Publié le 4 mai 2021 à 9h00 - Dernière mise à jour le 4 novembre 2022 à 12h47
La classe politique, aussi bien en Israël qu’en Palestine, risque de connaître de profondes modifications dans les prochaines semaines.
Les responsables en place aussi bien en Israël que chez les Palestiniens devront céder les places qu’ils occupent depuis de longues années, depuis trop longtemps diront leurs adversaires politiques. Netanyahu est Premier ministre depuis 2009 et Mahmoud Abbas est président de l’Autorité palestinienne depuis 2005. Pour beaucoup, y compris pour certains de leur propre camp, enough is enough.
Pour Al-Monitor, Netanyahu et Abbas «font face à l’abîme», dans la mesure où tous deux perdent «le contrôle de coalitions traditionnelles.» Ces deux leaders ne partiront pas de leur plein gré, mais poussés vers la sortie par leurs adversaires politiques, voire par certains de leurs amis proches. Le pouvoir trop longtemps détenu use.
Mahmoud Abbas avait annoncé fin janvier, après l’élection de Biden aux États-Unis, que des élections palestiniennes seraient organisées, fin mai pour les législatives, puis devraient suivre la présidentielle et les élections à l’Organisation de Libération de la Palestine (OLP) qui représente les Palestiniens vivant soit en Cisjordanie et dans la Bande de Gaza, soit ceux vivant à l’étranger. Or, nous venons d’apprendre qu’Abbas vient de décider unilatéralement le report des élections faisant valoir que les Israéliens auraient refusé qu’elles puissent être organisées à Jérusalem-Est, ce qui aurait empêché les Palestiniens qui y vivent d’y participer. La ficelle est grosse, et ce d’autant plus qu’une délégation de l’Union européenne a été reçue au ministère des affaires étrangères israélien et a appris qu’«Israël n’a pas eu l’intention d’intervenir ni d’empêcher la tenue des élections» à Jérusalem-Est.
La vraie raison de cette annulation est que le Président Abbas était pratiquement assuré de perdre son pouvoir au profit probablement du Hamas. Cet échec annoncé résulte du fait qu’au moins un de ses amis politiques, Nasser Qidwa, ancien représentant palestinien aux Nations-Unis, ex-ministre des Affaires Étrangères, neveu de Yasser Arafat, a annoncé qu’il se présenterait aux élections avec l’épouse de Marwan Barghouti. Celui-ci, en prison à vie en Israël, est très populaire chez les Palestiniens. Un autre adversaire politique, Mohamed Dahlan, a également fait savoir qu’il serait candidat à la présidentielle. Dahlan, ex-membre du Fatah, est très populaire dans la Bande de Gaza, et en particulier à Khan Younis, où il est né. Il a gardé de solides soutiens et d’anciennes amitiés depuis la première Intifada de 1987 durant laquelle il a joué un rôle important de meneur.
Ce qui lui a valu d’aller en prison en Israël, séjour forcé mis à profit pour apprendre l’hébreu. Il vit en exil, depuis de longues années, dans les Émirats Unis, car il s’était opposé politiquement à Mahmoud Abbas. Or, il n’y avait aucune garantie que ces deux leaders n’étaient pas près de conclure un accord avec le Hamas, ce qui aurait constitué une menace pour Mahmoud Abbas. La décision du report, annulation déguisée, sera, pour D. Kattub d’Al-Monitor, «une marque noire» sur l’héritage de Mahmoud Abbas.
Ce report fait l’affaire d’Israël, de l’Égypte, de la Jordanie ainsi que des pays occidentaux qui s’inquiétaient d’une arrivée au pouvoir d’un mouvement, considéré par terroriste par les États-Unis et l’Europe, et qui a, jusqu’à aujourd’hui refusé d’accepter les trois conditions émises par le Quartet (Etats-Unis, Union européenne, Russie et Nations-unis) qui sont, la reconnaissance de l’État d’Israël, l’arrêt du recours à la violence, la reconnaissance des traités passées entre Israël et l’OLP. Le report des élections va, très probablement décevoir la jeunesse palestinienne qui souhaitait participer à son premier scrutin électoral. 93% des électeurs se sont inscrits pour voter ! Affaire à suivre…. d’autant plus que Mahmoud Abbas a 86 ans.
Le feuilleton israélien des élections pourrait constituer le sujet d’une prochaine série israélienne. Il devrait connaître le même sort que d’autres séries qui rencontrent un franc succès mondial. Quatre élections législatives en deux ans. Un gouvernement provisoire qui ne peut prendre des décisions majeures, un Premier ministre mis en examen dans trois affaires, dont l’une peut l’envoyer en prison pour des années, une Cour suprême, ultime rempart de la démocratie israélienne, critiquée par la droite et l’extrême droite. Les juges, les médias et la police critiqués explicitement par un Premier ministre en exercice. Jamais dans l’histoire politique d’Israël, des élections n’ont eu qu’un seul et unique mot d’ordre : pour ou contre Netanyahu. Une démocratie qui vacille… mais, il faut l’admettre, elle a jusqu’à maintenant, tenu bon.
Selon la loi, Netanyahu a jusqu’au, 4 mai à 23h59, pour obtenir une majorité de 61 sièges sur 120. Sinon, le Président Rivlin peut demander à un autre député le soin d’arriver à constituer une majorité. Au bout de 28 jours, si la fumée blanche ne s’élève pas au-dessus de la Knesset, un cinquième tour des élections devra être organisé.
Faisons l’hypothèse qu’un cinquième tour ne sera pas nécessaire, un gouvernement sera mis en place. Soit un gouvernement constitué du Likoud (droite), des partis religieux, du petit parti, Yamina (droite en hébreu) et d’un parti d’extrême droite, avec le soutien extérieur d’un parti islamiste (Ra’am) affilié aux Frères musulmans, dirigé par un député qui ne sera pas Netanyahu, soit un parti hétérogène constitué de partis de gauche (travailliste et Meretz), de partis du centre (Yesh Atid et Bleu et Blanc), de partis de droite (Yamina -encore lui comme faiseur de roi-, le parti de G. Saar), avec le soutien de partis arabes.
Il faut espérer qu’enfin les problèmes importants d’Israël soient traités par un gouvernement stable et responsable. Sur le plan intérieur, citons l’importance des inégalités, une économie duale, constituée d’une partie (12% des actifs) moderne, hautement sophistiquée et d’une partie à très faible productivité. Par ailleurs, le pays ne pourra faire l’économie d’une réforme du système électoral. Sur le plan extérieur la menace iranienne, le conflit non résolu avec les Palestiniens. A l’actif du pays, il faut citer la victoire contre la pandémie qu’il faut mettre à l’actif de Netanyahu. Tout n’est pas blanc ou noir…
[(Le Professeur Gilbert Benhayoun est le président du groupe d’Aix -qui travaille sur les dimensions économiques d’un accord entre Israël et les Territoires palestiniens- qui comprend des économistes palestiniens, israéliens et internationaux, des universitaires, des experts et des politiques. Son premier document, en 2004, proposait une feuille de route économique, depuis de nombreux documents ont été réalisés, sur toutes les grandes questions, notamment le statut de Jérusalem ou le dossier des réfugiés, chaque fois des réponses sont apportées.)]