Publié le 30 mai 2021 à 20h19 - Dernière mise à jour le 29 novembre 2022 à 12h28
L’organisation de défense de droits de l’homme, mondialement connue, a 60 ans aujourd’hui. Née au Royaume-Uni d’une première victoire, la libération de prisonniers d’opinion, Amnesty International poursuit son combat autour de la planète pour la protection des droits humains. Le mouvement rassemble aujourd’hui plus de dix millions de personnes dans le monde.
« Ouvrez votre journal, n’importe quel jour de la semaine, et vous verrez que, quelque part dans le monde, quelqu’un a été emprisonné, torturé ou exécuté parce que ses idées ou sa religion étaient intolérables pour son gouvernement. Le lecteur ressent alors écœurement et impuissance. Mais si ces sensations éprouvées aux quatre coins du monde pouvaient être réunies en une action commune, alors quelque chose d’efficace pourrait se produire. »
Avec ces mots, publiés le 28 mai 1961 dans l’article « Les prisonniers oubliés », l’avocat britannique Peter Benenson allume la première flamme d’un combat pour les droits humains qui donnera naissance à Amnesty International. La bougie entourée d’un barbelé devient le symbole d’une organisation non gouvernementale (ONG) dont les militants sont les chevilles ouvrières. Dans un monde alors divisé en deux blocs, l’Est et l’Ouest, le principe fondamental d’impartialité s’ajoute à celui de solidarité internationale. L’ONG, dont l’indépendance financière lui assure sa crédibilité, multiplie les missions de recherche, analysant les violations des droits humains à l’aune du droit international.
60 ans plus tard, 70 sections nationales et une quinzaine de bureaux régionaux ont vu le jour à travers la planète. Forts d’une dizaine de millions de membres ou sympathisants, nous sommes devenus un mouvement réellement mondial.
Les progrès réalisés n’ont cependant pas été instantanés. « Pour avancer, il a fallu tenir bon et s’accrocher à la certitude que l’humanité a la capacité de faire bouger les choses. Le résultat ? La remise en liberté de dizaines de milliers de personnes placées en détention en raison de leurs convictions ou de leur mode de vie. L’abolition de la peine de mort dans des dizaines de pays. Des responsables politiques, auparavant intouchables, amenés à rendre des comptes. Des lois modifiées, des vies changées.»
Comment mesurer 60 ans d’actions collectives ?
«Elles sont là, lorsqu’un accusé bénéficie d’un procès équitable, lorsqu’une prisonnière échappe à l’exécution ou lorsqu’une personne détenue n’est plus victime d’actes de torture. Elles sont là, lorsque des militantes et militants sont remis en liberté et peuvent continuer de défendre les droits humains, lorsque des enfants apprennent leurs droits à l’école ou lorsque des familles sont escortées pour quitter les camps de personnes réfugiées et rentrer chez elles en toute sécurité. Et elles sont là, lorsque des populations marginalisées manifestent pour réclamer la fin des discriminations, lorsqu’elles réussissent à sauver leur foyer de la destruction, et lorsqu’une femme est enfin protégée par une loi qui interdit les violences dont elle était quotidiennement la cible. Soixante ans plus tard, nous militons toujours pour un monde où les droits fondamentaux de chaque individu sont respectés. Et nous continuerons jusqu’à ce que cela devienne une réalité.»
«Lorsque j’ai allumé pour la première fois la bougie d’Amnesty International, j’ai pensé au vieux proverbe chinois : » Mieux vaut allumer une bougie que maudire les ténèbres »», Peter Benenson.
Les victoires de l’humanité
En 1961, après avoir appris que deux étudiants portugais avaient été placés en détention pour avoir porté un toast à la liberté, l’avocat britannique Peter Benenson lance une campagne mondiale : l’«Appel de 1961 pour une amnistie». Repris dans les journaux du monde entier, cet appel pour la libération des prisonnières et prisonniers d’opinion représente l’acte de naissance d’Amnesty International. «Entre 1961 et 1966, 1 000 détenu·e·s ont été libérés grâce aux actions continues d’individus qui voulaient rendre le monde meilleur.»
En 1962, Amnesty envoie un avocat pour observer le déroulement du procès de Nelson Mandela en Afrique du Sud. Nelson Mandela a écrit par la suite : « Sa simple présence, de même que son aide, ont été pour nous une source d’inspiration et d’encouragements considérable.»
En 1973, Amnesty International publie sa première Action urgente afin d’encourager la population à agir au nom de Luiz Basilio Rossi, un professeur brésilien arrêté pour des motifs politiques. Ce dernier attribuera ensuite l’amélioration de sa situation au soutien populaire suscité par ces appels : «Je savais que mon cas avait été porté sur la place publique et qu’ils ne pouvaient plus me tuer. Alors les pressions dont je faisais l’objet se sont atténuées et mes conditions de détention se sont améliorées.» «Depuis lors, les sympathisant·e·s d’Amnesty International ont fait campagne à travers le monde pour défendre des milliers d’individus, de familles et de groupes de personnes. Dans environ un tiers de ces affaires, ces actions sont suivies de changements positifs, et lorsque ce n’est pas le cas, elles permettent tout de même d’apporter du réconfort et de l’espoir.»
Dans les années 1970, le nouveau régime chilien dirigé par le général Augusto Pinochet accepte la venue d’une délégation composée de trois représentants d’Amnesty International et chargée d’enquêter sur les allégations faisant état de violations massives des droits humains. Plus de 20 ans plus tard, Amnesty International est partie à des procédures judiciaires qui ont conduit à l’arrestation d’Augusto Pinochet au Royaume-Uni pour des crimes commis au Chili.
En 1979 Amnesty International publie une liste de 2 665 cas de personnes «disparues » en Argentine après le coup d’État militaire mené par Jorge Rafael Videla. «Cette publication visait à aider les ami·e·s et les familles de ces personnes à obliger les responsables à rendre des comptes.»
Au cours de cette même décennie, Amnesty International obtient le prix Nobel de la Paix pour «avoir contribué à garantir les bases de la liberté et de la justice et avoir ainsi contribué à la paix dans le monde»; c’est un hommage exceptionnel rendu au travail considérable et à la détermination des sympathisant·e·s d’Amnesty International à travers le monde.
La peine de mort
Quand Amnesty International et ses sympathisant·e·s se sont lancés dans la lutte contre la peine de mort en 1977, seuls 16 pays l’avaient totalement abolie. Aujourd’hui, ce nombre a atteint 108, ce qui représente plus de la moitié des pays du monde. Depuis 2011, des États comme le Bénin, Fidji, la Guinée, la Lettonie, Madagascar, la Mongolie, Nauru, la République démocratique du Congo, le Suriname et le Tchad ont aboli la peine de mort pour toutes les infractions. «Notre réussite a été guidée par la conviction que le droit à la vie est inaliénable. Avec votre aide, nous continuerons de lutter jusqu’à ce que le monde entier soit définitivement débarrassé de ce châtiment, le plus cruel, inhumain et dégradant qui soit.»
En 1984, à la suite de campagnes menées sans relâche par les sympathisant·e·s d’Amnesty International, l’Assemblée générale des Nations unies adopte la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Le droit international impose donc aux États de prendre des mesures efficaces afin d’empêcher tout acte de torture sur leur territoire, et il leur interdit de transférer des personnes vers un pays où il existe des raisons de penser qu’elles seront soumises à la torture.
Dans les années 1990 quand Amnesty International dénonce des violations des droits humains perpétrées au Koweït à la suite de l’invasion irakienne, ces informations font la une des journaux à travers le monde.
Le président brésilien Fernando Collor réagit immédiatement «au lancement par nos équipes d’une action sur la torture et les exécutions extrajudiciaires dans son pays.» Il déclare : «Notre pays ne peut pas être et ne sera plus désigné comme un pays violent. »
Amnesty International attire également l’attention de l’opinion publique mondiale sur la terrible situation de 300 000 enfants soldats, et elle s’allie à cinq autres organisations non gouvernementales (ONG) internationales pour lancer la Coalition pour mettre fin à l’utilisation d’enfants soldats.
En 2002 les pressions exercées de longue date par des sympathisant·e·s d’Amnesty ouvrent enfin la voie à la création de la Cour pénale internationale (CPI) afin d’enquêter et de poursuivre en justice les personnes, y compris des responsables politiques, des dirigeant·e·s de groupes armés et d’autres hauts responsables raisonnablement soupçonnées d’avoir commis des crimes contre l’humanité, des génocides, des crimes de guerre ou un crime d’agression.
«Après 20 années de pressions exercées par les sympathisant·e·s d’Amnesty et d’autres organisations, le traité mondial sur le commerce des armes (TCA) entre en vigueur en 2014 et représente une grande avancée pour l’humanité.» L’objectif de ce traité est d’interrompre les flux irresponsables d’armes, qui entraînent la mort de millions de personnes et favorisent les conflits ainsi que des violations massives des droits humains. «Cette énorme victoire n’aurait pas été possible sans le soutien incroyable de nos donatrices et donateurs, de nos membres et de nos militant·e·s.»
Les années 2010 et 2020 sont marquées par un nombre croissant de succès en matière de droits humains, grâce à l’intensification de l’exigence de changements exprimée par les militant·e·s. «Par exemple, en 2010, Amnesty International travaille avec les Dongria Kondh, une population autochtone de l’État d’Orissa, en Inde, afin d’empêcher la société minière Vedanta de les chasser de leurs terres ancestrales. À la suite de cette initiative, le gouvernement indien refuse un projet d’extraction minière sur leurs terres.»
En 2013 la Papouasie-Nouvelle-Guinée abroge la Loi relative à la sorcellerie, un texte controversé qui permettait d’infliger des sanctions plus légères dans des affaires d’homicides si la victime était accusée de sorcellerie. Cette abrogation a été décisive dans la lutte contre les violences faites aux femmes dans un pays où des accusations de sorcellerie ont souvent servi d’excuses pour battre, tuer et torturer des femmes. « Les bonnes nouvelles ne se sont pas arrêtées là, puisque la Loi relative à la protection de la famille (qui traite des violences domestiques) a été adoptée la même année.»
En 2015 à l’issue d’un travail de pression mené pendant plusieurs années par Amnesty International et ses sympathisants, la filiale nigériane de Shell annonce le versement d’une indemnisation de 55 millions de livres sterling à 15 600 fermiers et pêcheurs de Bodo, au Nigeria, dont les vies ont été bouleversées à la suite de deux énormes déversements d’hydrocarbures de Shell en 2008. «Cela ouvre la voie à de futures procédures impliquant d’autres populations nigérianes ayant pâti de la négligence de Shell. En 2021, un arrêt de la Cour suprême du Royaume-Uni indique que deux autres populations du delta du Niger ayant dû subir les répercussions de plusieurs années de déversements peuvent poursuivre le géant pétrolier devant un tribunal britannique.»
En 2015 les Nations unies adoptent des règles plus strictes en faveur du traitement humain des prisonnières et prisonniers, à la suite d’un travail de pression mené par une coalition d’ONG, dont Amnesty International. Ces règles modifiées respectent davantage les droits humains des personnes détenues et sont axées sur la réinsertion, sur la protection contre la torture, sur l’amélioration de l’accès aux soins et sur la limitation des recours à la discipline punitive, y compris à la détention à l’isolement.
En 2015 l’Irlande devient le premier pays du monde à adopter par référendum la pleine égalité devant le mariage civil. « Cette [décision] adresse un message aux personnes LGBTI partout dans le monde, pour leur dire qu’elles ont de l’importance, tout comme leurs relations et leurs familles », a déclaré le directeur exécutif d’Amnesty International Irlande, Colm O’Gorman.
En 2019, Taiwan devient le premier État asiatique à légaliser le mariage entre personnes de même sexe, à la suite de campagnes soutenues à ce sujet.
Dans un jugement historique pour la justice internationale, l’ancien président Hissène Habré a été condamné le 30 mai 2016 à la réclusion à perpétuité pour des crimes contre l’humanité, des crimes de guerre et des actes de torture commis au Tchad entre 1982 et 1990. L’accusation s’appuie notamment sur des informations rendues publiques par Amnesty International dans les années 1980 et sur le témoignage d’un ancien membre du personnel de l’organisation.
En 2016 également, Albert Woodfox est enfin remis en liberté aux États-Unis, après plusieurs décennies de pressions exercées par des sympathisant·e·s d’Amnesty. Il a passé 43 ans et 10 mois à l’isolement dans une prison d’État de la Louisiane, ce qui constitue probablement la plus longue période passée à l’isolement par un prisonnier aux États-Unis. «Je ne dirai jamais assez combien cela compte de recevoir des lettres du monde entier , a indiqué Albert Woodfox. « Cela m’a redonné de l’estime de moi-même. Cela m’a donné de la force et m’a convaincu que ce que je faisais était juste. »
En 2017, au Kenya, la Haute Cour bloque la décision prise unilatéralement par le gouvernement de fermer le camp de réfugiés de Dadaab, le plus grand du monde. Elle a été saisie par deux organisations kenyanes de défense des droits humains, avec le soutien d’Amnesty International. La fermeture du camp de Dadaab aurait fait courir à plus de 260 000 personnes réfugiées somaliennes le risque de subir un retour forcé vers la Somalie, un pays ravagé par les conflits armés.
En 2018, Teodora del Carmen Vasquez est libérée de prison après avoir passé 10 ans derrière les barreaux ; elle avait accouché d’un enfant mort-né, ce qui a entraîné sa poursuite en justice et sa condamnation pour avortement, un acte illégal au Salvador. Elle a été remise en liberté lorsqu’un tribunal a commué sa peine choquante de 30 ans d’emprisonnement. Entre pétitions et manifestations, les sympathisant·e·s d’Amnesty militaient pour la libération de Teodora depuis 2015.
En 2018, l’Irlande abroge par référendum l’interdiction constitutionnelle d’avorter et obtient ainsi une victoire cruciale pour les droits des femmes, qui s’appuie sur de nombreuses années de mobilisation, de la part d’Amnesty International, entre autres.
En 2020, l’Argentine légalise enfin l’avortement; «c’est un grand succès pour le mouvement des droits des femmes et pour les sympathisant·e·s d’Amnesty, qui se sont mobilisés pour cette légalisation pendant des décennies. Cette avancée montre à d’autres pays du continent et du monde la voie à suivre pour un accès sûr et légal à l’avortement.»
En 2018, une décision judiciaire britannique établit que l’utilisation par les services de renseignements de communications privées recueillies en masse était contraire à la législation relative aux droits humains. C’est la première fois en 15 ans d’existence que l’Investigatory Powers Tribunal (IPT), le tribunal chargé de juger les abus de pouvoirs en matière d’enquête, a rendu une décision défavorable à une agence de renseignements. «Cette décision historique démontre que le partage de données relatives à la surveillance de masse à une échelle si importante est illégal, et qu’il constitue une violation de nos droits à la vie privée et à la liberté d’expression.»
En 2019, la Sierra Leone abroge l’interdiction pour les jeunes filles enceintes d’accéder à l’éducation après que cette interdiction eut été déclarée discriminante. Amnesty International est intervenue dans cette affaire, en s’appuyant sur ses propres recherches ainsi que sur des textes de droit international pertinents. Cette décision a envoyé un message fort à d’autres pays africains qui appliquent ou envisagent d’instaurer une interdiction de ce type.
En 2019 et 2020, des modifications législatives au Danemark, en Suède et en Grèce reconnaissent enfin qu’un rapport sexuel sans consentement est un viol. Cela fait suite à des campagnes menées pendant de nombreuses années par des groupes de défense des droits des femmes et de victimes de viols, ainsi qu’à la campagne d’Amnesty Parlons du OUI. L’Espagne annonce également l’examen d’un projet de loi qui définirait le viol comme un rapport sexuel sans consentement, conformément aux normes internationales en matière de droits humains.