteur le soin de le découvrir, mais notons que la musique a une grande importance dans l’agencement de l’intrigue et dans la vie privée de Basile Urteguy, le jeune flic adjoint de Saint-Donat. Fils d’une maman pianiste et d’un père chef d’orchestre, «s’étant tapé la totale, solfège, cours de musique, rythmique et tous les classiques, premier prix de piano au conservatoire Maurice-Ravel de Bayonne, Basile ne rechigne pas non plus à jouer de la guitare et à chanter.» Et pas n’importe quoi ou n’importe qui, Basile en effet interprète volontiers (on nous le précise page 360) , des titres signés Dylan, Téléphone et…Anne Sylvestre, ce qui montre en l’occurrence des goûts artistiques très sûrs.
Ce n’est pas la moindre surprise narrative de « Cap Canaille », formidable polar signé Christophe Gavat qui valut à ce commissaire divisionnaire en poste à la Guadeloupe le Prix du Quai des Orfèvres 2021, distinction décernée sur manuscrit anonyme par un jury de flics professionnels, et présidé par Christian Sainte directeur de la police judiciaire. Un Christophe Gavat qui possède sens de l’intrigue, style, souffle épique, art du portrait et dont le premier livre fut adapté pour France 2 par Olivier Marchal. Un « Cap Canaille » percutant et passionnant où il est montré avec lucidité qu’ici «l’argent a l’odeur de la drogue et la came n’a pas d’honneur.»
Jean-Rémi BARLAND
« Cap Canaille » de Christophe Gavat. paru aux Éditions Fayard – 406 pages – 8,90 € – Prix du Quai des Orfèvres 2021.