Publié le 4 décembre 2013 à 19h19 - Dernière mise à jour le 27 octobre 2022 à 17h03
La Chambre régionale des comptes vient de rendre public un rapport sur l’accueil de la petite enfance.
Il est avancé : « L’offre d’accueil des enfants de moins de 3 ans s’est développée de façon notable au cours des 6 dernières années. Entre 2006 et 2011, la capacité d’accueil des enfants de moins de 3 ans a augmenté de 11,7% (on compte 2,4 M enfants de moins de 3 ans pour 1,26 M de places), et les dépenses de 19,2%. Le coût global de cette politique pour les finances publiques est estimé à 13,95 Md€ en 2011 répartis entre la branche famille de la sécurité sociale pour 73,2 %, les collectivités locales pour 17,4% et l’Etat pour 9,5%.
C’est une politique facultative pour les communes, qui organisent l’offre d’accueil sur leur territoire selon plusieurs modalités : elles assurent la gestion de la majorité des établissements d’accueil du jeune enfant (EAJE), et contribuent à leur investissement et à leur fonctionnement (le coût de création d’une place en crèche est en moyenne de 30 000 €); elles donnent des subventions aux crèches associatives.
L’enquête a porté sur les modes de garde dits « formels » : crèche, assistante maternelle, école préélémentaire et salarié à domicile. 15 CRC ont participé, notamment celle de Paca par des contrôles sur les villes de Marseille et Martigues, dont les rapports d’observation sont en ligne Chambre régionale des comptes
Les principaux points relevés par le rapport, concernant les collectivités locales et en particulier les communes, mettent en évidence un accès inégal à l’offre d’accueil, une connaissance imparfaite de cette offre et de son adéquation aux besoins des familles, et une transparence insuffisante dans l’attribution des places. Les contrôles de Marseille et Martigues confirment ces constats.
1- Une offre d’accueil renforcée mais encore inégale
Une offre de garde en forte progression
Le taux de couverture (nombre de places rapporté au nombre d’enfants) est passé de 47,7% à 52,2% au plan national. La progression tient pour l’essentiel à l’accroissement du nombre d’assistants maternels, dans une moindre mesure à celui des places de crèche, tandis que la préscolarisation des enfants de 2 ans chute de 48% (le taux de préscolarisation est divisé par 3 en 10 ans). En cause, la priorité donnée à la scolarisation des enfants de 3 ans en période de forte hausse de la natalité.
A Marseille, la progression constante de l’offre d’accueil au cours des années récentes tient pour l’essentiel à l’augmentation de la capacité des crèches associatives et privées ; les crèches municipales ont accru leur capacité d’accueil de 65 places entre 2008 et 2012. La ville souligne la forte croissance de la scolarisation des enfants de 2 ans, depuis la rentrée 2013.
Le rapport public note la persistance de disparités, tant sur le plan territorial que du point de vue de l’équité sociale.
Un accès inégal à l’offre d’accueil
D’importantes disparités territoriales subsistent et l’accès des familles les plus modestes à l’offre de garde reste difficile. La capacité d’accueil varie de 1 à 3 selon les départements métropolitains : de 30,2% en Seine Saint Denis à 85,6% en Haute-Loire.
La région Paca se situe dans les zones ou le taux de couverture est le plus bas, avec le Nord-Est. A Marseille, un enfant sur 3 (32,6 %) bénéficie d’un mode d’accueil ; la situation est meilleure à Martigues (47 %) mais le délai d’attente y est d’un an pour l’inscription en crèche. Par comparaison avec d’autres grandes villes, le taux de couverture est de 37 % à Lille mais de 59 % à Bordeaux.
La situation est aussi très inégale entre les différents quartiers. Les fortes disparités entre arrondissements de Marseille, soulignées dans le rapport de la chambre, sont relevées par le rapport public : au 1er octobre 2012, plus de 40 points d’écart séparent l’arrondissement le mieux pourvu en places d’accueil formel (8eme) de l’arrondissement le moins bien pourvu (3eme). Ces disparités territoriales entre modes d’accueil sont globalement cumulatives : à l’intérieur de l’accueil collectif, les secteurs associatif et privé ne corrigent pas les disparités territoriales du secteur communal ; de même, l’accueil individuel ne corrige pas les disparités de l’accueil collectif. Au contraire, ces disparités s’ajoutent les unes aux autres. Le maillage par arrondissement permet de faire émerger des ensembles plus vastes. Ainsi, l’ensemble formé par les 7eme et 8eme arrondissements de Marseille est-il constitué des deux arrondissements les mieux dotés, tandis que l’ensemble formé des 3eme, 14eme et 15eme arrondissements est le secteur le moins bien couvert.
La ville pondère ce constat par d’autres critères, notamment le besoin réellement exprimé apprécié à travers la demande de places en crèche collectives, qui concernerait en priorité les 4eme, 5eme, 6eme et 7eme arrondissements.
2- Une insuffisante coordination des acteurs
Des partenariats à consolider au niveau local
Les communes et les intercommunalités sont au cœur de l’organisation de l’offre d’accueil : elles gèrent les crèches (EAJE), mettent en place des relais d’assistantes maternelles, et attribuent des subventions aux établissements d’accueil privés. Toutefois la mise en réseau comme la mutualisation des services dédiés à la petite enfance restent à construire dans la majorité des territoires.
Au niveau local, la répartition des compétences est éclatée entre la CAF, le département et le niveau communal, en matière d’initiative, d’autorisation et de financement des projets. De ce fait, la politique d’accueil peine à trouver sa pleine mesure sur le terrain :
– Peu de commissions départementales d’accueil du jeune enfant, instances de réflexion, de proposition et de suivi, fonctionnent aujourd’hui de façon permanente et pertinente. Elles sont mal informées, peu actives et reposent sur une représentativité limitée des communes. Par exemple, Marseille n’est pas représentée à la commission des Bouches-du-Rhône, non plus que Martigues. La commission des Bouches-du-Rhône est cependant citée parmi celles qui ont constitué des groupes de réflexion sur différents aspects de l’accueil de la petite enfance.
-Les schémas d’organisation de l’accueil de la petite enfance élaborés par les collectivités locales sont peu développés. Seulement 35% des départements ont adopté un schéma départemental d’accueil de la petite enfance.
-Si les contrats « enfance-jeunesse » conclus pour 4 ans entre la Caisse d’allocations familiales et les communes remplissent efficacement leur rôle d’outil de diagnostic territorial, ils ont un effet limité dans la résorption des disparités territoriales. C’est le cas à Marseille.
-Par ailleurs, la coordination des différents acteurs pourrait être améliorée dans le cadre du développement de l’intercommunalité, encore peu présente sur la compétence « petite enfance ».
L’enquête montre que le niveau départemental apparaît comme l’échelon pertinent pour la mise en œuvre locale de cette politique dont le schéma départemental d’accueil du jeune enfant constitue le cadre stratégique et dont la commission départementale d’accueil du jeune enfant est l’instance de réflexion et de suivi.
Dans ces conditions, il apparaît souhaitable de renforcer l’action de l’actuelle commission départementale d’accueil du jeune enfant (CDAJE), présidée par le président du conseil général, ou de la commission départementale de services aux familles qui pourrait la remplacer, et serait, selon la ministre chargée des affaires sociales, susceptible d’être placée sous l’autorité du représentant de l’Etat dans le département. La commission aurait une mission d’animation générale et de planification de cette politique au plan local, avec l’élaboration du schéma départemental d’accueil du jeune enfant, dont l’établissement serait rendu obligatoire.
Une connaissance imparfaite de l’offre et des besoins d’accueil
La fréquentation effective des différents modes d’accueil est mal connue, de même que les besoins des familles, ce qui ne permet pas d’anticiper la demande.
A Marseille, comme dans l’ensemble des collectivités examinées dans l’enquête, la connaissance de l’offre et de la demande de garde est imparfaite. La ville revendique une « connaissance du terrain » mais cette appréhension empirique ne donne pas pour autant une vision précise de l’offre et des besoins d’accueil. En témoigne la divergence entre la ville et la chambre sur les places disponibles en accueil individuel chez les assistants maternels, la ville comptabilisant les agréments (7 931) et la chambre les places effectivement occupées (3 344) ; en effet si l’agrément est une condition indispensable pour disposer d’une place, il n’y conduit pas automatiquement. C’est pourquoi la chambre ne retient que 10 532 places d’accueil fin 2011 à Marseille (tous modes de garde confondus), quand la ville en recense 14 116.
La ville de Martigues n’a pas été en mesure de communiquer le nombre de places réelles d’accueil par des assistants maternels.
Le rapport public cite, parmi les bonnes pratiques, la base de données informatisée mise en place par la ville de Bordeaux, qui recense l’offre existante d’accueil, les demandes en attente et celles qui sont prévisibles à court et moyen termes. Elle est ainsi en mesure de quantifier et mémoriser ces demandes en les ventilant par type d’accueil et par quartier de résidence des familles.
3- Les pistes d’amélioration
L’attribution des places : une transparence à renforcer
Le rapport note que les procédures d’attribution des places en crèche ne reposent pas toujours sur des procédures formalisées et sur des critères objectifs de sélection des demandes. La multiplication des critères, qui rend plus difficile la hiérarchisation des demandes, peut être perçue comme une source d’opacité de la décision d’admission.
C’est le cas à Marseille, où des critères objectifs (résidence, activité des parents, contrats à temps plein) sont obscurcis par des critères plus vagues comme « l’objectif de mixité sociale, de mixité d’âge, de mixité d’accueil et d’optimisation du fonctionnement des établissements ». La ville s’est engagée à suivre la recommandation de la chambre, d’informer les parents des refus d’admission en crèche.
Le rapport public recommande donc de renforcer la transparence du processus d’attribution des places en crèche en invitant les collectivités territoriales et les opérateurs privés gestionnaires à formaliser leurs procédures d’admission et à les rendre publiques.
Des besoins spécifiques à mieux prendre en compte
La prise en compte des besoins des familles en matière d’horaires atypiques, accueil d’urgence, enfants en situation de handicap, enfants de détenues ou familles en parcours d’insertion est encore insuffisante.
Le rapport recense diverses initiatives en matière d’horaires atypiques par exemple à Angers, Nancy ou Grenoble, mais relève que de nombreuses collectivités ayant fait l’objet des contrôles ne répondent pas aux préoccupations de ces familles, en particulier les familles monoparentales.
La ville de Marseille a inscrit l’accueil d’urgence dans le règlement de fonctionnement des crèches municipales : 5 places lui sont réservées dans 5 établissements différents. Deux crèches peuvent accueillir des enfants de détenues incarcérées au centre pénitentiaire des Baumettes.
Le rapport conclut que l’accueil des enfants de moins de 3 ans mobilise depuis des années des fonds publics importants. Le coût de cette politique doit être rapproché non seulement des résultats généraux atteints en termes de dynamisme démographique, de taux d’activité des femmes ou encore de contribution à l’égalité des chances mais aussi de l’objectif intermédiaire constitué par le service rendu aux familles de manière à en évaluer l’efficience et à dégager des voies d’amélioration.»