Publié le 31 mai 2021 à 11h00 - Dernière mise à jour le 4 novembre 2022 à 12h47
L’eau est un bien commun global (commun good), qui se déploie localement au plus près des populations et est un élément diplomatique clé (ne parle-t-on pas de guerre de l’eau dans certaines zones de fractures stratégiques?).
L’eau, considérée par l’ONU comme un bien commun tutélaire au cœur des Objectifs de Développement Durable, est liée à de très nombreux ODD, mais difficilement traitée en tant que tel.
A titre d’exemple, un constat : entre 2011 et 2018 10Md€ ont été consacrés à la Finance Climat, 76% concernant l’atténuation et 24% l’adaptation, dont 4% pour l’eau, soit 400M€… « l’épaisseur du trait… ». Ceci est dû à l’absence d’une véritable taxonomie des investissements d’adaptation, à l’inverse des investissements dits d’atténuation, mais pas seulement, également au fait que l’accès à l’eau et l’assainissement en tant que tel n’a pas fait l’objet d’une stratégie ad hoc (contrairement à l’énergie ou l’environnement par exemple au niveau de l’Europe).
La question de l’eau est abordée sous l’angle de la sécurité alimentaire, de la santé, de la lutte contre la pauvreté, de l’environnement, de l’économie bleue, de la biodiversité, voire de l’éducation etc. présente partout du fait des externalités positives induites, jusqu’à présent au centre d’aucune politique publique d’envergure.
L’eau en Méditerranée, un constat préoccupant que la crise de la Covid a accentué. Des chiffres : d’après des études de l’ONU, alors que la demande en eau potable et assainissement sécurisé va doubler d’ici 2050, près de 220M de personnes souffrent actuellement de la rareté de l’eau et de stress hydrique principalement sur la rive Sud et Est de la Méditerranée et plus de 10M de personnes n’ont pas accès à l’eau potable et l’assainissement.
L’accélération du changement climatique en Méditerranée a fortement perturbé le cycle de l’eau, dû notamment à l’accroissement du nombre d’épisodes de pluie et de sécheresse catastrophiques. Ce qui a un impact important sur la biodiversité et la vulnérabilité des zones côtières, là où se concentre la population des villes. La crise sanitaire a par ailleurs révélé des faiblesses structurelles. Une étude de la Banque Mondiale pointe le déficit chronique d’investissement dans le domaine de l’eau, accru par la crise (entre- 10 et -20% par an sur 2020/2022 par rapport au trend des années antérieures, qui était déjà très insuffisant au regard des besoins d’investissement estimés).
Ce contexte risque de s’aggraver du fait de la situation de fragilité financière accrue des pays dits à revenu intermédiaire, ce qui concerne la plupart des pays de la rive Sud et Est, limitant leur capacité d’action budgétaire et leur marge de manœuvre financière. Ceci a même fait l’objet d’une déclaration de la directrice générale du FMI lors du dernier G20.
Il existe cependant des raisons d’être optimiste. Le contexte politico-institutionnel change. Le sommet de Paris de la « Finance en Commun » en novembre 2020 a vu de grands bailleurs comme l’AFD, la Banque Mondiale, la BEI, la Banque Africaine de Développement, etc. faire un appel pour agir de manière concertée pour une stratégie plus active en faveur de l’eau, en y associant les banques nationales de développement. L’OMS et L’Unicef ont publié en janvier 2021 un appel pour «transformer l’assainissement pour une meilleur santé, environnement, économie et société». La Commission européenne vient de publier une communication très volontariste sur l’adaptation en vue de la COP 26 qui sera consacrée à cette problématique.
Les compétences présentes en région Provence-Alpes-Côte d’Azur sont stratégiques. Le Conseil Mondial de l’Eau est une institution de plaidoyer qui porte au nom des organisations internationales, en particulier l’ONU, le message de l’eau comme bien commun mondial dans toutes ses dimensions. L’Institut Méditerranéen de l’Eau rassemble les professionnels de l’Eau en Méditerranée et porte la voix de leurs attentes, préoccupations et propositions. Le Plan Bleu, organisation associée à l’ONU (Unep MAP), produit des éléments de connaissances scientifiques environnementales. Ceci n’est pas exhaustif, de nombreuses compétences existent au sein de différents pôles scientifiques universitaires de la région. De fait, la région accueille une véritable «force de frappe internationale » pour impulser une politique méditerranéenne de l’eau, en lien avec les Autorités Nationales et Internationales, avec l’appui central de l’Agence Rhône-Méditerranée.
La question est, sans détailler de manière trop technocratique, comment booster une stratégie méditerranéenne, dans laquelle la Région constitue le bon niveau de politique publique pour assurer une véritable capacité d’initiative.
Trois actions axes de réflexion me semblent pertinents.
-Travailler plus étroitement avec les grands bailleurs qui, pour certains, sont en train de contracter avec les Régions et Gouvernorats, comme au Maroc avec la Banque Mondiale (IFC). Ce n’est pas un hasard, les bailleurs internationaux reconnaissent la pertinence du niveau régional pour la mise en œuvre d’une politique publique proche du terrain mais également à visée stratégique. Il faut par ailleurs s’associer aux réflexions en cours avec les bailleurs sur la création d’une Facilité de Financement Méditerranéenne qui booste les investissements alternatifs dans le domaine de l’eau, supplée les capacités limitées de financement des pays du sud et réponde aux défis présents.
-Porter le message de l’eau auprès du Comité européen des Régions (COR) et de l’Arlem, dont Paca est membre, pour convaincre l’Europe, en particulier la Commission, de son importance en tant que tel pour la Méditerranée, pour en faire une stratégie européenne propre et créée une Alliance des Régions Européennes autour de cette problématique.
-Développer un partenariat stratégique avec les institutions en charge pré-citées, autour de l’enjeu de la coopération décentralisée comme vecteur d’une stratégie méditerranéenne de l’eau. Un conseil stratégique associant les parties prenantes, dont l’Avitem et l’IRD, et ces institutions auprès de la présidence de Région serait l’instance d’échange, de diagnostic partagé et de propositions de cette politique.
Pour l’échange de vues, je remercie plus particulièrement Christophe Madrolle pour son action en tant que pionnier des relations méditerranéennes pour une écologie raisonnable. L’action de Renaud Muselier, qui a démontré toute l’ambition et le dynamisme de la politique régionale qu’il conduit, me fait croire que cette ambition est réalisable.
Guy Fleuret: ancien directeur exécutif à l’Union pour la Méditerranée (UpM) – Membre du Comité scientifique de l’Institut Méditerranéen de L’Eau (IME)