Alors que les mouvements de replis nationalistes, identitaires et religieux se renforcent, « avec l’accélération et l’accumulation des crises, l’invention de formes nouvelles, la traversée des frontières, notamment artistiques, et l’ouverture au monde, peuvent-elles offrir de possibles alternatives ?», interroge les Rencontres d’Averroès ce dimanche 1er décembre lors de la dernière table ronde de cette édition 2013 qui a invité à penser la Méditerranée au XXIe siècle.
Si la pertinence de l’interrogation demandait à être justifiée, il suffit de savoir que Raja Ben Ammar, comédienne, metteur en scène, directrice du Théâtre Phou à Carthage qui devait participer à cette table ronde n’a pu venir, son théâtre étant menacé de fermeture, elle a préféré rester sur place. Ce lieu, un des premiers théâtres indépendants de Tunisie, avait déjà été fermé par le précédent pouvoir, de 2002 à 2009. La libanaise Yalda Younès, est intervenu le samedi 30 sur la question du féminin et du masculin. Danseuse, elle a créé « Non », de Zad Moultaka en 2006 à Beyrouth, violent réquisitoire contre la guerre. Sa dernière création, avec Gaspard Delanoë, est La Calas, présenté en 2013 au Festival de Montpellier.
« Aujourd’hui, on attend que les artistes viennent à nous plutôt que d’aller les chercher »
Elle constate : « Les grandes fondations du Golfe organisent des Biennales, achètent des Musées et on oublie que ces pays sont des dictatures. Et puis, il suffit de se promener dans les rues de Beyrouth pour trouver des lucioles, cet infiniment petit qui est toujours là pour éclairer dans la nuit, mais que l’on voit de moins en moins car nous sommes aveuglés par les projecteurs de la télé, comme l’écrit Georges Didi-Huberman dans « la survivance des lucioles ». Et bien, oui, ces lucioles existent toujours. Mais, aujourd’hui, on attend que les artistes viennent à nous plutôt que d’aller les chercher ». Elle ajoute qu’après être restée 8 ans à Paris : « J’ai décidé de rentrer à Beyrouth. La situation y est catastrophique, comme toujours, mais, en même temps, je suis optimiste. Il y a des explosions, et, le lendemain, la vie reprend. Je travaille actuellement à la création d’une Maison d’artistes dans la montagne. Car, soit on travaille avec rien, ce que font de nombreux artistes, soit on a recours aux pétro-dollars, soit on travaille dans les espaces qui s’ouvrent. Reste la question pourquoi créer. Je partage le point de vue de Deleuze qui répondait : « parce que nous avons besoin de raisons de croire à ce monde » ».
Le plasticien italien Mario Rizzi indique : « On me définit comme un artiste engagé, j’aime cette définition, parfois aussi comme un artiste politique et j’aime moins cela. J’ai 51 ans, j’ai été 4 ans durant volontaire en Bosnie, au sein d’une association humanitaire. J’étais vraiment intéressé à découvrir la culture musulmane, mais on n’en parle pas. Puis, j’ai participé à la Biennale d’İstanbul, j’ai voulu à cette occasion faire un travail sur des anonymes, c’est comme cela que j’ai rencontré deux anonymes, un père et son fils, cordonniers à Istanbul. J’ai fait ce film alors qu’une petite mafia locale voulait prendre le magasin ».
« L’argent a une couleur »
Il en vient à la commande, lui qui travaille avec des fondations arabes : « L’argent a une couleur, en Italie il a celle de Berlusconi. Alors, tant qu’à me confronter à une couleur, j’ai choisi celle du monde arabe ».
L’artiste Hassan Darsi (Maroc) définit son itinéraire « entre le faire et le non-faire car on existe par les deux. Et, en tant qu’artiste, il est facile de décider de ne pas faire, notamment de ne pas participer à des manifestations qui se déroulent dans des systèmes qui ne sont pas démocratiques ». Il explique ensuite avoir fondé en 1995, à Casablanca, La Source du Lion, (lieu d’expositions, de débats, résidence d’artistes), puis, en 2008, l’Atelier de la Source du Lion, plateforme d’expérimentation, de production et d’échanges artistiques, « On est contraint de créer son pays ».
Mustapha Benfodil (Algérie) est romancier, dramaturge et reporter au quotidien El Watan. Dans le Manifeste du Chkoupisme il écrit, en 2007 : « L’art est une art-me/La place naturelle de l’intellectuel est dans l’opposition/ La place naturelle de l’Anartiste est dans la clandestinité ». Pour lui : « Il faudrait trouver un territoire où l’utopie de l’artiste rencontre le vivant ». Il ajoute : « L’écriture devient intéressante quand elle se préoccupe de l’anodin, de ce qui relève de l’inutile ».
Le théâtre, le fait descendre dans la rue : « La pièce Les Borgnes se termine dans la rue. Puis, j’ai tenu à aller plus loin, je partais seul jouer dans la rue, une fois, deux fois, et, le troisième soir je me suis fait arrêter, j’ai alors écrit un texte dans lequel je cherchais des rues pour lecture citoyenne. Les soutiens ont afflué de toute l’Algérie ».
Michel CAIRE