Publié le 4 décembre 2013 à 19h15 - Dernière mise à jour le 27 octobre 2022 à 17h03
Une jeunesse algérienne
Max-Pol Fouchet naît le 1er mai 1913 à Saint-Vaast-la-Hougue, en Normandie. Son père, Paul-Hubert, armateur aux idées progressistes, le fait baptiser sur l’un de ses navires, le Liberté. Il est gazé pendant la première guerre mondiale. Souffrant
de problèmes de santé, il s’installe avec sa famille à Alger en 1923. Paul-Hubert décède en 1929.
Au lycée, le jeune Max-Pol fait la rencontre d’Albert Camus et de Jean Grenier, leur professeur de philosophie à tous deux. C’est à partir de cette époque-là qu’il commence à se forger une conscience politique. Dès 1930, il fonde la section
algérienne des Jeunesses socialistes dont il prend la tête. Son activité est intense : réunions, conférences, manifestations, direction de Non ! l’organe des JS, au moment où le paysage politique, marqué par le centenaire de l’Algérie, est dominé par les ligues d’extrême-droite.
Malgré tout, une certaine impuissance des socialistes devant la montée du péril fasciste le conduit à rejoindre le mouvement Esprit dirigé par Emmanuel Mounier à partir de 1935. Il devient, selon l’expression de Michel Winock, le « légat d’Esprit en Algérie », ce qui lui permet d’être reconnu dans les cercles intellectuels algérois. Il y développe une pensée originale face au problème colonial en Algérie en précisant qu’il fallait faire une place accrue aux musulmans et leur donner les moyens de leur émancipation en leur conférant les mêmes droits que la population d’origine européenne. Il est également l’un des cadres de la revue du mouvement.
Fréquentant la librairie d’Edmond Charlot, «Les vraies richesses », située à deux pas de l’Université d’Alger, il se lie, sans pour autant qu’il y appartienne, au groupe littéraire d’Emmanuel Roblès et d’Albert Camus, la fameuse «bande à Charlot ». Cette époque du Front populaire est aussi celle de ses débuts en poésie avec la publication en 1936 du recueil Simples sans vertu dans la collection «Méditerranéennes » dirigée par Albert Camus.
Fontaine
Alors que la montée des périls s’annonce de plus en plus inexorable, Max-Pol Fouchet consacre une part de plus en plus importante de son temps à la littérature et à la poésie. À l’automne 1938, il rejoint la revue algéroise Mithra fondée par
Charles Autrand, expérience éphémère sur laquelle se construira Fontaine à partir du printemps 1939 et dont il prend la direction. La revue est alors confidentielle avec un tirage de 300 exemplaires en moyenne et son influence ne dépasse guère les limites de l’Afrique du Nord.
Cherchant à défendre la « jeune poésie » – concept un peu flou – et à faire émerger une nouvelle génération, Max-Pol Fouchet décide d’inscrire très vite la poésie et le poète au sein de la Cité des hommes parce que les régimes totalitaires, en Espagne comme en URSS, emprisonnent et assassinent des poètes. Il prend le soin de construire des sommaires qui sont le reflet des inquiétudes de son temps sans pour autant sacrifier à la qualité des textes qu’il publie.
Faisant jouer le réseau Esprit et de quelques relations, il réussit à attirer des collaborateurs de plus en plus prestigieux comme Jacques et Raïssa Maritain, Jean Wahl, Benjamin Fondane ou Max Jacob. Commençant à être reconnue en métropole, Fontaine, par les questions qu’elle pose, n’échappe pas à la censure pendant la Drôle de guerre en raison de la méfiance qu’inspire la poésie aux censeurs militaires qui croient voir derrière chaque vers un message caché à destination de l’ennemi.
C’est après la défaite de juin 1940 que Fontaine commence à prendre sa véritable dimension avec la publication dès juillet 1940 d’un éditorial de Max-Pol Fouchet dont le titre est un véritable programme pour les années qui suivront : « Nous
ne sommes pas vaincus » dans lequel il exprime son rejet de l’idéologie de Vichy. Le retentissement est énorme et bientôt les textes affluent de métropole, faisant de Fontaine un véritable refuge pour tous les intellectuels proscrits. Dès lors, la revue et Max-Pol Fouchet changent de dimension : de revue provinciale, Fontaine devient l’un des centres de la vie littéraire de l’Occupation et son directeur un membre
incontournable du champ littéraire.
Cette « Résistance en pleine lumière» s’affirme toujours plus pendant l’Occupation. Refuge, point de ralliement, Fontaine est l’un des lieux où l’opposition au régime du Maréchal Pétain peut s’exprimer. C’est ainsi que certains des poèmes les plus emblématiques de l’esprit de Résistance, comme le « Cantique à Elsa » de Louis Aragon, « Liberté » de Paul Éluard sous le titre de « Une seule pensée» ou encore les « Poèmes de la France malheureuse » de Jules Supervielle sont publiés en 1941 et 1942.
Défendant une conception de la poésie comme une expression de la puissance de l’esprit, seul à même de pouvoir fournir les moyens intellectuels de s’opposer à la tyrannie, au racisme et à la barbarie, Max-Pol Fouchet conçoit un numéro spécial consacré à la « poésie comme exercice spirituel » qui paraît en 1942 qui constitue l’un des événements majeurs de la période : près de 300 pages, au total 25 000 exemplaires vendus et une réception qui place Fontaine au centre des débats. De manière générale, pendant l’Occupation, la revue connaît le succès, sa périodicité devient mensuelle, sa pagination augmente ainsi que son tirage qui atteint 4 000 exemplaires en moyenne. Ces succès ne doivent cependant pas faire oublier la lutte que Fontaine et son directeur sont contraints de mener quotidiennement pour
sauvegarder, sans se compromettre, leur liberté d’expression : arrestation de certains des collaborateurs, jeu permanent avec la censure, affrontements directs avec la presse collaborationniste.
À partir du débarquement anglo-américain de novembre 1942, Fontaine devient, après quelques difficultés, la revue littéraire « officielle » de la France libre. Privée de ses liens avec la France occupée, elle rallie maintenant les écrivains de l’exil comme André Breton ou Georges Bernanos en même temps que des émissions radiophoniques et des parachutages lui permettent de se faire entendre en métropole. Max-Pol Fouchet, devenu incontournable à Alger, commence à engager sa réflexion dans d’autres directions. En particulier, il insiste dans ses éditoriaux, sur la place importante et nécessaire que devront occuper les intellectuels dans la France libérée et le relèvement moral qui doit survenir parce qu’ils seront l’un des seuls contre-pouvoirs efficaces face à la mainmise des forces traditionnelles. Cette position inaugure les débats sur l’engagement qui agiteront les milieux intellectuels de la fin des années 40.
Max-Pol Fouchet s’installe à Paris à l’automne 1944 et y transfère progressivement la revue. Fontaine arrive ainsi en métropole toute auréolée de la constance et de la force des ses attitudes hostiles à Vichy et aux nazis pendant l’Occupation. Max-Pol Fouchet est nommé au Comité directeur du Comité National des Écrivains – en tant que représentant des revues littéraires. Il tient pendant quelques mois le feuilleton littéraire des Lettres françaises.
En dépit des restrictions économiques qui accompagnent la Libération, les Éditions de la Revue Fontaine paraît à Paris avec des sommaires très étoffés, rassemblant les grandes figures de la Résistance intellectuelle comme François Mauriac ou Vercors. La revue quitte progressivement le terrain de la seule littérature pour investir également celui de la philosophie et de la politique avec toujours le même souci
de ne jamais se compromettre vis-à-vis des puissants.
L’ambition de succéder à la NRF – suspendue en raison de son attitude collaborationniste – peut enfin commencer à se concrétiser même si Fontaine se trouve en concurrence avec d’autres revues issues de la Résistance intellectuelle – comme Poésie de Pierre Seghers ou Confluences de René Tavernier – et de nouvelles revues comme les Temps modernes de Jean-Paul Sartre ou Critique de Georges Bataille. C’est également le moment où les Éditions de la Revue Fontaine
prennent leur essor avec des collections illustres comme « L’Âge d’or », dirigée par Henri Parisot qui rassemble des textes surréalistes.
Cependant, la situation économique de la revue se dégrade rapidement et elle doit cesser de paraître fin 1947. Max-Pol Fouchet, très affecté par la disparition de Fontaine, entame alors une carrière de professeur aux États-Unis.
Fontaine l’Algéroise ne s’est en réalité jamais acclimatée aux règles du milieu littéraire parisien dont elle ne maîtrisait pas les codes. Il n’en demeure pas moins que cette aventure aura laissé des traces durables dans le paysage intellectuel non
seulement parce que Fontaine a été un symbole de la Résistance mais aussi parce qu’elle a permis à des jeunes comme Edgar Morin, Michel Cournot, Pierre Desgraupes ou encore Pierre Dumayet de faire leurs premières armes.
«La Résistance que je souhaitais que Fontaine exprimât, c’était l’éternelle résistance de l’homme contre la tyrannie, sa révolte fondamentale, non chronologique somme toute, contre le mal. Ainsi pensais-je, la poésie gagnerait son éternité, les hommes de mon temps l’entendraient tel un chant de liberté aussi bien que les hommes futurs, puisque le même combat recommence sans cesse et que la semence du dragon demeure.»
Transmettre
Dès le début des années 50, Max-Pol Fouchet perçoit très vite l’intérêt de la télévision dont il est l’un des pionniers. Il peut ainsi continuer à porter le message qui est le sien depuis Fontaine : défendre les valeurs essentielles de la démocratie et contribuer à élever le peuple en lui offrant, grâce à la culture, les moyens
de son émancipation en l’aidant à comprendre le monde.
C’est dans cet état d’esprit qu’il participe et conçoit quelques unes des émissions télévisées qui ont fait la légende de ce nouveau média de masse. A chaque fois, il ne s’agit pas pour Max-Pol Fouchet de vulgariser car «vulgariser, c’est considérer les autres comme incapables de comprendre une discipline difficile et […] rabaisser la qualité de ce qu’on veut transmettre». Il s’agit au contraire de « clarifier » car cette posture demande un «effort considérable à celui qui veut transmettre une connaissance » et donc ainsi cela commande de respecter le public.
C’est « Le Fil de la vie » entre 1954 et 1958 où il aborde des sujets propres à éclairer le monde qu’il interrompt pendant la Guerre d’Algérie en raison d’une censure préalable qu’on veut lui imposer. Ce sont « Lectures pour tous » entre 1953 et 1968 – supprimées après les événements de mai 1968-, puis « Italiques» entre 1970 et 1974 dans lesquelles il intervient pour défendre devant les téléspectateurs des livres souvent difficiles. Ce sont enfin « Terre des arts » et la série de documentaires consacrés aux Impressionnistes dans lesquelles il ne cesse de faire œuvre de pédagogie sans pour autant renoncer à l’exigence intellectuelle qui est la sienne. Il accompagne le public dans son chemin vers le secret des œuvres « sans expliquer ce secret, ni le déflorer, car le démonter serait les dépouiller de leur mystère et, du même coup, les anéantir ».
Aller vers les hommes
Indissociable de sa mission de «clarificateur » des chefs d’œuvres de la littérature, de la musique et de la peinture, Max-Pol Fouchet demeure un voyageur infatigable et curieux de la culture des autres. C’est le même objectif qui est poursuivi : aller à la rencontre des hommes en confrontant leurs cultures respectives et porter témoignage de la diversité de l’humanité et de ses formes d’expression.
Cette idée de rencontre est fondamentale dans son esprit car elle est «pareille à la véritable image poétique : loin de réunir des termes semblables, elle conjoint des éléments dissemblables, avec un arbitraire qui se transforme en vérité.
Elle n’est pas comparaison, mais réintégration. De là viennent son caractère de saisissement, cette force d’évidence qu’elle possède en soi, hors de toute logique habituelle, dans une logique supérieure et indiscutable ».
Ne se séparant jamais de son appareil photographique, il rend compte de ses explorations en Afrique noire, à Madagascar, en Égypte, en Inde, dans les Caraïbes, au Mexique avec toujours le souci de montrer la richesse de toutes les cultures
du monde, de montrer le génie de l’homme car « la photographie justement permet de fixer de telles rencontres, d’en apporter la preuve, du moins si elle est l’art d’un poète ».
Avec cette même exigence, il est, à la suite des surréalistes, l’un de ceux qui contribuent à donner aux Arts premiers une place de tout premier plan dans la longue histoire de la création artistique et de la culture des hommes en les collectionnant, en allant à la rencontre de ceux qui ont créé ces œuvres, en les donnant à voir.
Max-Pol Fouchet, amoureux de la liberté, poète profondément ancré dans son siècle, décède brutalement à Vézelay, le 22 août 1980.
Le vernissage aura lieu ce samedi 7 décembre ( voir le déroulé de la journée ici) et l’exposition se terminera le 2 février 2014.
Coproduction : Fondation du Camp des Milles, Association des Amis de Max-Pol Fouchet.
> Ouvert tous les jours de 10h à 19h
> Entrée gratuite
L’exposition présentera également des documents exceptionnels comme le manuscrit original de « Liberté » de Paul Eluard que Fontaine publia en juin 1942.